TRANSPORT AU SENEGAL:Ces «clandos» qui profitent à de nombreux jeunes sénégalais

« Clando! » C’est l’appellation sénégalaise des taxis clandestins. La reconnaissance nationale que ces taxis ne respectent pas les normes de transport en commun n’empêche pas pourtant de s’y embarquer. Devenu presque un phénomène de société, l’Etat sénégalais éprouve de réelles difficultés à régulariser un secteur du transport qui emploie plusieurs dizaines de jeunes… Descente dans l’univers des voitures «sans papiers» de Dakar.

7h45 à Dakar. Nous sommes au Terminus du quartier Liberté VI. Un grand nombre de personnes attendent paisiblement sous des hangars pour prendre les bus officiels de transport en commun. À quelques mètres, une longue file d’attente. Ici, c’est à peine si on ne se bouscule pas. «Il faut être assez rapide pour négocier le premier clando venu. C’est le matin et l’on doit vite aller au travail», explique Amina, employée dans un supermarché. «Tous les matins, je suis obligée de prendre le clando.
Les taxis jaunes-noirs sont trop chers et les bus ne passent pas par mon lieu de travail ». Les raisons évoquées par Amina expliquent en partie l’origine du Clando. C’est de la crise de 1980 de la Société des Transports en Commun (SOTRAC) qu’est né ce type de véhicule de transport.
Selon M. Abdoul Aziz Ndiaye, Chef Division Transports Interurbains et internationaux du Sénégal, «le transport en commun battait de l’aile et les bus ne desservaient pas les banlieues ». Il fallait un moyen pour le transport des populations en banlieues. C’est ainsi qu’est né le clando qui, au départ, était le taxi des banlieues. Mais en raison du problème de transport qui se posait toujours avec acuité, le clando a fini par gagner une clientèle sans cesse croissante dans la capitale sénégalaise; même si les zones de circulation de ce taxi étaient très restreintes.

Quel coût pour l’investissement ?

«L’investissement n’est pas coûteux. On tolère beaucoup de choses », informe M. Abdoul Aziz Ndiaye. L’essentiel est juste d’avoir une voiture et un chauffeur. La validité du permis de conduire, l’assurance -responsabilité civile, la visite technique, la licence de transport en commun n’étaient pas des exigences pour les propriétaires de clando. «Tout ce qu’on exigeait d’eux dans le temps », précise M. Ndiaye, « c’est qu’ils peignent les ailes des voitures en vert ». Bien qu’ils connaissent l’importance du clando, bon nombre d’usagers ne cachent pas leurs inquiétudes. « Le clando est très utile à la population. Le mal est que les conducteurs ne connaissent pas le code de la route, ne comprennent pas français mais affirment qu’ils sont détenteurs de permis », s’étonne Arnaud, étudiant en Droit.

Un fonds de roulement pour des retraités…

«Ces jeunes que vous voyez conduire les clandos n’en sont pas les propriétaires », déclare un enseignant du quartier Yoff. Beaucoup d’autres personnes interviewées ont avancé que la majorité des propriétaires de clandos sont des fonctionnaires à la retraite. Ceci n’empêche pourtant pas l’arrêt régulier de ces véhicules par les agents de police. «Tout le monde sait qu’on n’a pas tous les papiers.
Les policiers font ce qu’ils veulent. Ils nous arrêtent parce qu’ils savent qu’ils gagnent beaucoup d’argent avec nous », raconte Mamadou, conducteur de clando à la Pâte-D’Oie. «Mon patron est un militaire à la retraite. Quand la voiture va en fourrière, c’est lui qui s’en charge», ajoute-t-il. Si les clandos appartiennent pour la plupart à des retraités, il faut souligner qu’ils occupent un nombre très considérable de jeunes sénégalais.

… Un travail pour les jeunes sans emploi

85 % de la population sénégalaise a moins de 20 ans. Le problème de l’emploi constitue un casse-tête à la fois pour les jeunes et pour le gouvernement. Le clando est devenu la source de revenu pour plusieurs dizaines de jeunes qui ont une petite connaissance de la conduite. «Ça fait 7 ans que je fais le clando. J’avais un patron, mais après moi-même, j’ai acheté ma voiture », déclare Assane, la trentaine à peine. « Moi ça me permet, depuis deux ans de prendre soin de ma famille. C’est grâce au clando que j’arrive à payer la scolarité de mes 2 enfants », témoigne Djibril, un jeune Guinéen.
Tout comme ce dernier, beaucoup d’autres conducteurs ont affirmé que le clando est une porte de sortie. Certains avancent d’ailleurs que le jour où l’Etat décide d’arrêter ce mode de transport qu’ils « prendront le barça » (ndlr : ils vont émigrer par pirogue en Europe). D’autres n’aiment pas d’ailleurs qu’on les appelle conducteurs de taxi clandestins. « Nous ne sommes pas dans l’illégalité. Nous aidons plutôt l’Etat », affirme Mohamed, un conducteur. Pour certains de leurs confrères qui exercent dans le secteur officiel, c’est plutôt l’Etat qui doit prendre ses responsabilités tout en commençant par régulariser la délivrance des permis. « Le permis n’a plus de prix.
On peut l’avoir n’importe quand à condition qu’on ait un peu d’argent », déplore Latif, un receveur des bus officiels de transport en commun. Quant à la question de savoir si ces taxis clando constituent une menace économique pour les bus officiels de transport, Latif semble n’y voir aucune gêne : «On peut les laisser travailler. Ils ne sont pas nos concurrents ».