A l’Apr, on adore les transhumants ! Par Momar Mbaye

Dans la savane de l’Apr on fait feu de tout bois. Y compris du bois vivant que la formation politique au pouvoir n’hésite pas à se procurer pour les besoins de sa cuisine « locale ». Inspirée de la coalition Bby, la plus hétéroclite qui soit, l’Alliance pour la République (Apr) est en train de réussir un grand pari : celui du débauchage et de la transhumance politique.

A l’Apr, certains parmi ceux qu’on a combattus hier et critiqué la gestion sont accueillis à bras ouverts, s’ils acceptent de se renier. Leur débauchage se marchande, leur transhumance politique se monnaie. Parce qu’à l’Apr, les transhumants, on en redemande.

Peu importe la qualité du « produit », peu importe l’idéologie politique. Inutile de rappeler qu’à l’Apr, il n’y a pas d’idéologie politique. Socialiste, communiste, libéral ou sans idéologie, antilibéral même, vous êtes le bienvenu à l’Apr : l’essentiel c’est d’y larguer les amarres, histoire de gonfler les chiffres.  

Une histoire qui se répète si elle ne bégaie pas. Les mêmes procédés d’Abdoulaye Wade tant décriés sous l’alternance, refont surface : on parle de rupture tout en conviant à sa table des collaborateurs d’un régime qu’on accuse d’avoir pillé les deniers publics, d’avoir plongé le pays dans une impasse. En somme, on prend les mêmes, et on recommence.

A l’image du Pds au pouvoir, un ralliement à l’Apr n’est jamais gratuit, s’il n’est grassement rétribué, politiquement conseillé pour certains parmi ceux qui ont maille à partir avec la justice en ces périodes d’audits. Socialiste sous Senghor, Dioufiste sous Diouf, libéral sous Wade, antilibéral avec Macky, la carrière de certains acteurs du landerneau politique s’effectue en dents de scie, guidés sont-ils, par leur intérêt du moment. Ils sont avec les tenants du pouvoir, quels qu’ils soient.

Or, pour nombre de responsables politiques de l’Apr, massification du parti est souvent synonyme de débauchage tous azimuts, de transhumance politique. Chaque semaine avec son lot de personnalités à coopter pour grossir les rangs de la formation politique au pouvoir. En vue des locales de 2017, l’Apr est prête à tout. Elle multiplie les opérations de débauchage jusque dans les rangs de partis alliés, quitte à solliciter au passage, la crème comme la « racaille » du Pds.

La mayonnaise Rewmi ne prend pas, on jette ses filets dans les eaux socialistes, espérant effectuer une grosse prise, et pourquoi pas, le « mérou » de la capitale. Comble du ridicule. Grossir les rangs du parti au pouvoir, à n’importe quel prix, quitte à susciter le rire ! Car à défaut de faire transhumer le « Khalifa » de Dakar, on s’est contenté d’appâter ses conseillers, d’essayer de les faire migrer vers les grasses prairies d’un parti politique qui, quoiqu’embryonnaire, a réussi, en trois ans d’existence, l’objectif que le Pds a mis vingt-six longues années à atteindre.

Mais une fois au sommet du pouvoir, l’Apr devra nécessairement redescendre à la base, effectuer un travail de terrain, d'implantation qui demande des années voire une décennie d’investissement. Or, le temps ne joue pas en faveur de l’Alliance pour la République, qui ambitionne d’étendre ses tentacules, mais doit aussi répondre à la demande sociale croissante, et réaliser dans le concret le « Yokkuté » si cher à son président. Mettre fin aux délestages intempestifs, les coupures d’eau devenues monnaie courante, l’insécurité grandissante à Dakar et dans les régions, entre autres.

Macky Sall et ses proches l’ont bien compris : une défaite aux locales prochaines, est synonyme de désaveu. D’où cette course folle au débauchage et cet appel aveugle à la transhumance. Car avant de perdre le pouvoir, Wade a d’abord perdu la confiance du peuple sénégalais du fait de son incapacité à répondre à ses préoccupations immédiates. Il a ensuite été malmené aux législatives, laminé aux locales de 2009 puis invité à quitter le pouvoir trois années plus tard. Étouffant sous le poids des urgences multiples, l’Apr qui fête ce 25 mars 2013 l’anniversaire de son accession au pouvoir, a bien des raisons de redouter le syndrome du mandat unique, devenu une tendance dans beaucoup de démocraties où les populations ne se contentent plus que de paroles. Il faut donc à l'Apr, faire du remplissage dans ses rangs : coopter, recruter, recycler, en d'autres termes, recourir à la transhumance. Parce qu’à l’Apr, si on adore autant les transhumants, ce n’est pas parce qu’on les porte dans son cœur, mais parce qu’on croit fermement, à tort ou à raison, qu’on est obligés de faire avec, à défaut, se les mettre à dos. De quoi se demander si l’Apr, Alliance pour la République, ne serait pas en passe de devenir l’Aprt, l'Alliance, pour une République… de Transhumants.

Momar Mbaye