Du côté du Sénégal, ce projet ambitieux traduit la volonté du pays de diversifier ses partenaires étrangers. « Nous avons beaucoup travaillé avec la France et l’Occident. En 2000, nous nous sommes aussi tournés vers la Chine, puis vers la Turquie et maintenant le Moyen-Orient », résume Khadim Bamba Diagne, enseignant chercheur au laboratoire d’analyse de recherche économique et monétaire.
Avec 43 % du stock d’investissements directs étrangers, la France demeure le premier investisseur dans le pays, mais son poids s’effrite face à ces nouveaux arrivants. « Multiplier les partenaires financiers permet au Sénégal d’apprécier les offres et de choisir en fonction de ses propres intérêts », continue l’économiste.
Le chef de l’Etat s’est d’ailleurs voulu rassurant sur les implications en termes de souveraineté de cet investissement sans précédent. Le Sénégal, a-t-il assuré, « sera actionnaire dans la société concessionnaire, comme il l’est désormais pour les autoroutes à péage ».
Le partenariat avec les Emirats arabes unis date de 2008, quand DP World a été choisi pour gérer le port autonome de Dakar. « Au total, 125 milliards de francs CFA [190,5 millions d’euros] ont été mobilisés pour acquérir du matériel et des équipements performants, et pour renforcer la compétitivité de Dakar en Afrique de l’Ouest », détaille Ali Sultan Rashid Alharbi, ambassadeur des Emirats au Sénégal, fier de préciser que 500 emplois permanents ont été créés, principalement occupés par des Sénégalais.
Le futur port à conteneurs est censé décongestionner la capitale sénégalaise et lui permettre de délocaliser le trafic des camions à destination du Mali, pays dépendant de Dakar pour ses importations.
Avec ce terminal, le Sénégal ambitionne de devenir un « hub logistique international ». Et mise pour cela sur le savoir-faire des Emirats, véritable plate-forme entre l’Afrique et l’Asie. Il vient ainsi d’adhérer à l’initiative Passeport logistique mondial, portée par Dubaï, dont l’objectif affiché est de renforcer le commerce sud-sud en connectant les zones de fret.
Mais les projets émiratis ne se cantonnent pas aux infrastructures portuaires, tout comme ils ne se limitent pas au Sénégal. Présents au Nigeria, en Angola, au Rwanda ou à Djibouti, les Emirats arabes unis manifestent depuis quelques années un intérêt accru pour le continent. « Les puits de pétrole se tarissent, les pays du Moyen-Orient cherchent alors des opportunités comme en Afrique dans la transformation de matières premières », constate l’économiste M. Diagne.
Pays stable politiquement et économiquement, le Sénégal s’impose comme une porte d’entrée vers le continent. « La main-d’œuvre est qualifiée et peu chère, le cadre administratif et le climat des affaires sont rassurants et des accords de coopération ont été signés entre les deux pays comme la non double imposition sur les revenus », liste l’ambassadeur M. Alharbi.
A cela s’ajoutent l’exemption de visa et les cinq vols hebdomadaires assurés par la compagnie Emirates, installée au Sénégal depuis 2010. « Cette ligne a contribué aux échanges commerciaux, estimés à 625 millions de dollars américains en 2019 entre nos deux pays », contre 115 millions en 2012, poursuit le diplomate.
Soucieux de capitaliser sur cet intérêt, Macky Sall est allée à la rencontre des milieux d’affaires émiratis lors de sa visite à Dubaï en février 2020. « Des contacts ont été noués dans les domaines de l’hôtellerie et du transport aérien. Nous sommes encore dans la première étape des négociations », indique l’ambassadeur M. Alharbi, sans vouloir en dire plus. Dans un autre secteur, la société privée Emirates Pirogues Modernes s’est implantée au Sénégal pour la production d’embarcations à base de fibre de verre.
Le fonds émirati Khalifa pour le développement des entreprises participe, lui, au financement de plusieurs projets d’infrastructures, comme la construction d’une route nationale le long de la vallée du fleuve Sénégal. Début 2020, il a également financé à hauteur de 20 millions de dollars un centre d’incubation pour start-up à Dakar.
Mais les investissements émiratis ne sont pas toujours visibles, souligne Lamine Ba, directeur de l’environnement des affaires de l’Apix, l’agence nationale chargée de la promotion de l’investissement et des grands travaux au Sénégal. « Les pays du Moyen-Orient investissent souvent dans les secteurs stratégiques de concession, de l’agriculture ou de l’immobilier », souvent via des fonds d’investissement, analyse l’expert. Il cite l’opérateur de télécommunication sénégalais Expresso, dont la filiale d’investissement est basée à Dubaï. « Ils sont aussi présents à travers les banques marocaines ou des sociétés d’assurance où l’on ne les soupçonne même pas », précise M. Ba.
Pour aller plus loin, les Emirats arabes unis pourraient se positionner sur les deux projets d’exploitation gazière et pétrolière qui sont en cours de développement au Sénégal, et dont la production commerciale est attendue en 2023. Des perspectives prometteuses auxquelles pense déjà l’ambassadeur Ali Sultan Rashid Alharbi, qui met en avant « l’expertise émiratie » dans ce secteur.
« Ce pays a de l’expérience en termes de gestion des ressources pétrolières, estime aussi Khadim Bamba Diagne. Nous devons apprendre de lui afin que nos futures ressources soient investies dans des secteurs productifs diversifiés et qu’elles aient un impact sur la qualité de vie et les revenus des citoyens. » L’économiste mise également sur une prochaine implantation de banques dubaïotes pour contrôler le circuit de ces investissements au Sénégal, si ceux-là continuaient à augmenter.
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