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MARCHÉ PARALLÈLE DES MÉDICAMENTS : Des professionnels sont impliqués selon deux experts

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MARCHÉ PARALLÈLE DES MÉDICAMENTS : Des professionnels sont impliqués selon deux experts

Entretien avec...Dr Mamadou Ndiadé (Président de l’Ordre des pharmaciens) et Dr Aboubakrine Sarr (Président du Syndicat des pharmaciens) : « Dire que des pharmaciens ne sont pas impliqués dans le marché illicite du médicament est une contrevérité »

Législation, formation des pharmaciens, pénalisation du délit de vente illicite de médicament, intégration des pharmaciens dans les programmes de santé, nécessité pour les professionnels du médicament de se rapprocher des populations. Les présidents de l’Ordre des pharmaciens et du Syndicat des pharmaciens privés du Sénégal abordent, entre autres aspects, tous ces thèmes dans cette interview croisée dans laquelle ils reconnaissent tous les deux que des pharmaciens sont bel et bien impliqués dans le marché illicite du médicament.

Vos premières journées pharmaceutiques avaient pour objectif de réfléchir sur l’avenir de la pharmacie au Sénégal, selon vous comment se dessine cet avenir ?

Dr Ndiadé : Toute organisation, toute communauté, toute profession doit penser à son avenir qui consiste à diagnostiquer la situation et à trouver des solutions. Je pense que la profession pharmaceutique est confrontée à un certain nombre de difficultés dont l’une des plus cruciales est la vente illicite de médicaments. Ce seul sujet pourrait suffire pour poser la question de l’avenir de la pharmacie. Il y a aussi le partenariat entre le secteur public et le secteur privé pharmacien. C’est une question qui se pose et à laquelle nous sommes en train de trouver des solutions qui conditionnent l’avenir de la pharmacie. Il y a aussi la formation des pharmaciens au niveau de l’université où s’opèrent actuellement des mutations dans le sens de l’amélioration de la formation des futurs pharmaciens qui sont l’avenir de la profession. Il y a également les textes qui doivent évoluer parce que ce sont eux qui conditionnent l’évolution de la pharmacie. Parmi eux, certains sont obsolètes, d’autres méritent d’être améliorés et il y a, avec l’évolution actuelle, la nécessité d’en créer d’autres. Toutes ces raisons méritent que nos journées soient consacrées à l’avenir de la pharmacie au Sénégal.

Dr Sarr : L’avenir de la pratique officinale, c’est de faire en sorte que nos textes soient en phase avec la réalité du médicament ou de la politique médicamenteuse. Les textes sont désuets. Ils datent de 1954. J’en veux pour preuve les sanctions qui sont vraiment dérisoires par rapport aux fautes commises.

L’autre aspect est que le pharmacien très sollicité par les populations doit renforcer ses capacités manageriales et au-delà être au diapason de toutes les informations par rapport aux pathologies. Cela suppose une formation continue, un enseignement post-universitaire qui va prendre en compte la prise en charge médicamenteuse avec les nouvelles molécules, les critères de dispensation des produits, les posologies, les effets secondaires que créent les produits. Il faudrait aussi que le pharmacien commence à sortir de l’officine pour aller porter la bonne information aux populations. C’est une nouvelle approche que nous allons promouvoir. Par rapport à cela, l’intégration des pharmaciens dans les programmes de santé pourrait faciliter les choses. Le pharmacien du troisième millénaire est un type nouveau qui est dans le privé, mais qui verse dans un partenariat avec le public pour davantage approcher les populations et à qui l’on garantit une sécurisation de sa profession.

S’agissant des textes, concrètement qu’est-ce vous projetez de modifier ?

Dr Ndiadé : Je pense surtout aux textes qui datent de la période avant indépendance. L’exemple que je donne concerne la pénalisation des délits de vente illicite de médicaments. Nous voyons des peines qui sont sans commune mesure avec la gravité des fautes commises. Pour être plus actuel par rapport à l’installation des officines, il faut des critères qui doivent évoluer avec les besoins des populations. Donc, il y a des textes qu’il faut nécessairement réadapter, même par rapport au fonctionnement de l’Ordre des pharmaciens. Il y a une évolution du nombre de pharmaciens ; les textes écrits il y a trente ans, ne sont plus adaptés au contexte de la population actuelle de pharmaciens. Ainsi, plusieurs motifs justifient la nécessité actuelle de réviser les textes, d’en changer et d’en créer d’autres pour s’adapter à la réalité actuelle.

Dr Sarr : Au-delà des sanctions disciplinaires, nous voulons qu’on en arrive à dire que les comptes du pharmacien sont bloqués, qu’on lui fasse des sanctions pécuniaires qu’on va reverser à l’Ordre des pharmaciens pour son fonctionnement ou à la Direction de la pharmacie. Nous allons réfléchir autour de tout cela pour que la sanction soit plus coercitive et plus dissuasive. Le syndicat s’est engagé dans cette dynamique pour convaincre les pharmaciens qui s’adonnent à cette pratique d’arrêter.

Justement concernant le marché illicite des médicaments, quel rôle jouent véritablement l’Ordre et le Syndicat des pharmaciens pour éradiquer ce phénomène ?

Dr Ndiadé : Le rôle de l’Ordre est d’attirer le respect par les pharmaciens de leurs obligations professionnelles, ensuite de défendre l’honneur et l’indépendance de la profession qui consiste à sauvegarder l’ensemble de ce qui lui appartient. La vente, la dispensation des médicaments est du ressort du pharmacien. Toute autre personne qui s’adonne à cela est sensé faire de l’exercice illégal. Donc, l’Ordre a pour mission de protéger ce monopole, de lutter contre cet exercice illégal de la pharmacie. Aussi bien les médicaments de la rue que la contrefaçon contribuent au développement de ce marché parallèle. C’est pour cette raison que l’Ordre des pharmaciens a le devoir et l’obligation de lutter contre ces deux phénomènes en relation bien sûr avec l’autorité qu’est le ministre de la Santé. Dans les détails, l’ordre veille à ce que les pharmaciens ne soient pas impliqués dans le marché parallèle, à la limite de les sanctionner s’ils sont impliqués dans ce marché parallèle, de trouver des voies et moyens de sensibilisation des populations sur les dangers de ce marché par l’usage de médicaments contrefaits et enfin interpeller les autorités et les accompagner dans la lutte contre ce marché parallèle.

Dr Sarr : Par rapport au marché illicite du médicament nous l’avons tourné dans tous les sens. Nous avons interpellé toux ceux qui devaient l’être pour en parler. Parce qu’au-delà de l’aspect médical, il y a un aspect social qui revient au pharmacien. Il devait interpeller l’autorité, sensibiliser les populations. Mais, je crois que quand nous avons commencé à le faire, certains ont pensé que nous agissons pour des raisons pécuniaires. Or, nous sommes avant tout des agents de santé publique avec comme rôle de dispenser le médicament parce que nous connaissons le médicament et le danger qu’il peut constituer. Nous nous devons de sensibiliser les populations et d’interpeller l’autorité. Nous sommes un syndicat qui est sensé défendre les intérêts matériels et moraux de ses membres. Mais, au-delà de cet aspect, nous exerçons une profession libérale qui exige une protection de l’Etat au moyen de ses départements ministériels. Egalement, nous sommes des agents de santé publique. Nous sommes une profession libérale de santé publique, mais à caractère commercial. Nous payons nos impôts, nous nous acquittons de la patente, donc il y a un certain nombre de droits comme la protection que nous attendons des départements ministériels nous concernant directement. Etant agent de santé publique, nous devons apporter notre pierre quant à la constitution d’une bonne santé publique. Mais là où le bât blesse, c’est quand on interpelle l’autorité. Par exemple pour le calcul du prix du médicament, les ministères de la Santé, des Finances et du Commerce interviennent. Cela veut dire que tous ces trois ministères devaient défendre le médicament et par ricochet le pharmacien. Il y a aussi le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice qui constituent une plaque tournante de notre lutte. Le ministère de l’Intérieur, par exemple, doit demander à tous les gouverneurs de régions de mettre en place des comités régionaux de lutte et de trouver avec l’appui des pharmaciens et d’autres partenaires les moyens pour les rendre fonctionnels et de procéder à des descentes périodiques sur le terrain, à des saisies massives. Nous, à notre niveau, nous allons faire des propositions de modification de loi pour rendre coercitive les sanctions. Là, le ministère de la Justice pourrait nous aider. Tout cela pour dire que c’est un ensemble qui doit lutter autour du marché illicite des médicaments pour que réellement prenne fin ce fléau, parce que ce qu’ils font c’est défier l’Etat.

Maintenant, au-delà du marché illicite des médicaments, il y a la contrefaçon qui en est un démembrement. Mais elle est plus grave. Le marché illicite peut être considéré comme tout achat qui ne répond pas aux conditions de production, d’importation, d’exportation et de dispensation au public des produits. Par contre, le médicament contrefait est un médicament délibérément et frauduleusement étiqueté, donc qui ne répond pas aux normes de préparation. Cela veut dire que le principe actif, l’élément qui agit comme médicament peut être faux, sous dosé ou même pas dosé et extrêmement dangereux, donc, c’est délibéré et frauduleux. C’est délictuel ! Il faut aller dans le sens de criminaliser ce délit. Il faut elever les peines à un niveau tel que la contrefaçon puisse être considérée comme un crime Et je m’appuie sur une déclaration de l’Oms qui disait que la contrefaçon constitue la deuxième source de revenus du crime organisé derrière les drogues. Aujourd’hui, tout le monde connaît les statistiques au niveau mondial. Puisqu’on n’ena pas beaucoup pour le moment, il va falloir prendre d’ores et déjà le taureau par les cornes, parce qu’à laisser faire, on arrivera à un moment où l’on ne pourra plus régler le problème parce qu’ils auront acquis une force, des tentacules un peu partout dans les sphères de l’Etat de sorte qu’on ne pourra plus les abattre. Les populations ont droit à une protection surtout quand cette dernière touche leur santé.

Mais certains pharmaciens font partie intégrante de ce marché illicite de vente des médicaments, qu’en dites vous ?

Dr Ndiadé : Il y a malheureusement dans toute communauté une mauvaise graine. Et la profession pharmaceutique en connaît. Heureusement que c’est une infime minorité. C’est pour cela qu’à travers ses chambres disciplinaires l’ordre veille constamment à réprimer ces pharmaciens en les dissuadant de s’impliquer dans ce marché parallèle.

Dr Sarr : Justement quand je parle de marché illicite, je ne fais pas de distinction entre ceux qui sont du métier et les autres. Jusque-là je vous parle de ceux-là qui pratiquent le marché illicite des médicaments. Dire que des pharmaciens ne sont pas impliqués dans ce réseau, c’est une contrevérité, même s’ils sont en petit nombre. Tous ceux qui pratiquent le marché illicite du médicament doivent avoir en face d’eux les forces répressives de l’Etat, que ce soit un pharmacien, un marabout, un homme d’Etat...

Au-delà de cette juridiction civile au niveau de laquelle nous demandons des sanctions plus coercitives, s’il s’agit d’un pharmacien, il y a ce qu’on appelle les chambres disciplinaires où il y a eu des ouvertures d’information par rapport à certains délits commis par des confrères pour statuer sur leurs cas. Là encore, nous sommes en train de voir comment rendre beaucoup plus coercitives les sanctions. Et la sanction peut être un blâme, une interdiction temporaire ou définitive de l’exercice de la profession. Si on arrive à criminaliser cet acte, Il devra aussi faire face à la juridiction civile.

Et est-ce qu’il est arrivé que des pharmaciens soient sanctionnés ?

Dr Ndiadé : Oui ! Il y a eu des sanctions. Nous avons eu aussi à donner des avertissements, à blâmer des pharmaciens, à leur interdire d’exercer pendant un certain nombre d’années. L’Ordre a même le pouvoir de radier. Malheureusement, nous sommes limités dans la diffusion de ces informations.

Dr Sarr : Oui ! Il y en a beaucoup. Mais, nous avons une profession dans laquelle les textes refusent que ceux-là qui sont sanctionnés soient publiés dans le journal officiel. Au moment où je vous parle, les chambres ont sanctionné des confrères qui font l’objet d’interdiction temporaire d’exercice dans la pharmacie. Là, je vous apprends que c’est le pharmacien qui est sanctionné, mais l’officine reste ouverte au public, parce que le souci du législateur, c’est de répondre aux besoins des populations. En ce moment, l’officine fait son rôle d’espace de santé. Le pharmacien n’est plus tenu de rester dans l’officine. Il n’a plus droit aux commandes. Et les sanctions prennent une partie des revenus. Il y a aussi des sanctions pécuniaires qui lui sont appliquées. Mais, nous sommes en train de voir comment faire évoluer les textes.

Vous parlez de l’intégration des pharmaciens dans les programmes de santé, comment doit-elle se faire ?

Dr Ndiadé : Le pharmacien est un agent de santé à part entière. Et les programmes de santé ont un volet-médicaments extrêmement important. Je crois que les pharmaciens qui se sentaient plus ou moins exclus de ces programmes sont en train de reprendre leur place naturelle. Et c’est heureux que nous ayons l’écho favorable des autorités du ministère de la Santé. Je pense que l’intégration des pharmaciens dans ces programmes ne sera que bénéfique, parce qu’on sait que le secteur privé joue un rôle important dans la santé des populations. Donc, il est tout à fait naturel que les pharmaciens revendiquent leur place, notamment le volet-médicaments dans les programmes de santé. Et je pense que les conclusions des journées pharmaceutiques démontreront une convergence de vue entre les pharmaciens et le ministère de la Santé.

Dr Sarr : Nous voulons une implication dès le début : dans l’élaboration, la discussion et l’adoption jusqu’à la recherche de financement pour le déroulement des projets de programmes. Je soutiens l’implication des pharmaciens pour la bonne et simple raison que tous les programmes de santé ont pour dénominateur commun l’usage du médicament. Dans ce cas, les professionnels du médicament doivent être associés.

Vous évoquez la proximité des pharmaciens avec les populations, est-ce qu’il n y a pas là une tentative pour les pharmaciens de prendre la place des médecins ?

Dr Ndiadé : Non ! La proximité, c’est en terme de dispensation des médicaments dont le pharmacien détient le monopole et le recours des populations à un agent de santé qui a une certaine qualification par rapport aux maladies. Il peut prendre en charge certaines préoccupations des populations, l’orienter, compléter le dispositif médical, en somme faire jouer à cet agent de santé qui a une formation de haut niveau son rôle. Il n’est pas question de concurrence, mais il s’agit d’une complémentarité. Et le pharmacien s’occupe de la dispensation des médicaments et autour de ce concept, il y a plusieurs aspects.

Dr Sarr : Du tout ! Nous sommes complémentaires. Quand nous parlons de proximité des pharmaciens avec les populations, c’est notre devoir d’abord d’approcher ces dernières parce que le médecin prescripteur peut être à une distance, mais celui qui dispense les médicaments doit être très proche. Mais, au-delà de la dispensation du médicament, il y a le fait que nous avons aussi un devoir de conseil, d’orientation, d’information. Ce qui permet de rendre service aux autorités grâce à cette proximité avec les populations.

Maintenant, puisqu’il y a des structures sanitaires publiques dans les différentes localités, il faut qu’il y ait des structures privées de dispensation de médicaments pour répondre aux besoins des prescripteurs pour le bénéfice des populations. C’est cela qui explique un certain maillage que nous cherchons à mettre en place par rapport aux pharmacies. Mieux, on ne s’est pas limité aux pharmacies, nous avons ce qu’on appelle les dépôts privés de médicaments gérés et entretenus par des pharmaciens et dans lesquels le pharmacien met un agent qui est sous sa responsabilité. Donc, nous n’avons nullement l’intention de nous substituer à nos confrères médecins.

Et dans cette relation de complémentarité, quels sont les actes médicaux légaux que peut faire le pharmacien dans son officine ?

Dr Ndiadé : Le pharmacien est formé pour pouvoir intervenir en cas d’extrême urgence. Mais les actes médicaux en tant que tels n’appartiennent pas au pharmacien qui est un conseiller pour le médicament, un dispensateur de médicament. Et dans ce cadre, il y a plusieurs étapes. Soit le malade est satisfait par la pharmacie, soit il se référe à la structure sanitaire appropriée

Dr Sarr : La question est pertinente. Au cours de notre cursus universitaire, nous avons fait ce qu’on appelle les soins infirmiers. Seulement, nous ne les avons pas appris pour les pratiquer quotidiennement, mais pour que de façon urgente qu’on puisse réagir et apporter les premiers soins. Si dans la zone, dans un rayon d’un kilomètre par exemple, il y a une structure sanitaire publique ou privée, il n’y a pas de raison que nous fassions des actes médicaux. Donc, cela veut dire quelque part qu’il est interdit aux pharmaciens d’exécuter des actes médicaux.

 



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