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Economie

MARCHE DE L’IMMOBILIER, SECTEUR FINANCIER : Quand le blanchiment va…

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MARCHE DE L’IMMOBILIER, SECTEUR FINANCIER : Quand le blanchiment va…
Très vaste et prospère malgré un taux de bancarisation relativement faible, le secteur bancaire au Sénégal inspire une confiance assez limitée dans une économie essentiellement basée sur les espèces. Dans ce contexte, ce que beaucoup considèrent comme un « blocage institutionnel » encouragerait un système bancaire parallèle qui constitue une grande source de blanchiment d’argent, si l’on en croît le dernier rapport 2007 du Giaba (Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest). 

L’argent na ni odeur, ni couleur, dit-on. Ce qui est sûr c’est qu’il a une origine. Forcément. Il semble que trop d’argent liquide circule à l’heure actuelle sur le marché sénégalais et une bonne partie de ces fonds finit dans des investissements non réglementés, sans qu’on en connaisse réellement l’origine. Une chose est sûre, en investissant beaucoup dans l’immobilier et les marchés des titres plutôt que d’innover dans de nouveaux produits et encourager ainsi une augmentation du pourcentage de l’utilisation des services bancaires dans le pays, la plupart des banques ne contribuent pas à réduire la prévalence du blanchiment d’argent au Sénégal.

Le phénomène du blanchiment est devenu plus important au cours de ces dernières années avec l’entrée massive dans le marché sénégalais, de fonds d’origines diverses notamment dans le secteur du bâtiment dont l’accroissement des investissements, accentués par d’importants investissements dans les travaux publics (routes, réseaux d’assainissement, transports, bâtiments, etc…) ont grossi l’afflux de fonds dans l’économie. Si les flux formels passent normalement par les institutions financières officielles et sont donc dans une large mesure réglementés, ce n’est pas le cas d’un très grand nombre de petits investisseurs. Ceux-ci restent en dehors de ces institutions et leurs flux monétaires échappent largement à la vigilance des organismes régulateurs. Citant le rapport de l’Unsinc 2007, le Giaba indique que le marché de l’immobilier est largement financé en espèces et qu’il n’y a aucune transparence.

En fait, c’est tout le système financier au Sénégal qui constitue le lit des crimes économiques et financiers, si l’on en croît le rapport du Giaba et cela va aussi du secteur bancaire au secteur des assurances en passant par celui du change, des transferts, avec une grande prévalence au niveau des circuits informels, ou encore des Infd dont une surveillance institutionnelle apparaît absolument nécessaire pour enrayer le mal.

Modus operandi

Passage obligé du crime organisé, le blanchiment de capitaux illicites est à la fois outil mais également point faible du crime. Point faible, car indicateur par sa formidable progression de l’état alarmant d’embonpoint du crime transnational, ce qui a eu pour effet, une mobilisation internationale de même envergure. Et point faible, car voie d’accès par où la lutte contre le blanchiment, cette nouvelle forme de combat contre le crime en général, s’est organisée.

De mieux en mieux débusqué dans les pays déjà rompus aux techniques de lutte, le blanchiment fait le tour de la planète à la recherche de territoires moins bien armés ou carrément pas regardants.

De ce fait, l’Afrique d’autant qu’elle s’ouvre pour des raisons d’émergence aux capitaux privés, est devenue une cible des blanchisseurs.

Si en matière de blanchiment, les montages sont infinis, la technique est la même qui consiste pour le blanchisseur à user des services quotidiennement offerts par les établissements financiers, mais aussi par diverses professions non financières pour éloigner et ainsi effacer le caractère illicite des sources de ses revenus.

Ainsi, le fait de blanchir ne se recherche pas dans des actions d’éclats, mais dans la foule d’actes anodins tels que versement d’espèces, mouvements transfrontaliers de fonds, acquisition de titres et autre biens et valeurs mobilières ou immobilières, qui sont posés au quotidien auprès des offreurs de services financiers ou à finalités financières.

Branle-bas

Les stratégies de lutte sont ancrées dans la vigilance. Vigilance à un double niveau de la prévention. Il s’agit des mesures d’identification dont l’objectif est la traçabilité des opérateurs économiques et des capitaux ; et vigilance pour la détection des opérations atypiques ou carrément suspectes souvent révélatrices d’actes de blanchiment. Cette vigilance définie par les stratégies anti-blanchiment, est imposée par les lois relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux illicites aux différentes personnes physiques ou morales dont les services sont les moyens d’action des blanchisseurs, et qui de ce fait sont en contact avec eux. Aussi, lutter contre le blanchiment de capitaux illicites c’est avant tout, pour les personnes physiques ou morales généralement de droit privé assujettis à l’obligation de vigilance, porter une attention quotidienne aux opérations effectuées et aux clients qui y procèdent et, s’il y a lieu, faire une déclaration d’opération suspecte à la CRF dont le rôle d’interface consiste à saisir si besoin l’autorité de poursuite pénale.

De la Convention de Vienne contre le trafic illicite de stupéfiants (1988), à la Convention de Palerme contre le crime organisé (2000), sans oublier la directive de l’Union Européenne de 1991 et les différentes modifications y relatives, la Directive de Bâle de 1988 etc, une toile juridique internationale s’est tissée, en quelques sortes parachevée par les recommandations du GAFI qui, à partir de 1989, date de création du groupe par le G7, ont défini les contours et ne cessent depuis d’affiner les stratégies de lutte contre le blanchiment de capitaux illicites.

C’est en application d’une directive UEMOA (N° 07/2002/CM) que le Sénégal a adopté en février 2004, la loi uniforme 2004-09, organisant la lutte contre le blanchiment de capitaux illicites et portant, conformément aux stratégies, création de la CRF national dénommée Centif. Mise en place à partir de mars 2005, la Centif Sénégal était déjà opérationnelle en juin 2005 avec l’enregistrement de sa première D.O.S.

L’expérience Centif en matière de lutte anti-blanchiment est encore très jeune, mais c’est en cela qu’elle est intéressante car faisant apparaître à l’intention des territoires non encore dotés d’instruments de lutte antiblanchiment mais qui ne sauraient tarder à y procéder, les obstacles à surmonter pour traduire en réalités quotidiennes, les stratégies de lutte telles que définies sur la base des Conventions internationales, et conformément aux recommandations du GAFI articulées autour de 4 axes que sont la prévention du blanchiment, la détection du fait de blanchiment, l’incrimination et la répression, la coopération internationale.

Pour ce qui concerne les actions de prévention et de détection, la loi uniforme 2004 – 09 met en avant les trois aspects essentiels des stratégies que sont : les mesures d’identification, conservation des données recueillies et communication aux autorités de poursuite, ces mesures incombent essentiellement aux établissements financiers ; la surveillance particulière de certaines opérations atypiques, par leur seuil et forme (50 millions espèces ou porteurs, 10 millions mais dans des conditions semblants inhabituelles) ; et la fameuse déclaration d’opération suspecte D.O.S, élément déclencheur de l’action de détection qui incombe à la CRF, dont le travail d’analyse peut aboutir à la saisine du parquet aux fins de poursuites pénales.

Entre autres missions et attributions, il incombe aux CRFs de sensibiliser, informer et amener les assujettis à traduire en réalités pratiques, les obligations qui leur sont imparties par les stratégies de lutte anti-blanchiment.

Pas si simple

La première difficulté rencontrée par la CENTIF Sénégal lors de ses premiers contacts avec les assujettis, était relative à la notion de lutte contre le blanchiment de capitaux illicites.

A l’exception des établissements financiers filiales de grands groupes internationaux, qui avaient déjà acquis une certaine pratique en la matière, l’ensemble des autres assujettis, et plus particulièrement les professions juridiques indépendantes (notaires, avocats, etc…), certaines banques locales, les organismes de micro crédit et autre ONG, ont eu du mal à définir la frontière entre leurs intérêts privés, et l’infiltration par leur biais, dans les circuits monétaires légaux, d’éventuels capitaux illicites.

Les nouveaux comportements imposés ainsi que la suspicion prescrite par la nouvelle loi semblaient antinomiques des intérêts privés de l’entreprise, et plus généralement des politiques d’ouverture, pour des raisons d’émergence économique, à l’investissement privé.

En réponse à ce constat, la CENTIF a, au cours des 6 à 8 premiers mois de son existence, multiplié séminaires et forums de formation, information, sensibilisation en direction des assujettis.

Cette activité aurait porté ses fruits. L’ensemble des assujettis au Sénégal semble avoir perçu la nécessité de se protéger des capitaux illicites qui, par leurs instabilité, leurs origines amorales et destructeurs du tissu social, sont nuisibles au pays en général mais aussi à l’entreprise privé de quelque type ou dimension qu’elle puisse être.

Autre particularité rencontrée : bien qu’ayant une relative connaissance de la matière, les filiales sénégalaises des grandes banques internationales, ont dû, dans le cadre de la définition des programmes internes, déterminer des politiques internes de lutte en fonction des réalités sénégalaises.

Ainsi par exemple, le faible taux de bancarisation au Sénégal (entre 6 et 7%), et son pendant direct qu’est le grand usage en Afrique du paiement en espèces, n’est pas en phase avec les seuils définis par la loi. De ce point de vue, une politique sous régionale d’incitation à l’usage du compte et des instruments bancaires est mise en oeuvre par les autorités monétaires.

L’autre résistance rencontrée par la Centif dans l’accomplissement de sa prérogative de sensibilisation des assujettis à leurs nouvelles obligations est relative aux déclarations d’opérations suspectes.

Instrument fondamental de détection du blanchiment, la DOS incombe aux assujettis qui, au Sénégal, ont rencontré les difficultés suivantes de mise en pratique.

Pour ce qui concerne les établissements financiers, outre qu’il a fallu définir en fonction des réalités du pays la notion d’opération suspecte, il fallait également former les employés en contact avec les clients à percevoir les anomalies tout en intégrant la particularité du grand usage d’espèces.

Quand aux professions juridiques indépendantes, vu la nature généralement d’assistance et de garantie de confidentialité qui caractérise leurs activités, le verrou à débloquer est le même que partout ailleurs dans le monde. La déclaration de soupçon est en effet perçue comme une violation du serment professionnel. Cependant, les échanges se multipliant, une volonté nette traduite en mesures internes de protection contre les capitaux illicites est relevée.

88 milliards en dossiers sales

La réticence relevée lors des premières rencontres avec les assujettis a laissé place à une meilleure connaissance du fléau de blanchiment, aussi bien que des stratégies de lutte anti-blanchiment. Et, une mobilisation certaine a été notée traduite pour les établissements financiers, par une progression très nette des déclarations

d’opérations suspectes qui, de 11 émanant exclusivement du système bancaire (du 1er mars au 31 décembre 2005) au cours du premier semestre d’activités de la CENTIF, ont doublé durant le premier semestre 2006, pour franchir en octobre dernier, la barre des 60 déclarations et 50 cas soumis aux tribunaux. Pour ce qui concerne les autres assujettis notamment les professions juridiques indépendantes, aucune déclaration n’est encore enregistrée, mais une mobilisation interne de bon augure aurait été notée lors des dernières rencontres effectuées par la Centif.

Lors d’un atelier tenu le 15 février 2008 à Dakar par le Giaba, sur la question, il avait été fait cas de dossiers sales transmis relatifs à une valeur de 88 milliards de FCfa dont une valeur de 459 millions de FCfa auraient fait l’objet d’une opposition par la Centif et confirmée par le juge d’instruction.

Certes on est loin des centaines de déclarations mensuelles des CRFs en lutte depuis une décennie, mais toutes proportions d’échelle de grandeur et d’âge prises en compte, la lutte est encouragée par les résultats comptabilisés en si peu de temps d’activités.

Du fait du lien entre la corruption et la criminalité, le blanchiment d’argent, à n’en pas douter, porte atteinte à l’intégrité des systèmes politiques et judiciaires, ainsi qu’à la stabilité et à la prospérité des systèmes financiers nationaux et internationaux. L’effet dévastateur que cela peut avoir au sein des sociétés et marchés légitimes, en atteignant des économies faibles comme celle du Sénégal et d’autres politiques de l’Etat, altérant les conditions de marché et créant de graves risques systémiques et d’hémorragie, commandent que tout le monde, les autorités en premier, fassent tout et sans complaisance pour… en laver le système.



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