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Professeur Cheikh Tidiane Touré, enseignant à la Faculté de médecine : « Nos universités sont loin d’être adaptées au système Lmd»

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Professeur Cheikh Tidiane Touré, enseignant à la Faculté de médecine : « Nos universités sont loin d’être adaptées au système Lmd»
Dans cette deuxième et dernière partie de l’entretien avec le Professeur Cheikh Tidiane Touré, il s’attaque au système Lmd tel que conçu dans nos universités et au Cames également. Aussi, Pr Touré indique-t-il qu’il est temps de mettre fin au gaspillage de ressources très importantes, inopportunément investies dans l’enseignement supérieur sénégalais pour des niveaux de performances extrêmement faibles. Cette situation, pour lui, a trop longtemps duré et il faut y mettre un terme en entreprenant une véritable mise à plat, suivie d’une reconstruction du système.

Une université, ce ne sont pas seulement les cours, ce sont également les infrastructures, pour ne pas dire les équipements. Comment les trouvez-vous ?


D’emblée, je dois préciser que le sous-projet architectural d’un établissement d’enseignement supérieur, de même que tous les autres sous-projets, doit procéder du projet institutionnel, du projet pédagogique. Il est aussi entendu que les méthodes classiques d’enseignement, notamment le cours magistral, sont peu performantes quant à l’acquisition de connaissances et d’aptitudes. Aussi, le cours magistral devrait-être l’exception. Alors, finie l’ère des grands amphithéâtres ! Il faudrait multiplier les locaux de taille petite à moyenne devant permettre un enseignement actif, participatif, interactif. Le concept Lmd doit influencer le modelage de l’environnement, la conformation, l’architecture des universités dont il faut aussi retenir que ce sont aussi des espaces de vie. A l’Ucad, il s’est agi d’une attitude irréfléchie de fuite en avant par la construction de méga-amphithéâtres pour enseigner des étudiants dont la majorité d’entre eux échoueront aux examens. Cela n’est pas acceptable ! Là, il est vrai aussi que l’intervention des politiques a été déterminante dans cette course vers le mur. Il fallait concomitamment assurer une maîtrise des flux d’étudiants. La modernisation des bibliothèques et des laboratoires est primordiale avec la nécessité d’acquérir et de créer des documents pédagogiques. La production de manuels d’enseignement par un travail collaboratif entre enseignants est également une source accessible au regard du potentiel représenté par un corps enseignant abondant et de qualité pour certaines filières.

L’existence fréquente d’une version numérique des documents et autres périodiques et la numérisation de la production du corps professoral devraient offrir une plus grande disponibilité d’ouvrages aux apprenants.
Il apparaît ainsi sous-entendu qu’un plus grand effort devrait être axé sur l’amélioration du numérique. Cela est possible ; les compétences existent ; il faut davantage en affirmer la volonté même si des obstacles perdurent au niveau des fournisseurs d’accès. Il faut noter l’obsolescence de l’infrastructure de télécommunications et les performances relativement faibles du réseau Internet ; la bande passante reste très basse et les coûts d’utilisation parfois prohibitifs. J’ai évoqué plus haut, le problème des laboratoires qui sont nécessaires, d’une part, à la formation des étudiants et, d’autre part, à la recherche. Il faudrait les moderniser. Bien entendu, là aussi, la création et la modernisation des laboratoires devraient être sous-tendues par un cahier des charges fondé sur un projet global de recherche de l’établissement universitaire, lui-même articulé au projet institutionnel.


Qu’en est-il de l’évaluation de ces aspects de l’environnement matériel, des conditions de la formation ? Le Cames est-il compétent pour l’assumer ?


Il est évident que la création, la construction de tous ces établissements universitaires découlent d’une décision des politiques. Cela est valable pour les établissements publics comme pour les privés. L’Ucad représente une exception, une bonne partie de son patrimoine ayant été érigé avant l’indépendance, selon des modèles français. Malheureusement, ce modèle français, déjà obsolète à cette époque, a été reproduit par nos gouvernants successifs après l’indépendance. Nos universités sont loin d’être adaptées structurellement au système Lmd !


De surcroît, depuis l’indépendance, nos gouvernants ont fait preuve d’imprévision, si ce n’est carrément d’incurie. La finition de l’Université Gaston Berger a été bloquée du temps du Président Senghor, semble-t-il sur injonction des organismes internationaux. Ceci a été le cas aussi pendant le magistère du Président Diouf, notamment aussi quant à la création de nouvelles universités. Pourtant, déjà dans les années 70, les prévisions démographiques laissaient présager une arrivée massive de jeunes bacheliers dans l’espace universitaire.


Dans les années 2000, un autre Président (Wade : Ndlr) a préféré ériger une statue à coup de milliards, construire inopportunément un théâtre, organiser sans grand bénéfice pour notre pays une Conférence de l’Oci et un festival ; autant de coûteuses réalisations de prestige dont le financement aurait permis de construire de nombreuses universités. A mon sens, tout cela représente une véritable incurie, sans doute aussi grave sinon plus que les autres, car il obstrue l’avenir de milliers et de milliers de jeunes Sénégalais. Et la décision d’octroyer massivement des bourses aux étudiants (dont bon nombre ne se préoccupent pas d’étudier). Ce qui continue ainsi à priver l’Université sénégalaise des ressources nécessaires à sa vitalité.


Et par ailleurs, en 2015, les rares étudiants qui pourraient malgré tout achever leur cursus dans ces établissements universitaires, surtout à l’Ucad, seraient en possession d’un diplôme quasi factice car ne correspondant souvent pas à une véritable compétence, à un savoir-faire. Ils seront de potentiels chômeurs ! C’est depuis longtemps la réalité.


Ce qu’il faut, c’est concevoir ou moderniser les projets pédagogiques de nos établissements universitaires pour former d’abord nos jeunes à des métiers pouvant leur permettre d’obtenir du travail ; et s’ils en ont l’opportunité, ils pourraient encore étudier et se qualifier davantage : c’est cela le projet Lmd.



Alors, selon vous, quelles sont les perspectives ?


Il faut une autre politique d’éducation au Sénégal qui devrait être axée sur la formation des jeunes à des aptitudes devant leur permettre d’obtenir d’abord un emploi. Le système Lmd a fait la preuve de son efficacité dans l’atteinte de ces objectifs. Il permet également la formation des futurs formateurs et chercheurs de haut niveau.


Cependant, un problème crucial demeure : celui de l’évaluation institutionnelle.


Comment peut-on apprécier les progrès ou le déclin d’une institution universitaire si non ne l’évalue pas périodiquement sur ses différentes composantes ? Voici ce que l’on peut lire sur le site de l’Institut international de planification de l’éducation de l’Unesco : «La rapide expansion des systèmes d’enseignement supérieur a donné naissance à un plus large éventail de fournisseurs. La mondialisation a ainsi élevé le niveau de la fraude académique : «usines à diplômes», fournisseurs qui se «défilent», fausses institutions ou faux diplômes. D’où une exigence accrue pour des organisations crédibles, qui peuvent rétablir la confiance en établissant des méthodes d’assurance qualité» ; des propos qui confortent le credo actuel.


Certes, le Cames intervient dans la validation, la reconnaissance des diplômes universitaires, sur l’agrément des curricula de formation. C’est ce rôle qui lui était dévolu jusqu’à présent. Cependant, le Cames a-t-il la capacité, les compétences techniques pour assumer les charges d’organe d’accréditation des établissements universitaires ? Parce que les critères dévolus à cette fonction tiennent aux conditions d’enseignement : environnement ; infrastructures ; équipements pédagogiques ; personnel enseignant ; etc.


Oui mais le Cames possède-t-il les ressources nécessaires, les compétences pour remplir ce type de mission ? 


En tout cas, des modèles ont fait preuve de leur efficience aux Etats-Unis, depuis un siècle déjà et en Europe, depuis une vingtaine d’années. En Amérique du Nord, ces deux rôles sont dévolus respectivement à des organismes différents. Le Cames doit-il en même temps assurer les missions de validation des diplômes et celles de gestion de la qualité ? Ce n’est pas l’usage dans les modèles précités qui offrent plus de transparence et de crédibilité. Il faudra bien créer un véritable organe chargé de promouvoir l’assurance qualité. Il n’est pas certain que le Réseau pour l’excellence de l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest (Reesao) joue un rôle réellement conséquent dans ce domaine.


Pour ma part, j’avais suggéré la création de ce type d’organe d’accréditation dans le cadre de la réunion organisée à Bamako, en 2005, par l’Organisation ouest-africaine de la santé (Ooas), consacrée à l’harmonisation des curricula de formation dans les spécialités chirurgicales dans notre Sous-région.


L’acceptation de ma proposition s’est traduite par la création d’une commission chargée d’inspections périodiques dans les différents sites de formation chirurgicale de nos pays. Au terme de ces missions, l’accréditation pourrait être accordée, confirmée ou retirée. Le Cames procède-t-il de la sorte ? L’accréditation accordée par le Cames est-elle à durée indéfinie ? Avec quels critères d’appréciation ? Sinon, comment expliquer l’accumulation d’anomalies de toutes sortes dans certains établissements qui ont pourtant obtenu l’agrément du Cames ? Cet organisme évalue-t-il objectivement les performances de nos institutions de recherches ? Parce que, dans ce domaine, des collègues sont parfois et souvent en mal de promotion académique pour insuffisance de production scientifique. Il demeure avéré que la grande majorité des jeunes Sénégalais ne sont pas préparés à l’entrée à l’université. Dans le fond, leur enseignement est obéré par des lacunes dans les disciplines fondamentales ; il faudrait davantage actualiser les programmes de l’élémentaire et du secondaire au regard des acquisitions nouvelles. 


La maîtrise de la langue française doit être améliorée : personnellement, il m’arrive de corriger deux à quatre fois des manuscrits de thèses de Doctorat de médecine d’étudiants ; essentiellement pour des problèmes de vocabulaire, de syntaxe, de grammaire.


Cependant, le problème de l’enseignement à l’élémentaire et au secondaire est également d’ordre formel : car il faudrait déjà initier l’élève à des méthodes d’enseignement en adéquation avec celles du supérieur. Il incombe à l’enseignant d’appliquer des méthodes participatives, actives, interactives en vue de préparer l’élève, futur étudiant, à sa prise en charge de sa propre formation. Encore faudrait-il que cet apprenant puisse s’épanouir dans les établissements de formation qui devraient être construits selon des normes spécifiques modernes. Et là, sur ce point, j’ai quelques inquiétudes quant au projet de création de nouvelles universités. Incidemment, j’ai suivi à la télévision la présentation du projet de l’Université de Diamniado. Un élément m’a frappé : j’ai décompté dans l’exposé trois à quatre amphithéâtres, peut-être même plus, de 1 000 à 1 500 places. Nous sommes en 2015 et que les universités ne se construisent plus de cette façon-là ! La seule question que je poserai est la suivante : à côté du projet politique de création d’une université, y a-t-il un projet institutionnel, pédagogique pour le matérialiser ? Je le répète, ce projet-là doit être à la base de tout.


Il est aussi notable de constater que les politique se sont investis dans la création en nombre d’écoles de for­ma­tion aux métiers : cette voie de­vrait être salutaire pour l’accès au mar­ché du travail de personnes qualifiées et aussi pour résorber la pléthore d’effectifs d’étudiants dans les universités.



13 Commentaires

  1. Auteur

    Anonyme

    En Juin, 2015 (15:23 PM)
    SENEGAL LUTTE DANSE FOOT RÉK PERTE DE TEMPS RÉK
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  2. Auteur

    Anonyme

    En Juin, 2015 (15:42 PM)
    un professeur qui sait bien
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    Auteur

    Anonyme

    En Juin, 2015 (16:02 PM)
    Il faut remplacer le francais par l'anglais dans l'enseignment du senegal. C est ce la l avenir pour nos enfants.
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    Auteur

    Deugdji

    En Juin, 2015 (16:10 PM)
    Analyse trés pertinente cher professeur
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    Auteur

    Pap S

    En Juin, 2015 (16:54 PM)
    C'est heureux de constater que l'esprit critique n'est pas mort au Senegal. Pour qui connaît CTT, il est dans droit dans ses bottes comme toujours. J'espère que ses propos auront un écho au Senegal comme c'est déjà le cas en Afrique.

    Rompre avec le gaspillage des ressources humaines est un élément clé du développement.

    Merci.
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    Auteur

    Anonyme

    En Juin, 2015 (17:12 PM)
    merci Prof et d'ailleurs tout le système éducatif sénégalais est hors norme et obsolète

    il faut beaucoup de courage de conviction pour tout changer

    Nous sommes entrain de sacrifier bcp de générations en ce moment

    l'enseignement n'est plus au niveau de collectes des connaissances que son étudiant dans la plupart des cas l'Etudiant est en avance sur l'enseignant ou bien ils puissent à la mm source ?
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    Auteur

    Anonyme

    En Juin, 2015 (18:47 PM)
    la moitié des étudiants annonent le Français en arrivant à l'Universiré et n'ont aucune culture .......résultat c'est la Bérézina !!!!!
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    Auteur

    Medecin Anonyme

    En Juin, 2015 (21:30 PM)
    Heureux d'avoir été votre élève.
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    Auteur

    Anonyme

    En Juin, 2015 (12:05 PM)
     :emoshoot:  :emoshoot:  :emoshoot:  :emoshoot:  :emoshoot:  :emoshoot:  :emoshoot:  :fbhang:  :fbhang:  :fbhang:  :fbhang:  :fbhang:  :fbhang: 
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    Auteur

    Ana

    En Juin, 2015 (00:25 AM)
    Un des meilleur médecin au monde.

    Doué et généreux Dans son domaine le médical.

    Que dieu vous garde.

    L'Afrique à besoin D'homme comme vous !
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    Auteur

    Anonyme

    En Juin, 2015 (14:31 PM)
    Merci professeur pour cette analyse pertinente qui j'espère aura écho au Sénégal d'abord et en Afrique aussi.



    Le Sénégal a besoin d'hommes de votre niveau.



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    Auteur

    Anonyme

    En Juin, 2015 (01:38 AM)
    Tres belle analyse d'un professeur membre de l'academie francaise de chirurgie, prix d'exellence de la 6eme a la terminale.
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    Auteur

    Dr Sd

    En Juin, 2015 (10:02 AM)
    Merci professeur pour cette belle analyse. Comme vous l'expliquez si bien : un projet universitaire doit être réfléchi dans sa globalité avant de construire des murs...et d'y mettre un pléthore d'étudiants. Aussi tout le système éducatif doit être repensé et adapté à nos réalités tout en étant ouvert à l'international pour obtenir des universités de hauts niveaux.



    J'espère que vos conseils seront suivis par nos décideurs.





    S.DIAGNE, un de vos anciens disciples.
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