L’hommage au pays d’Ismaël Lo

World music . Le chanteur Ismaël Lo sort Sénégal, un vingt-deuxième album aux allures de message plein de sagesse. Rencontre.

Soir de ramadan, fin d’une longue journée de promo, Ismaël Lo vous accueille avec le sourire. N’attendez pas qu’il se plaigne : en bon père, il s’honore d’assurer l’avenir de Sénégal, son petit dernier, enregistré après quatre ans de tournées. Tendresse, quand il parle de ses vingt-deux disques enregistrés en trente ans de carrière : « vingt-deux CD, vingt-deux bébés... ». Comme le temps passe... Le 30 août dernier, Ismaël Lo a fêté ses cinquante ans. Sénégal est-il un bilan, un retour sur cette si longue carrière qui a démarré dans son pays ? « Le Sénégal est magnifique. Il y fait bon vivre, les gens y sont hospitaliers, très proches, avec une grande richesse dans l’âme. Les enfants sont éduqués par le village entier, on y apprend très tôt à rendre ce qu’on vous a donné. » À l’entendre, son pays le traverse. Des rues de Dongo Buti, qui le virent en culottes courtes, aux stades de Dakar : « Ce disque est un récit sur la vie de là-bas, le naufrage du Djoola, le mariage forcé, l’hommage à mes propres enfants, à ma maman... »

Le « bob dylan africain »

Pour qui entend le dialecte sénégalais wolof, ce disque est une chronique : Djoola évoque le naufrage du ferry sénégalais qui fit plus de mille victimes. Sur un registre semblable, Manko rappelle aux politiciens, africains et d’ailleurs, de ne pas oublier ceux qui les ont élus. Plus mélancolique, Taar Dousey évoque le problème des mariages forcés. Colère, Tass Yakar sermonne « les jeunes qui veulent brûler les étapes », chercher trop vite fortune. Caresse des syllabes, de la voix haut perchée de l’interprète au timbre unique. Isolo - c’est son surnom à Dakar - a trouvé le ton juste il y a quinze ans, et n’en change plus. Pas touche à la poule aux oeufs d’or :

Sénégal respecte la dose standard de m’balax - musique sénégalaise trépidante - et d’influences plus cool, plus mélodiques, plus proches du rythm’n’blues. L’ancien membre du Super Diamono - l’un des groupes phares de Dakar dans les seventies - a su prendre le relais, séduire la génération suivante, garder l’oreille de la jeunesse de son pays. Le « Bob Dylan africain », harmonica et guitare sèche en bandoulière, est un poids lourd de la scène sénégalaise. Sans concurrent ? Youssou’N’Dour, peut-être... On l’associe à des « stars » sénégalaises comme Omar Pène ou Baaba Maal. Et c’est son 22e album, celui de son demi-siècle, qu’il choisit d’appeler Sénégal... Pourquoi avoir attendu si longtemps ? La question agace, aiguille... Il dit avoir été touché... d’un aiguillon : « Quelque chose m’a comme piqué, au moment de baptiser l’album. Ça s’est imposé comme ça », allez savoir pourquoi.

La fierté du continent

Avec sa gentillesse, malgré la fatigue du ramadan, Ismaël Lo nous aide un peu : « La plus grande richesse du Sénégal, ce sont ses habitants. Là-bas, les choses changent avec la mondialisation, avec les images qui nous arrivent de partout. » On parle musique, de son choix de « faire planer avec du naturel », sans pétard ni vin de palme. Il évoque son respect pour les Richard Bona, Tiken Jah Fakoly, Rokia Traoré... Ces nouveaux artistes africains « qui font plaisir au continent, osent s’affirmer comme Africains, défendent l’Afrique dans une musique qui passe bien. Quand Tiken Jah chante On en a marre, tout le monde comprend là-bas. Parce qu’il chante en français, et parce que tout le monde voit bien de quoi il parle ! ». Ravi, en un mot, qu’il y ait une relève pour « ce créneau, difficile à défendre, qui existe aujourd’hui dans le monde pour la musique africaine ». Ismaël Lo claque une bise à l’attachée de presse qui s’en va, parle de son public : « Avec les Africains, le contact est direct, les gens dansent tout de suite. La culture du continent, c’est le rythme, pas besoin de comprendre. Le public français est mixte, préfère applaudir quand ça lui plaît. »

La foi dans l’engagement

Comme neuf Sénégalais sur dix, Isolo est musulman. Pour expliquer ce que sa foi apporte à sa vie d’homme, il prend l’exemple qu’il a sous la main : « Je suis, là, en période de ramadan et je fais la promo du disque... C’est fatiguant, mais la religion me donne la foi, me porte, m’aide à être pur intérieurement. » Calme, il semble prendre plaisir à scander ces vertus, comme on palpe une présence qui rassure : « Donner, partager, pardonner, savoir recevoir. Savoir souffrir, respecter la religion de l’autre. Ne jamais abandonner, conserver une croyance profonde... La religion m’aide à trouver le bonheur sur terre... » Cela n’empêche pas sa fureur froide lorsqu’il évoque le sort des immigrés sénégalais de France : « C’est lamentable, c’est déshonorant de la part de la France. Tout ce qui se passe autour... » Il en bégaye d’indignation : « Nos parents ont creusé le métro, étaient au premier front lors des deux guerres mondiales, et n’ont même pas touché une pension décente - le réajustement décidé ne prévoit même pas de rembourser ce qui n’a pas été versé auparavant ! » Politique, il raisonne : « L’Afrique a été colonisée, pillée de ses ressources naturelles et humaines. Beaucoup de ses fils diplômés vivent aujourd’hui en Europe parce qu’ici au moins, ils y gagnent leur vie. Aujourd’hui je suis là, impuissant. Ça me fait mal, ces vagues d’immigrés sénégalais qui partent vers un eldorado... Il y a de quoi faire, au pays ! ». Quinqua rouspéteur, Ismaël Lo ? Cherchez plus profond : il parle des « bateaux de fortune, avec lequel les jeunes vont mourir en mer », cherche des pistes d’espoir : « Tu vois Hiroshima ? La ville était rasée en 1945. Ils sont repartis de zéro, tu as vu où ils en sont aujourd’hui ? » Isolo gère une école au Sénégal, finance des ONG, bataille pour construire quelque chose sur place. En baptisant Sénégal son dernier petit, il semble dire à la génération suivante : « votre pays est beau, soyez-en fiers. Restez ici pour le construire, faites-en quelque chose ».

CD Sénégal d’Ismaël Lo (AZ-Universal Music).