Décoloniser l’enseignement en Afrique ?

Parmi les défis de l’école africaine, il y a la lancinante et pourtant très cruciale question de la décolonisation de l’enseignement en l’Afrique. C’est l’avis d’Achille Mbembe, historien et professeur à Witwatersrand university en Afrique du Sud, et de Felwine Sarr, économiste et professeur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis Sénégal.

Décoloniser le savoir et l’enseignement, « c’est une question de survie », a affirmé Achille Mbembe, selon qui « le continent africain en a besoin ». Comme le processus de colonisation de l’enseignement en Afrique s’est inséré dans la durée, il y a eu une élite acquise à l’idée que le vrai savoir venait d’ailleurs. Ce que nos sociétés avaient produit ne valait rien.

« C’est un appauvrissement de la sensibilité humaine », a déclaré Felwine Sarr. Ces deux universitaires prennent part, à Dakar, à la 3ème édition des « Débats du Monde ».

Il y a eu ce qu’on appelle de la violence épistémique en Afrique et en Asie où on mettait en place les processus de domination » ; ce qui a permis de dévaloriser ces populations. Pour illustrer son idée de départ, le professeur d’université camerounais convoque les archives produites par l’humanité.

« Le savoir hérité de la colonisation a produit parfois des effets dévastateurs qu’on voit dans la vie psychique, mais aussi matérielle des gens », a rappelé Achille Mbembe.

C’est ce que son confrère sénégalais, Felwine Sarr, a appelé « une critique de l’anthropologie coloniale qui a regardé l’autre à travers le prisme de l’infériorité culturelle et de la supériorité culturelle occidentale.

Ce qui a créé des ennemis là où il y en n’avait pas.

Les travaux des anthropologues « afrikanistes » le montrent bien. Certains même sont les germes de drames comme la création des Hutus et des Tutsis issue des Allemands et des Belges. C’est eux qui les ont essentialisé et qui en ont fait des absolus. C’est l’un des germes du drame de 1994 (le génocide au Rwanda, Ndlr). Il y a une nécessité de faire ce travail ».

Les deux intellectuels africains sont revenus sur l’exclusivité d’un savoir africain. « Il y a des savoirs qui ont voyagé et qui sont loin de leur lieu natif », a prévenu d’abord M. Mbembe. « Ce dont nous héritons vient du monde dans son ensemble. L’Afrique fait partie du monde. Il y a l’émergence des sciences, des techniques, des systèmes politiques. Il n’y a pas lieu de parler de séparation », a-t-il ajouté.

Certes. Mais il y a une arrière-pensée réelle dans l’évocation de la thématique d’un savoir exclusivement africain.

« C’est parce que la part de contribution de l’Afrique au monde n’est pas assez reconnue que cette revendication existe. Nous sommes parfois appelés à répondre à ce genre de question, et je pense que ce n’est pas forcément nécessaire », a éclairé le Pr Sarr.

Pour cela, Achille Mbembe a relaté une joute intellectuelle marquante dans l’histoire africaine en faisant référence « au fameux texte de Senghor intitulé : « Ce que l’homme noir apporte ».

A l’époque, on lui avait posé la question : « Qu’est-ce que vous avez inventé ? » Césaire (préférait répondre autrement) en disant : « Ceux qui n’ont rien inventé, ni la poudre, ni la boussole ».

Ce qui n’est pas vrai du point de vue historique.

Il nous faut refuser ce type d’interpellation. Elle n’est pas fondée historiquement. Nous sommes co-auteurs de ce patrimoine à différents niveaux ».