Un grand tournant chez Ecobank

Les dernières assemblées générales d’Ecobank Transnational Incorporated (ETI) marquent un tournant à plusieurs niveaux. Après une forte période de progression, la Banque aborde l’ère de la maturité sous le regard vigilant de ses nombreux actionnaires, grands et petits, disséminés dans toute l’Afrique.

Tenues à Lomé le 16 juin 2012, les assemblées générales d’Ecobank Transnational Incorporated (ETI) marquent un tournant à plusieurs niveaux. Cette rencontre à laquelle ont pris part des délégations, venues des 32 pays d’implantation de la Banque, était une sorte de messe d’adieu en l’honneur du directeur général, Arnold Ekpe, qui aura dirigé la Banque entre 1996 et 2001 puis entre 2006 et 2012.

Arnold Ekpé aura ainsi gouverné la Banque pendant 12 de ses 24 ans d’existence. Sous sa houlette et avec l’appui des actionnaires, pères fondateurs, la banque a changé de visage. Depuis cinq ans, ce changement a pris les allures d’une accélération, d’une course à la taille et au positionnement visible par les chiffres. Ainsi, l’on est passé d’un total bilan de 3,5 milliards en 2006 à 17, 2 milliards aujourd’hui, grâce à la croissance organique et à la croissance externe. Le réseau de seulement 305 agences répertoriées dans 15 pays en 2006 totalise aujourd’hui 1 151 agences disséminées dans 32 pays. Si le nombre de clients était largement inférieur au million (0,6 millions) en 2006, il dépasse aujourd’hui les 8 millions. Ce prodigieux accroissement a installé la banque panafricaine dans un modèle transitoire où il est difficile de maintenir les standards de performances.

Entre 2006 et 2011, le total bilan a plus que quadruplé, le résultat net ne s’est lui apprécié que de 2,4 fois depuis le big bang de 2006. Cela s’explique aisément, comme nous a précisé Arnold Ekpe, en aparté, par le fait qu’Ecobank est une «banque jeune, en plein expansion».

Autrement dit, cette expansion géographique dans le «Middle Africa» est un pari sur l’avenir. S’il fallait les définir par ses cash flows futurs ramenés à ses coûts de risque, les actifs d’Ecobank seraient l’un des plus prometteurs pour tout investisseur. En effet, la Banque investit une zone de faible sous bancarisation où tout est faire et où elle compte à terme jouer les premiers rôles.

Inquiétude des petits actionnaires

Cette vision optimiste du futur se heurte cependant à l’impatience des petits actionnaires qui n’ont que le dividende comme élément d’appréciation du management. Certains actionnaires originaires de pays francophones (à faible culture boursière en général) ont ainsi fait part de leurs remontrances par rapport aux 55 millions de dividendes distribués sur un résultat net de 207 millions. Il s’agit pourtant d’un taux de distribution de plus de 20% qui aurait ravi n’importe quel trader à la Bourse de New York, là où les taux de distribution dépassent rarement 0,2%.

En fait l’inquiétude de ces petits actionnaires est à plusieurs niveaux. En plus de la rémunération de 0,4 cents par action, il y a aussi le spectre de la dilution incontournable pour une banque qui a vu son capital progresser de 16 millions de dollars en 1988 à quelque 1,2 milliard de dollars au 31 décembre 2012. C’est un projet capitalistique pour une banque obligée de tenir en respect la concurrence. Pour financer les acquisitions et faire face aux relèvements du capital minimum, il a fallu faire appel à des fonds. D’où l’arrivée de nouveaux actionnaires que sont Nedbank (par le biais d’un prêt convertible et d’une convention de participations croisées) et du fonds sud-africain PIC (fonds de pension).

Ces deux partenaires concentrent aujourd’hui 40% du capital d’Ecobank, au-delà de la minorité du blocage. S’il est de notoriété publique qu’un fonds de pension (en l’occurrence PIC) n’a aucune vocation à prendre le contrôle d’une banque, il n’en va pas moins que la montée en puissance de l’actionnariat sud-africain, n’est pas sans soulever des questions, voire des postures de résistance de la part des actionnaires minoritaires, voire de quelques pères fondateurs. La transformation d’une banque de chambre de commerce en une banque panafricaine a forcément un prix. Les actionnaires sudafricains ont apporté plus de 500 millions de dollars d’argent frais (285 pour Nedbank et 250 pour PIC). De nombreux petits actionnaires n’ont pas pu suivre les derniers appels de fonds et ont été confronté à la dilution Seule une évolution notable du cours boursier aurait pu compenser le problème du dividende.

Or, à Abidjan, le titre est passé de 140 000 à 38 000 f CFA, dans un environnement, faut-il le rappeler, atone et baissier. Cette correction sévère ne reflète à notre sens ni les fondamentaux ni la réalité d’un futur prometteur, encore moins une information stratégique. Cette correction est, ainsi que nous le confirme un analyste de la place, le résultat de l’évolution d’une Bourse déconnectée de la réalité, peu animée et où les fonds anglosaxons, maintiennent leurs positions en attendant que les choses reprennent. Il n’est pas exclu que la banque emboite le pas de certaines grandes compagnies africaines en cherchant une cotation à Londres, Paris, ou dans une grande place financière où la valorisation est plus proche de la réalité. Ces inquiétudes manifestées par ces petits actionnaires constituent à n’en pas douter, la feuille de route du successeur du directeur général sortant. Présent à ces assemblées générales, Thierry Tanoh, futur CEO, prendra ses fonctions en juillet avec pour objectif de consolider le modèle et de construire une institution de classe mondiale.

La feuille de route de Thierry Tanoh, successeur d’Arnold Ekpe aura peu de repit. Il trouvera sur sa table de chevet le schéma d’une banque qu’il faut consolider et mûrir dans ces différents pays d’implantation. A commencer par le Ghana et surtout le Nigeria où l’acquisition d’Océanic Bank et ses 14 000 collaborateurs a fait bondir la banque panafricaine de la quatorzième à la quatrième place. Si l’évolution du dividende restera (ratio de distribution en baisse depuis 2008) sera l’un des premiers éléments d’appréciation de son apport à la Banque, Tanoh devra par contre compter sur la sagesse des investisseurs pour redresser un cours baissier sur Abidjan, Lagos et Accra.