Jeudi 28 Mars, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Economie

Mamadou Lamine Diallo ( Économiste) : « Il faut auditer le plan Jaaxay et les 70 milliards investis»

Single Post
Mamadou Lamine Diallo ( Économiste) : « Il faut auditer le plan Jaaxay et les 70 milliards investis»
L'économie africaine se trouve aujourd'hui en pleine mutation. Une tendance basée sur une certaine productivité de fond qui autorise tous les espoirs sur ce continent. L'économiste Mamadou Lamine Diallo, par ailleurs président du mouvement Tekki, revient sur les facteurs qui corroborent les études du récent rapport Mc Kinsey dressant l'évolution d'une Afrique en pleine croissance, non sans jeter un regard sur la méthode de gestion de l'économie sénégalaise.

Wal Fadjri : Quel est le schéma de l'évolution de l'économie nationale, ces dix dernières années ?

Mamadou Lamine Diallo : L'économie sénégalaise s'est comportée de manière relativement médiocre ces dix dernières années. Il faut d'abord se souvenir qu'au début des années 2000, le gouvernement de l'alternance avait pris l'engagement de porter la croissance économique de ce pays à 7 %, pour réduire la pauvreté de moitié en 2105. Et durant ces dix dernières années, on n'a jamais atteint les 7 %. Leur meilleure performance a été réalisée en 2005 où le taux a atteint près de 6 %. Depuis lors, la croissance ne cesse de diminuer et d'après les chiffres définitifs fournis pour l'année 2009, nous en sommes à un taux de croissance de 2,2 %. C'est plus faible que la croissance démographique.

Ensuite, cette croissance est portée par les industries extractives, minières. Mais aussi parce qu'il y a une bonne pluviométrie, il y a des sous-secteurs agricoles de céréales où un comportement correct a été remarqué. C'est pourquoi, la pauvreté s'installe durablement au Sénégal. Aujourd'hui, 60 % des ménages sont dans la pauvreté absolue. Moi-même, j'estime qu'il faut aller au-delà, si l'on met la précarité, parce que la pauvreté absolue, elle est définie en fonction de la capacité de chaque personne à disposer d'un revenu d'un à deux dollars par jour. C’est-à-dire 400 francs et 800 francs Cfa. Et on sait que pour vivre dans ce pays, il va falloir beaucoup plus.

La précarité s'est installée dans ce pays et il y a une minorité de Sénégalais qui s'en sort. Et ce sont essentiellement les gens qui sont autour du pouvoir politique et que nous appelons les rentiers du Pds. Ceux-là plongent dans la pauvreté et la précarité l'immense majorité de la population sénégalaise.

Est-ce à dire qu'il faudrait changer radicalement de méthode de gestion de cette économie ?

Oui, il faut qu'on change radicalement les perspectives économiques et les politiques publiques de ce pays. En 2007, lorsque je suis entré en campagne présidentielle, j'avais dit que, dans des pays comme le nôtre, la base des politiques publiques doit consister à définir les priorités puisqu'on ne peut pas tout faire en même temps et que nos ressources sont limitées, dans un monde en concurrence féroce, globalisée où il n’y pas de pitié. Contrairement à ceux qui pensent qu'ils peuvent quémander de l'argent auprès de l'assistance publique extérieure, ce n'est pas le cas. L'aide étrangère et publique se fait désormais de manière parcimonieuse dans un but stratégique très clair. Il faut donc changer et redéfinir les priorités.

Et ce sont ces priorités que les Sénégalais ont voulu confier au président Abdoulaye Wade en 2000. C'est d'abord le renforcement du socle institutionnel, et qui est fondamental. Dès 1996, j'avais déjà indiqué que les priorités institutionnelles devraient être maîtrisées dans notre pays pour avoir des politiques publiques pertinentes. Parce que c'est cela qui crée la base de la confiance dans la société. Et, en retour, c'est la confiance qui permet à la finance publique de se déployer. Si cela n'est pas fait, on ne fera que tourner en rond et nous avions besoin, en l'an 2000, de stabiliser les institutions de ce pays qui ont été quand même chahutées dans la dernière période des années 1990. Les Sénégalais ont besoin d'être rassurés par rapport à cela.

Il faut, par-là aussi, régler définitivement le problème de l'électricité. On gère cette question avec des perspectives pas du tout claires le gouvernement ne sachant plus quoi faire. Et il faut revenir à une orthodoxie budgétaire en termes de dépenses publiques. On ne peut pas se permettre d'avoir des déficits budgétaires de l'ordre de 4 à 5 %. Surtout que c'est basé sur des investissements dont l'impact économique n'est pas visible. Je veux parler de cette fameuse corniche de l'Anoci (Ndlr : Agence nationale chargée de l'organisation de la conférence islamique), qui est un scandale à tout point de vue : financier, de la gouvernance et même du point de vue économique.

Il me paraît également important de retravailler les pôles économiques de développement. Parce que c'est cela qui va permettre à Dakar de souffler et en même temps, aux autres régions, de pouvoir se développer. Sinon, nous allons avoir une concentration trop forte à Dakar et cela va être ingérable. Nous le voyons d'ailleurs avec les banlieues qui se présentent aujourd'hui comme de véritables bombes sociales. Et les assises nationales ont été un fort moment de réflexion commune sur les orientations économiques de ce pays. Et il importe, dès les premières années, de mener des rectificatifs parce que tout l'avenir de ce monde se joue en Afrique et l'Africain doit en être conscient.

‘Le plan Jaaxay, il faut l'auditer. Parce que quand on fait la comptabilité directe des dépenses, nous en sommes à 70 milliards de francs. Cela, pour construire seulement 1 900 maisons ; je me demande comment on en est arrivé à ce chiffre’

Pour revenir à la situation dans la banlieue, que pensez-vous des milliards de francs Cfa engloutis dans les projets de recasement ?

D'abord, le plan Jaaxay, il faut l'auditer. Parce que quand on fait la comptabilité directe des dépenses, nous en sommes à 70 milliards de francs. Cela, pour construire seulement 1 900 maisons ; je me demande comment on en est arrivé à ce chiffre. Tôt ou tard, ce projet sera audité. Et encore une fois, le gouvernement a réagi de manière non pensée dans cette affaire. Il y a dans la banlieue, en ce qui concerne les inondations, deux ou trois éléments dont il faut tenir compte. Il y a des points bas dans lesquels, on a laissé des Sénégalais habiter pendant la période de la sécheresse. Et à ce niveau, la solution technique pour évacuer les eaux n'est pas simple. Il faudrait, par conséquent, voir dans quelle mesure, ces quartiers peuvent être restructurés.

Ensuite, il y a des zones où c'est beaucoup moins compliqué, comme à Dalifort, où il est possible de traiter la question de l'assainissement de manière raisonnable. Et créer même des villes vertes qui soient très agréables. Et ce n'est pas seulement la banlieue, mais beaucoup de villes de l'intérieur et même en pleine capitale. Parce qu'aujourd'hui, le réseau d'assainissement de Dakar est complètement saturé. Et durant l'hivernage, les eaux usées sont refoulées et on ne se préoccupe pas du tout de cela à Dakar. Saint-Louis, n'en parlons même pas, de même que Tambacounda, Sédhiou, Mbacké et partout ailleurs au Sénégal. Il faut un plan global d'assainissement qui peut même créer des emplois. Parce que ce sont des techniques que nous maîtrisons ici au Sénégal, où nous en avons le savoir-faire. Et puis un investissement massif dans ce secteur serait porteur de croissance et de création d'emploi.

Dans le domaine agricole, la campagne de commercialisation de l'arachide connaît souvent des difficultés, les banques réclamant des garanties, souvent au détriment des producteurs. Quelle formule proposez-vous pour remédier à cette situation ?

C’est une question où, manifestement, le gouvernement patauge. Nous sommes dans des réformes engagées par le gouvernement consistant à privatiser la Sonacos. Avec une ouverture à des opérateurs dont je ne suis pas sûr qu'ils soient véritablement intéressés par le devenir de cette entreprise. Mais, c'est uniquement le patrimoine immobilier de cette entreprise qui les intéresse. Deuxièmement, l'Etat a mis en place des opérateurs privés sénégalais (Ops), puisés certainement du réseau de clientèle du Parti démocratique sénégalais. Je souligne cela, parce que si vous mélangez la politique, l'économie et la finance, ce n'est jamais transparent. Parce que vous ne pouvez jamais avoir les prix réels, les coûts réels et les taux d'intérêt réels.

Mais les banques locales également sont surveillées attentivement, de l'autre côté par la banque centrale et en particulier par le Fonds monétaire international, qui suit l'activité au Sénégal. Et nous avons là des schémas où, chaque année, c'est manifestement difficile de dénouer les crédits. Et il est évident que dans ce circuit-là, ce sont les pauvres, les producteurs qui sont les plus faibles qui paient...

‘Je me demande si l'on ne s'est pas trompé en acceptant la privatisation de la Sonacos. Et aujourd'hui, c'est le point de réflexion qu'il faudrait poser sur la table. D'autant plus que c'est un dossier traditionnel et lancinant’

Avez-vous une meilleure formule à proposer ?

D'abord, je trouve que le gouvernement fait une erreur en voulant écarter le Cncr et en voulant créer un syndicat paysan fictif tout à fait politique. Il faut reprendre la question à la base du Cncr. Ensuite, je crois qu'il faut avoir une idée claire de la filière arachidière. Est-ce qu'on peut revenir à des formules d'un million de tonnes d'arachide ? Cette question mérite d'être posée. Il y a quand même une tendance globale dans le monde où un certain nombre d'huiles n'est plus prisé par les consommateurs. Mais le Sénégal a besoin d'une filière arachidière, parce qu'en dehors de l'huile d'arachide, il y a pas mal de choses qui se font autour et il faudrait réfléchir de manière beaucoup plus serrée par rapport à ça.

Je me demande si l'on ne s'est pas trompé en acceptant la privatisation de la Sonacos. Et aujourd'hui, c'est le point de réflexion qu'il faudrait poser sur la table. D'autant plus que c'est un dossier traditionnel et lancinant à travers un engagement des différents gouvernements qui se sont succédé.

Revenons maintenant au rapport Mc Kinsey sur la croissance africaine. Quels sont les facteurs qui permettent d'espérer pour l'Afrique ?

D'abord, ce rapport est un des premiers rapports sérieux qui dit que sur la période allant de 1998 à 2008, soit sur une période de dix ans, il y a eu des gains de productivité de travail de l'ordre de 3 % en Afrique. C'est important. Incontestablement, on n'a jamais vu cela en Afrique depuis quarante ans. Cela semble indiquer qu'il y a une tendance de fond qui est en train de remonter et portée essentiellement par les services, les télécommunications, le commerce, les services bancaires et, accessoirement, les infrastructures et l'agriculture. Et naturellement, en Afrique, un certain nombre de pays a bénéficié de la manne pétrolière, puisque les coûts ont été extrêmement élevés durant cette période. Mais cela dit, lorsque l'on dit l'Afrique, il y a des pays qui ont des comportements différents.

En ce qui nous concerne, le Sénégal figure parmi les pays à transition. Et effectivement, nous sommes dans une transition au Sénégal. On le sent, tout le monde le dit et elle passe d'abord par une transition politique qui nous permet de recadrer les institutions. Il faut faire en sorte que les Sénégalais puissent avoir confiance en leurs institutions, en la gouvernance. Et se faire une conception que les gens qu'ils mettent au pouvoir, ne sont pas là pour se partager le butin. Les finances publiques, les terres, les mines, les ondes hertziennes, c'est-à-dire, les télécommunications, tout y passe. C'est cela qui amènera la confiance des Sénégalais, leur investissement et leur engagement au travail. Cela aussi va créer plus de richesses. Naturellement, il n’y a pas de déterminisme historique pour dire que, nécessairement, l'Afrique va se développer. J'ai toujours soutenu que cela dépend de ce que les Africains vont en faire. Notamment les élites qui doivent prendre conscience de ce qu'il faut faire des politiques publiques. Et c'est ce, à quoi, nous nous attelons tous les jours au sein du mouvement Tekki.

Le continent ne doit-il pas également solliciter les investissements étrangers ?

Bien sûr, mais l'investissement étranger dans tous les pays du monde est porté d'abord par celui privé des nationaux. On l'oublie souvent, car si les nationaux n'ont pas confiance en leur propre pays, les autres n'auront pas confiance. Si les nationaux exportent leurs capitaux, s'il y a la fuite des capitaux, cela va être difficile de convaincre les investisseurs des autres pays à venir chez nous. Ensuite, il faut avoir un environnement qui soit favorable. Je veux parler, de manière plus précise, de l'électricité qui doit être résolue. C'est capital et c'est fondamental. Depuis plus de dix ans, on prétexte qu'il y a de mauvaises politiques publiques, mais on ne peut pas passer notre temps à regarder dans le rétroviseur. Il y a également le problème de la justice, car les investisseurs étrangers ont besoin d'être rassurés. S'il y a des conflits, il n’y a que la justice qui pourra trancher en se basant sur le droit. Mais la base, c'est ce que l'on met dans les priorités institutionnelles. Et c'est cela qu'il faut fixer d'abord pour créer les conditions d'un bon investissement, à la fois des nationaux, des autres Africains et des étrangers.

Compte tenu de toutes ces perspectives, l'Afrique peut-elle être, à l'avenir, la locomotive de la croissance mondiale?

Disons qu'il y a des réserves de productivité et de croissance qui sont importantes en Afrique. Les pays dits riches sont arrivés à des niveaux de revenus qui sont relativement élevés avec des taux de croissance relativement faibles et c'est normal. En plus, ces pays sont en train de vieillir, ce qui est un élément important. Alors que l'Afrique est un continent jeune et qui pourra, par conséquent, fournir la main d'œuvre nécessaire à la production des richesses, comme le continent asiatique, notamment la Chine et l'Inde qui sont aujourd'hui les pays qui portent la croissance mondiale. On peut penser qu'à un moment donné, arrivé à saturation, on peut être obligé de partager la valeur ajoutée et les richesses là-bas avec leurs milliards d'habitants. Par conséquent, l'Afrique peut porter la croissance mondiale et peut arriver à des niveaux de croissance élevés, certainement de l'ordre de 7 à 8 %. Potentiellement et sur le papier, c'est possible. Mais, pour y arriver, il y a un certain nombre de conditions qu'il faut résoudre et qui sont d'ordre institutionnel, politique. Et c'est là où se situe tout le travail de l'émergence de la citoyenneté.

Il faut se dire aussi qu'aujourd'hui ceux qui portent la croissance dans le monde, ce ne sont plus des territoires sous forme d'Etats-nations, mais des territoires-continents. Vous avez la Chine avec un milliard d'habitants, l'Inde et même l'Europe qui est en train de se reconstituer en une entité politique. L’Afrique ne devrait pas échapper à cette réalité. Dans notre espace régional, il faut une véritable révolution diplomatique. On ne peut pas continuer à envoyer nos meilleurs ambassadeurs à New York ou à Bruxelles. On le faisait parce que nos élites ont toujours pensé que ce qui était important, c'est d'attirer l'aide publique au développement, mais on a su que, de plus en plus, l'aide publique ne peut être qu'un appoint. Et que ce sont les ressources intérieures qu'il fallait mobiliser. Et c'est la raison pour laquelle, il faut travailler à asseoir une dynamique régionale forte avec des pays comme la Guinée qui est notre château d'eau et même le Mali, la Guinée Bissau, la Gambie, la Mauritanie. C'est cette perspective qu'il faut avoir si on veut demain être la zone qui soutient et porte la croissance économique mondiale.



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email