MONDE RURAL : ENTRE DISETTE ET FAMINE - « D’ici à un mois, si l’Etat ne réagit pas, on aura une situation de famine » selon le Pcr de Bounkiling

Le monde rural s’engage dans la précarité. Les rendements agricoles risquent d’être un peu partout très faibles. Le Conseil national de concertation des ruraux (Cncr) est plus que préoccupé, rapporte Sud Fm.

Boubacar Cissé, Secrétaire chargé de la communication du Cncr, sonne l’alerte. « Si on sait qu’au niveau des familles les revenus ont baissé et que les cultures vivrières n’ont pas bouclé leur cycle, on peut se dire qu’il y aura disette tout au moins. Une disette profonde, structurelle, une disette qui véritablement nous permet de dire qu’il y a famine quelque part. Donc le Sénégalais est par extraordinaire un homme de ‘sutura’, un homme de ‘muñ’, autant de vertus qui font qu’on ne va pas crier sur tous les toits qu’on a faim. Mais, on peut ne pas douter que la situation en milieu rural est difficile, elle est pathétique, elle est extrêmement pénible ; dans la mesure où les revenus ont baissé, les cultures vivrières ne permettront pas de boucler véritablement toute l’année. Donc l’un dans l’autre, il va se poser des problèmes de survie au niveau des exploitations familiales », martèle Boubacar Cissé, chargé de la communication du Cncr.

Dans le département de Thiès, les tendances de la production sont à la baisse. Les techniciens expliquent la situation par le démarrage tardif de l’hivernage et l’arrêt précoce des pluies. Compte tenu donc du déficit hydrique de certains postes pluviométriques comme Pout qui a enregistré -195mm par rapport à l’année dernière, l’on doit s’attendre cette année à une baisse des productions agricoles dans le département de Thiès. Seule la zone de Touba Toul et une partie du sud-est de Thiénaba pourront atteindre une production acceptable en mil, arachide et niébé. Les nouveaux programmes se sont également bien comportés, les 50ha de sésame de Touba Toul et les 15ha de Pout sont prometteurs, soutiennent les techniciens. Pour certaines spéculations, les superficies cultivées cette année dans le département ont doublé, c’est le cas du mil avec 22000ha, le manioc 11000ha, la pastèque qui a déjà inondé le marché a occupé une superficie de 1500ha.

A Sédhiou, la situation est également préoccupante, les paysans commencent d’ailleurs à brader les productions, car il faut bien survivre, la disette est à la porte du département, les présidents de communauté rurale sonnent l’alerte. Samedi, au marché hebdomadaire de Touba Mouride, dans le Nord du département de Sédhiou, force est de constater que beaucoup de producteurs bradaient leurs graines d’arachide à 50, 100 ou 150 F, selon l’unité de mesure représentée par des pots de tomate. La précarité de la situation sociale explique cet écoulement à vil prix. « Ce samedi, je suis venu au marché hebdomadaire pour vendre mes graines parce que je souffre. L’année passée, j’ai vendu dans le circuit normal, mais je n’ai pas pu entrer dans mes fonds. C’est pourquoi j’ai jugé plus intéressant de venir ici pour vendre. La situation alimentaire est catastrophique, on n’a ni mil, ni maïs », explique Ndiouga Thioune, originaire de Saré Ameth dans le Kabada. A l’image de ce producteur, beaucoup d’autres paysans du Pakao Kabada et du Balantacounda Brassou se disent déjà très éprouvés par le coût cher de la vie avec des difficultés pour assurer les trois repas quotidiens. Les présidents des communautés rurales de Sédhiou qui se sont réunis à cet effet confirment l’imminence de la menace et préviennent. Lamine Faty, Pcr de Bounkiling, parle en leur nom : « Au niveau du département de Sédhiou, les pluies sont venues en retard et ne sont pas allées à leur terme. Les semis ne sont pas arrivés à maturité, que ce soit l’arachide, le mil, le maïs, le sorgho, le fonio ; toutes les variétés ne sont pas épanouies. Donc cette situation peut installer une disette dans le monde rural. D’ici à un mois, si l’Etat ne réagit pas, on aura une situation de famine ».

La zone rurale du département de Nioro est aussi sous la menace de la famine. Une délégation du Radi confirme, après une tournée effectuée dans la région du Saloum. Cette délégation réclame une aide alimentaire d’urgence pour éviter un drame humanitaire dans cette zone. Le Coordonnateur de la campagne pour le commerce équitable et la souveraineté alimentaire, Mignane Diouf s’en explique : « Il arrive souvent de constater qu’en prenant un pied d’arachide, on peut trouver 15 maximum 20 arachides qui ont réellement une contenance de graine normale, alors qu’en saison normale, avec une bonne pluviométrie et des semences de qualité, l’arachide pouvait avoir jusqu’à 85, 90, 95% de rentabilité. Mais la rentabilité risque d’être très mauvaise cette année, c’est pourquoi nous pensons que même si nous ne pouvons pas tout de suite dire qu’il y a une famine au Sénégal, au moment où nous parlons, il pourrait y avoir dans deux ou trois mois, dans le monde rural, un déficit céréalier important. En dehors de tout discours démagogique, il faut reconnaître que l’hivernage n’a pas été ce qui était attendu au Sénégal. Les pluies ont démarré tardivement au mois de juillet-août et se sont arrêtées pratiquement en mi-septembre pour la plupart des régions. Il s’y ajoute que les semences n’ont pas été de qualité, selon les dires des paysans que nous avons rencontrés. Et même dans certains villages, nous avons trouvé que l’engrais qui était attendu par ces paysans n’est arrivé qu’au mois d’octobre. Mais la solution définitive de la souveraineté alimentaire est de dire : élaborons une politique agricole dans laquelle on produit suffisamment de céréales, transformées et consommées dans l’alimentation des Sénégalais ».