Pape Diokhané a révolutionné le traitement des faits-divers en wolof. Grâce à sa parfaite maîtrise de la technique de l’interview, qui a dérouté plus d’une petite frappe, il se fait appeler “ Inspecteur Diokhané ”. Son succès provient aussi de succulents proverbes wolof, qui agrémentent ses “ papiers ”. Retour sur le parcours original de cet homme.

Chaude poignée de main et sourire aux lèvres. L’homme très affable nous accueille dans la pure tradition sénégalaise, avec des salutations qui tirent en longueur. Teint noir, taille moyenne, bien habillé avec de grosses lunettes qui lui barrent le visage, Pape Diokhané, journaliste à Sud FM est toujours sur son trente et un. Sous les faux airs d’un dragueur rompu à la tâche, M. Diokhané croque la vie avec de longues dents. “ Dans la vie, il faut absolument tirer avantage de certaines situations qui peuvent embellir votre existence”, argue-t-il. Lui a su tirer profit de la perche tendue par les responsables de Sud FM en 1994.

À la faveur de la libéralisation des ondes, ces derniers font appel à lui pour des reportages et des émissions dans la langue de Kocc Barma. Depuis lors, il tire bien son épingle du jeu. Ses émissions ont trouvé un franc succès auprès des auditeurs. Il anime entre autres les émissions “ Lou khew tey ”, “ Lotiic kham ”, et “ Lérale ” à Sud Banlieue. Plus connu sous le sobriquet d’“ Inspecteur Diokhané ”, il fait partie des journalistes qui portent le flambeau des langues nationales, surtout le wolof, dans les radios sénégalaises. Il est d’ailleurs un des pionniers dans ce domaine.

Rien ne le prédestinait pourtant à Diokhané une carrière dans la presse, son enfance étant partagée entre les études coraniques et les petits boulots. Il est né à Thiala, dans l’arrondissement de Lambaye, département de Bambey. “ Je suis né vers… ”, rigole-t-il, sans jamais donner de date.

Son père les (lui et son frère, Abdou Diokhané) confie dès l’âge de 5 ans à son oncle, Thierno Diokhané. Ce dernier les confiera, à son tour, à un marabout du nom de Mor Nar Tine installé dans le village de Diockane Tine. Il assurera leur formation jusqu’à l’âge de 12 ans. Pape Diokhané rejoint Dakar où il s’adonne à de petits métiers comme celui de tailleur, de mécanicien à Rufisque puis au Port autonome de Dakar. Pressé de gagner de l’argent, il finit par travailler comme ouvrier dans de nombreuses usines de la place. Entre l’âge de 23 à 25 ans, il se marie. De cette union naîtra, en 1970, son premier enfant.

Formé sur le tas à l’Orts

Pape Diokhané a commencé à titiller le micro en 1972, à l’Office de la radiodiffusion télévision sénégalaise (Orts) dirigé à l’époque par feu Alioune Fall. Pape Diokhané était placé sous la responsabilité de M. Amadou Ndiaye Tounkara, directeur de la radio. Ce dernier, se souvient-il, mettait à sa disposition une équipe pour sillonner tout le pays, pour faire des reportages sur les modes de vie dans les terroirs, mais avec ce souci permanent que le sujet intéresse l’auditeur.

Parallèlement à ce travail de journaliste, M. Diokhané animait l’émission “ Diang dou wess ”, qui passait chaque mardi à 11 heures 30 minutes. Dans cette émission, qui était une sorte de cours d’alphabétisation à la radio, il était l’alphabétisé et M. Tounkara l’enseignant. Il anima cette rubrique jusqu’au 27 juillet 1977, date à laquelle M. Tounkara bénéficia d’une mise en disponibilité pour poursuivre ses études en France.

“ J’ai beaucoup appris auprès de M. Tounkara ”, témoigne-t-il reconnaissant. Toujours dans la même station, il co-animait avec Amadou Ndiaye Samb et Abdou Mbodj une autre émission, “ Dekal thiossane ”. Au cours de son passage à l’Orts, M. Diokhané a eu à côtoyer de grands noms de la radio comme Annette Mbaye D’Erneville, Bachir Kounta, Ibrahima Mbengue. Ainsi pendant 19 ans, il mena cette vie de journaliste reporter.

“ Ma formation en radio, je l’ai faite à l’Orts (actuelle Rts) ”, lance-t-il. Dans cette institution de la presse publique, M. Diokhané avait un statut de “ collaborateur extérieur ”. Un beau jour, il rompt volontairement la collaboration. Maîtrisant les arcanes du Coran et les enseignements des grands érudits dont regorge notre pays, Pape Diokhané se reconvertit en marabout. “ Je gagnais bien ma vie ”, confie-t-il. Il soutient mordicus qu’il conserve tout le savoir-faire et la science nécessaires. “ Vous pouvez faire vos recherches pour vérifier ”, lance-t-il comme un défi.

De l’art d’enquêter

Pape Diokhané mènera la vie de marabout jusqu’au 10 novembre 1994, avant de retourner à ses premières amours. Ce jour-là, à 14 heures, précise-t-il grâce à sa mémoire prodigieuse, Abdoulaye Ndiaga Sylla, journaliste au groupe Sud communication, le met en relation avec Abdou Latif Coulibaly également journaliste dans ladite structure et responsable des programmes de Sud FM, à l’époque.

“ Serigne ” Diokhané va devenir “ Inspecteur Diokhané ”. Il est alors affecté comme reporter au service wolof. Ses interviews ressemblant fort aux méthodes d’enquêtes policières, le présentateur du journal en wolof, Khaly Seck, lui donne le surnom de “ inspecteur Diokhané. “ Il est le premier à m’appeler inspecteur ”, rigole Pape Diokhané. “ Un sobriquet porte bonheur ! ”, affirme-t-il sans ambages.

La notoriété et le succès sont venus avec ce surnom, surtout avec son émission “ Lou khew tey ”. Dans cette émission, Pape Diokhané se met véritablement dans la peau d’un inspecteur de Police à la quête effrénée de preuves. Seulement, il se veut un “ inspecteur de la morale et de la vertu ”. Depuis qu’une certaine frange de la population, dans la course à l’enrichissement, a relégué au grenier les vertus morales et que d’autres ont imaginé des stratégies peu orthodoxes de survie, “ Inspecteur Diokhané ” traque, chasse ces individus qui n’honorent pas la société. À défaut de pouvoir les débusquer tous, il essaie, au moins, d’éveiller les esprits naïfs, de les amener à éviter les pièges, car dit-il, “ la société est devenue méconnaissable ”.

Son travail est si important que la Gendarmerie, la Police et le simple citoyen, victime d’une arnaque, font spontanément appel lui. Sa maison ne désemplit pas, indique King Abron, journaliste photographe au “ Soleil ”, qui semble bien le connaître. Est-il devenu directeur de conscience, à force de traquer les malfrats ? “ Non !”, soutient-il avec l’humilité propre aux gens du monde rural. Seulement, les arnaques et l’horreur, l’homme en a vu de toutes les facettes. “ J’ai vécu des moments ineffables”, fait-il remarquer.

Son dernier défi

Même si Pape Diokhané n’a pas fréquenté l’école française, son succès est incontestable. D’abord, c’est un passionné de radio. Ensuite, c’est un bourreau de travail. “ Il n’a pas un seul instant à lui ”, témoigne un proche. Il y a aussi son sens du travail bien fait. En effet, souligne Malick Ndiaye, journaliste à Sud FM, Pape Diokhané est “ un perfectionniste. Il se documente toujours sur le sujet qu’il traite ”. Autre atout tout aussi important que les précédents, Pape Diokhané est d’un abord très facile et il met à l’aise son interlocuteur d’entrée de jeu. Un trait que le journaliste Baba Diop attribue à son éducation du terroir.

Dans son travail, il utilise beaucoup de proverbes. Il n’hésite pas également à recourir à des figures de style comme l’hyperbole. “ J’essaie de coller à l’image que les auditeurs se font de moi ”, explique Diokhané. Grâce à son âge et son expérience, il conseille aux jeunes journalistes d’être très prudents dans l’exercice de leur métier noble et passionnant, mais truffé d’embûches.

“ La moindre faute, se paie cash ”, martèle-t-il. Aujourd’hui que le succès est là, “ Inspecteur Diokhané ” a un dernier combat à mener : l’utilisation parfaite du wolof par les journalistes. “ J’ai mal en entendant certains de mes confrères massacrer la langue de Kocc Barma ”.

Pour faire face à la situation, il suggère l’enseignement du wolof dans les écoles et instituts de formation des journalistes. Et, il se dit disposé à relever ce défi en dispensant des cours dans lesdites écoles. Sacré « Inspecteur Diokhané », qui ne recule devant aucune mission.