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DR MAHAMDOU LAMINE SAGNA, DIRECTEUR DE LA MAISON D’EDITION PHOENIX « Si le philosophe reste dans ses raisonnements, il ne peut entendre ce qui résonne »

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DR MAHAMDOU LAMINE SAGNA, DIRECTEUR DE LA MAISON D’EDITION PHOENIX « Si le philosophe reste dans ses raisonnements, il ne peut entendre ce qui résonne »

Après l’Exil de Ndack Kane et Destinée d’Abdoulaye Yansané, la nouvelle maison d’édition Phoenix vient de sortir sa troisième publication. Un recueil de poèmes de Nicole Barrière intitulé Afrique : Peuples de lumière et de paroles (Barrière 2009), disponible à la librairie Athéna. « La Serntinelle » s’est entretenu avec le Dr Mahamadou Lamine Sagna, professeur à l’Université de Princeton aux Usa, qui en a fait la préface et dans laquelle, il commente non seulement le texte, mais y interpelle également des philosophes sur leur silence dans cette période d’incertitudes dans le monde et particulièrement en Afrique. Conversation avec le Dr Sagna, directeur de la maison d’édition Phoenix.

« La Sentinelle » : Que peut –on apprendre de ce recueil de poèmes de Nicole Barrière intitulé Afrique : Peuples de lumière et de paroles ?

Dr Mahamadou Lamine Sagna Ce recueil est non seulement une œuvre poétique authentique mais un évènement en lui-même car sa publication instaure un débat international entre intellectuels. Je pense que le poète habite le lieu unique et indéterminé, perdu en quelque sorte, auquel la poésie, et elle seule, donne accès. Ainsi pour moi, le recueil de Nicole Barrière est un mode d’accès à l’être. Je décris Nicole Barrière comme cette géante sculpture du grand artiste Ousmane Sow qui se laisse prendre dans la trame des désarticulations, en même temps qu’elle est une sentinelle qui donne les signaux pour nous préserver des catastrophes, de la tristesse et du défaitisme qu’entraînent les logiques de la destruction de la planète. L’acte poétique auquel Nicole Barrière nous convoque est de faire quelque chose de ce que la vie fait de nous.

L.S : Face au morcellement et à la totalisation que produit la mondialisation, la poésie- art de la parole est-elle menacée par l’économie (libérale) – art de la consommation ?

Dr M.L. Sagna : La lecture du recueil Afrique : Peuples de lumière et de paroles, nous propose d’explorer d’autres lieux, d’autres problématiques comme le développement économique et s’interroge sur la perte qu’entraîne cette logique tel qu’il est prescrit par le grand Brasier (terme emprunté au poète Barrière). Le philosophe Stéphane Douailler répond à mon interpellation .En s’appuyant sur Jean-Paul Sartre qui avait fait de L’anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache (Senghor 1948) de Léopold Sédar, je m’interroger si Nicole Barrière n’est pas cette or (fée) blanche. En effet, pour le Professeur de Philosophie Stéphane Douailler, les vers qu’écrit Nicole Barrière chantant à leur tour les peuples de paroles et de lumière de la terre africaine ne renforceraient aucun chœur de philosophes, de poètes et de peuples tournés vers l’Afrique. Les chants de ces chœurs, s’ils ont existé, se seraient comme éteints dans le « grand brasier blanc. Les vers de Nicole Barrière se présenteraient aujourd’hui sur une place vide. Désertée par les paroles et lumières philosophiques, poétiques, communes, de la terre africaine. Oubliée par la langue et les productions de la négritude. Délaissée par les œuvres universelles de la raison et de la politique. L’impossible « orphéisme noir » de Nicole Barrière vaudrait vérité de la situation présente. Nicole Barrière, une « figure moderne du griot traditionnel » vient tout autant en lieu et place de ce qui manque. Conformément à un motif qui a en effet beaucoup occupé la philosophie post-sartrienne, elle en « tient lieu ». Et cette relation, prélevée aux bords du silence, de « l’horreur » et de la « catastrophe » du présent, ne se veut nouée en principe à aucun privilège du poétique. Elle vaut virtuellement pour toute langue, tout dire, tout penser. L’écart décisif est fourni par l’écart à l’égard de « la syntaxe oratoire et verbale si communément attribuée à l’Afrique ».

L.S : A vous entendre parler, il y aurait menace sur la catégorie sociale que constitue le Griot, Maitre de la parole et Dépositaire de la mémoire collective ?

Dr M.L. Sagna : Le poète qui vient à la place du griot ne transmet plus le chant des terres et chairs oubliées, martyrisées, ressuscitées. Il fait persévérer non pas la parole elle-même mais « l’art de parler par lequel vie est donnée aux faits et aux gestes ». Il maintient dans l’existence le pouvoir pour tous de cet art. Et il déchiffre et requiert, concernant l’Afrique, une Afrique qui est partout. Une africanité disséminée. Un réseau d’imitations non sensibles par lesquelles Afrique peut se dire de tout endroit de la terre. Pour ce faire, il faut élire les interstices du réel, les blancs du discours, les ensembles vides des organisations géopolitiques. Cette universalisation de la localisation africaine du penser et du dire, proposée à tout tenant-lieu qui se présentera, exige une réorganisation des données. Qu’Afrique puisse alors devenir un mot commun, capable de bouleverser le temps et l’espace de tous, fait en effet sortir le présent de son souci d’accorder des temps poétiques aux séparés provisoires de l’histoire universelle. Face à cette lecture philosophique de la lecture sociologique du recueil Afrique par Stéphane Douailler, le poète Nicole Barrière rentre dans le débat.

L.S : Revenons au recueil de poèmes de Nicole Barrière intitulé « Afrique : Peuples de lumière et de paroles « De quoi s’agit-il au juste ?

Dr Mahamadou Lamine Sagna : Il ne s’agit pas du point de vue des faits, d’évènements invisibles, ou in-sus, ou mystérieux et cachés que le poétique dévoilerait mais de choses connues, reconnues depuis des années et qui sont mises sous silence, à l’écart comme pour masquer l’écart Nord-Sud, mais un in-pensé, et ce silence, cette mise à l’écart dans les idéologies dominantes, cela porte un nom : la misère, et cette misère fait écran à la pensée, car elle est insoutenable. Elle dit la complicité des média de toutes sortes, y compris des philosophes, car depuis que la médiatisation veut des figures, les écrivains et les philosophes sont sacrifiés. Elle continue pour autant, si le philosophe reste dans ses raisonnements, il ne peut entendre ce qui résonne. Cette résonance qui est mise en avant, et si ce livre a un seul intérêt c’est cela, c’est qu’il permette à un intellectuel africain de sortir des raisonnements initiaux par le passage sensible des poèmes, d’en saisir la résonance et qui lui permettre une autre lecture. Ce que le poète porte dans son universalité alors, c’est sa liberté émancipatrice. Nicole Barrière soutient son argumentaire par des confidences, elle dit : « au retour du Sénégal, j’aurais aimé écrire un carnet de voyage, témoigner de ce que j’avais vu, mais la terrible misère, le sale temps qui s’abat sur l’Afrique m’ont arrêtée : comment écrire cette misère sans blesser ceux que j’avais rencontrés, comment rendre compte de la dureté de vie des femmes et des hommes peulhs, par exemple, sans blesser leur honneur d’êtres humains , qui sont des forces de rappel des valeurs qui ont été massacrées jusqu’y compris en Occident. » Ainsi poursuit –elle, « lorsque le président des éleveurs du Sénégal me parle de ce qui se joue , j’ai le sentiment d’entendre mon père, paysan, en lutte contre l’Europe agricole, qui a fait explosé les modes traditionnels d’agriculture et qui a aussi fait explosé les modes de relations des paysans à leur terre, et dont aujourd’hui les faux débats sur l’écologie ne prennent toujours pas en compte : la relation mystique et onirique que l’humain entretient avec sa terre, avec son nid, ce qu’exprime très bien Bachelard dans sa poétique de l’espace, mais la relation à l’espace est encore autre en Afrique ».

Pour elle, il y a cette dialectique terrible qui oppose des forces mortifères de la spéculation, qui mène à la famine , à la guerre et maintenant au fanatisme religieux, et des forces de vie qui protègent tant bien que mal les valeurs humaines, y compris la spiritualité la plus haute, qu’elle soit animiste ou d’une religion révélée ».

L.S : Il y’a six mois, vous avez été porté à la tête de la maison d’édition Phoenix. Vos trois premières publications portent sur des auteurs africains. Est-ce de là à dire que Phoenix est la chasse gardée de la diaspora africaine ?

Dr M.L. Sagna : Effectivement, Phoenix est une maison d’édition qui vise d’abord les écrivains de la diaspora africaine. Aux débats suscités par la lecture du recueil Afrique : Peuples de lumière et de paroles, on voit que la société Editions Phoenix, basée en Amérique du Nord, crée de façon effective des conversations globales pour ne pas dire universelles. Ce genre de débat confirme les dires des dirigeants de cette maison qui veulent faire des Editions Phoenix une présence africaine dans le monde.

Ensuite, les Editions Phoenix publient autant des auteurs africains que des auteurs de tous les continents. Les collections sont autant généralistes que spécialisées. Les ouvrages bénéficient d’une diffusion globale, aussi bien dans les milieux traditionnels telles que les librairies que sur les plateformes des nouvelles technologies (Internet, numérique, cellulaires, etc.). Phoenix, qui évolue dans trois registres à la fois (l’édition, l’impression et la distribution internationale) s’intéresse autant aux paroles du griot traditionnel qu’aux formes de communication électroniques les plus avancées telles que Iphone, Ipad, blackberry, palm, Kindle de Amazon où ils apparaissent déjà ou apparaîtront bientôt.



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