Dans cet entretien, Ashley Olson Onyango, responsable de l’inclusion financière et de l’Agritech à la GSMA, revient sur les conclusions du rapport 2025 de l’organisation concernant l’industrie de la mobile money. Elle analyse l’évolution de ce secteur, ses facteurs de croissance, son rôle dans le développement économique et social, ainsi que les défis à relever pour renforcer l’inclusion financière, notamment pour les femmes et les populations rurales.
GSMA a publié son rapport 2025 sur l’état de l’industrie de la mobile money. Comment ce secteur a-t-il évolué ces dernières années ?
Le secteur de l’argent mobile a connu une croissance remarquable ces dernières années, avec une accélération notable en 2024. Selon notre rapport 2025, le nombre de comptes enregistrés a franchi le seuil des deux milliards à l’échelle mondiale, tandis que les utilisateurs actifs mensuels ont dépassé le demi-milliard. L’industrie a doublé de taille en seulement cinq ans, après avoir mis dix-huit ans pour atteindre son premier milliard de comptes et 250 millions d’utilisateurs actifs depuis 2001.
Cette dynamique est particulièrement marquée en Afrique subsaharienne, où des pays comme le Sénégal, le Kenya ou le Ghana ont vu une adoption massive. À l’échelle mondiale, le volume des transactions a augmenté de 20 % en 2024, atteignant 108 milliards d’opérations pour une valeur totale de 1,68 trillion de dollars. Cette croissance reflète l’importance croissante du mobile money comme outil de paiement, d’épargne et de transfert d’argent, même dans les zones les plus reculées.
Cependant, cette expansion rapide pose des défis. La forte croissance des comptes enregistrés ne se traduit pas toujours par une utilisation active. Beaucoup de comptes restent peu utilisés, souvent en raison d’un manque de sensibilisation ou de compétences numériques. C’est un enjeu clé pour maximiser l’impact de cette révolution financière, notamment dans les régions où l’inclusion financière reste un défi majeur.
Quels sont les principaux facteurs ayant contribué à la vitalité et au fort potentiel de ce secteur ?
Plusieurs facteurs expliquent la vitalité du secteur de la mobile money à l’échelle mondiale. D’abord, il a levé de nombreux obstacles à l’accès au système financier formel pour des millions de personnes, consolidant son rôle moteur dans l’inclusion financière. Ensuite, l’émergence de cadres réglementaires favorables, en matière de licences, de connaissance client (KYC) et d’interopérabilité, a facilité le développement du secteur et élargi l’accès des consommateurs aux services.
L’investissement dans les réseaux d’agents a été crucial pour atteindre les populations éloignées : en 2024, le nombre d’agents enregistrés a augmenté de 20 % à l’échelle mondiale, un effort qui se reflète dans des pays comme le Sénégal avec une présence accrue dans les zones rurales. Par ailleurs, l’innovation continue a renforcé la pertinence de l’argent mobile : les transactions au sein de l’écosystème ont progressé de 20 % en 2024, avec une hausse notable de 44 % de la valeur des paiements marchands. Enfin, les fournisseurs diversifient leurs offres : 49 % d’entre eux proposaient en 2024 des produits comme le crédit, l’épargne ou l’assurance, selon notre enquête mondiale sur l’adoption.
Ces facteurs sont amplifiés par une forte pénétration des téléphones mobiles et une collaboration croissante entre opérateurs, fintechs et régulateurs, qui ont su adapter les services aux besoins locaux, comme les transferts d’argent pour les familles ou les paiements dans les marchés, notamment en Afrique et en Asie du Sud-Est.
Comment évaluez-vous aujourd’hui l’impact de l’industrie de la mobile money sur le développement économique et social, ainsi que sur la réduction de la fracture numérique ?
L’argent mobile est devenu un moteur clé de l’inclusion financière et de la croissance économique à l’échelle mondiale. Depuis treize ans, la GSMA collecte des données sur l’évolution de l’offre ; combinées aux enquêtes consommateurs et aux données Findex de la Banque mondiale, elles permettent d’évaluer rigoureusement son impact. Entre 2013 et 2023, le PIB total des pays ayant adopté ces services a été supérieur de 720 milliards de dollars à ce qu’il aurait été sans eux, soit une contribution de 1,7 % au PIB. En Afrique subsaharienne, où l’argent mobile est particulièrement répandu, cette contribution s’élève à environ 190 milliards de dollars en 2023, avec des pays comme le Sénégal, le Kenya et le Ghana en première ligne.
Quels sont les secteurs économiques qui ont le plus bénéficié de cette contribution au PIB ?
Sur le plan social, le mobile money a permis à des millions de personnes d’accéder à des services financiers pour la première fois, renforçant leur autonomie économique. Il a également contribué à réduire la fracture numérique en permettant à des populations rurales et marginalisées d’utiliser des services numériques via des téléphones mobiles, même basiques. Par exemple, au Sénégal, les agriculteurs utilisent de plus en plus le mobile money pour recevoir des paiements ou accéder à des microcrédits, ce qui améliore leur productivité et leur résilience. Cependant, des écarts persistent, notamment entre les sexes et entre les zones urbaines et rurales, ce qui nécessite des efforts ciblés pour que cet impact soit pleinement inclusif.
À votre avis, quels sont les défis majeurs à surmonter pour renforcer l’inclusion financière, en particulier auprès des femmes et dans les zones les plus reculées ?
Renforcer l’inclusion financière, notamment auprès des femmes et dans les zones rurales, reste un défi majeur. Le premier obstacle est le manque de sensibilisation et le faible niveau de culture financière numérique, qui freinent particulièrement les femmes. Ensuite, il est crucial de mettre en place des cadres réglementaires propices, favorisant l’innovation, l’accessibilité et l’abordabilité, pour libérer pleinement le potentiel socio-économique du mobile money.
Enfin, les gouvernements et les régulateurs doivent collaborer étroitement avec les fournisseurs de services financiers pour soutenir des programmes d’éducation financière. Ces programmes permettraient d’autonomiser les populations mal desservies et de promouvoir une utilisation plus large de produits financiers variés, comme l’épargne ou l’assurance, améliorant ainsi leur bien-être financier. Au Sénégal, par exemple, des partenariats entre opérateurs mobiles et organisations locales pourraient cibler les femmes entrepreneures dans les zones rurales, en leur proposant des formations adaptées et des services accessibles via des interfaces simplifiées. Ces efforts sont essentiels pour combler les écarts persistants et garantir que le mobile money profite à tous.
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