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LES DERNIERES CONFIDENCES DE SEMBENE: « Je dois le dire avant de mourir »

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LES DERNIERES CONFIDENCES DE SEMBENE: « Je dois le dire avant de mourir »
Le 9 novembre 2006, l’ambassade de France à Dakar remettait à Ousmane Sembéne la médaille de la légion d’honneur. Bien Qu’invité à la cérémonie, je devais prendre l’avion pour les Journées cinématographiques de Carthage. Un mois plus tard je me présentais au bureau de Sembéne boulevard de la République pour parler avec lui de ses relations (je t’aime, moi non plus) avec la France, qu’il a souvent épinglée dans ses films (Emitaï et Camp de Thiaroye ). L’interview s’est déroulée le 6 décembre 2006. Ce fut la dernière, restée à ce jour inédite, que l’« Aîné des Anciens », donnait à un journaliste.

Quel sens faut-il donné à cette médaille de la Légion d’Honneur qui vous a été offerte par la France, un pays que vous avez souvent égratignée dans vos films ?

Ma candidature a été proposée par M.Renaud Donnedieu de Vabres ministre français de la Culture et de la Communication et acceptée par qui de droit, le présent français Jacques Chirac. Il s’agissait pour moi d’accepter ou de refuser. J’avoue que cela m’a personnellement perturbé. J’ai consulté mes amis au Sénégal, en Afrique et même en France car il ne faut pas oublier que j’ai vécu, une dizaine d’années parmi la classe ouvrière française, quelques-uns de mes compagnons sont encore vivants. Je leur ai expliqué que je vivais un dilemme. Me Fallait il accepter ou refuser ? Dans les deux cas, cela ne m’apporterait rien. Mais il y a aussi les sentiments personnels que je peux avoir.

Pourquoi ce dilemme puisque accepter ou refuser la médaille n’aurait rien changé ?

Parce que je désirais que l’amitié dans mes relations avec la France soit célébrée plus tard. Beaucoup plus tard. J’ai vécu à ma manière au sein du peuple de France. Je n’ai pas vécu dans le milieu universitaire. J’ai vécu au sein de la classe ouvrière française. La France, je l’ai pas connue à travers les livres. Les ouvriers m’ont beaucoup apporté. Ils m’ont apporté une grande conscience de moi, des choses, de l’orgueil, de la fierté que j’avais avant d’arriver en France mais ces sentiments ont été confirmés. J’étais responsable syndical dans ce milieu et c’était important.

Ceci ne nous dit comment vos amis vous ont convaincu d’accepter cette médaille ?

J’ai fait la part des choses. Que je rejette cette médaille cela n’aurait rien fait à la France, que j’accepte, cela n’aurait pas fait de moi une personne qui a une laisse accrochée au cou. Je l’ai acceptée en sachant que je dirai toujours ce que je pense de la France. Je crois que cette ligne était la plus juste.

Vous avez souvent fustigé la colonisation dans vos films en égratignant la France.

Oui ! Mais commençons par nous poser la question. Ayons le courage de voir nous-mêmes jusqu’à quel point nous n’avons pas été complice ou complaisant à une période donnée.

Parlons de Emitaï

Dans un film, on ne peut pas tout dire. On a seulement des séquences ou plutôt des moments de réflexion qui peut-être peuvent amener le cinéphile à réfléchir comme dans la scène où le tirailleur admire la photo de De Gaulle. ….. Avec Fontaine et Renaudeau, quand nous sommes sortis de la projection de Emitaï, au cinéma Plazza, un Blanc accompagné d’un Noir nous a craché au visage. Ibrahima Baro est là, il peut témoigner. Ce film, je l’ai présenté à Moscou, l’ambassadeur de France est sorti de la salle. Ici au Sénégal pendant longtemps, on a interdit aux Français d’aller voir le film. Tu prends La Noire de…avec ce bout de dialogue entre français quand l’un dit : « Tant que Senghor est au Sénégal nous serons bien ». Maintenant tout ceci relève du passé. Les relations ont changé.

Et dans Camp de Thiaroye ?

Camp de Thiaroye. C’est un film dans un film. Sans entrer dans des considérations politiques et je dois le dire avant de mourir. Je remercie Djibo Ka. Il était ministre de l’information à l’époque. Quelle pression, il n’a pas subie. Je crois qu’il est venu pendant les deux mois de tournage, une fois par semaine sur le plateau. Il était ébranlé par toute sorte de pression, même celle de l’armée française et l’ambassade de France au Sénégal à l’époque. Il a tenu bon. Le scénario était clair et net. Avec le président Abdou Diouf, ils ont accepté que le film se fasse. Même, mes comédiens européens subissaient une pression. C’était très courageux de leur part de résister. Le film terminé, je me souviens qu’ils l’ont projeté en catimini en présence de Jean Collin et l’ambassadeur de France de l’époque qui a quitté la salle. Collin n’y avait vu rien de dérangeant puisqu’il s’agissait d’une vérité historique. C’est ce courage que j’admire.

Quelle était la pression la plus forte ?

Ils sont même venus jusque sur le plateau de tournage au camp semant la zizanie dans l’équipe avec la complicité de certains Sénégalais. Ce que les gens ignorent c’est que j’ai été victime d’un accident en allant sur le plateau du tournage. Un camion a heurté ma voiture. J’ai toujours la photo de l’accident. Cela c’est déroulé à hauteur de Thiaroye. Cela m’amène à dire qu’en Afrique francophone, les Africains sont les ennemies des Africains hors d’Afrique nous n’avons que des adversaires.

Aujourd’hui quel type de relation avez-vous avec la France ?

Les meilleures relations. Je suis indépendant. Le jour où, on a eu l’Indépendance, le lendemain. J’ai dit, maintenant, je rentre au Sénégal. Je ne suis plus français. Je l’étais malgré moi. Depuis ce jour, j’ai renoncé totalement à la nationalité française que l’histoire m’avait imposée. Je n’ai aucune animosité à l’égard de la France. J’admire ce que ce peuple a pu faire de bon pour son pays. Je ne demande pas à un peuple de me respecter, car je me respecte, moi. Malgré mon âge tu me donnes un coup de pied, je t’en donne dix. Se respecter, c’est produire ce dont tu as besoin et vivre avec, en espérant que tes enfants auront à cœur de l’améliorer sinon tu leur montres comment ils doivent faire pour l’améliorer.

Parmi les personnages de vos films, quel est celui qui incarne votre idéal de vie ?

Personne, quand nous faisons un film, nous idéalisons la vie. La vie se déroule en communauté, Le Mbokaan, c’est-à-dire vivre en communauté. Je vais vous dire une chose, peut être que c’est une révélation. A l’époque, on n était pas nombreux à aller en Chine. En 1957 ou 58 j’étais en Chine pour voir Chou An Laï et Mao Tse Dong. A l’époque De Gaulle n’avait pas reconnu la Chine. Aller en Chine comportait des risques. Par la suite j’ai été jusqu’à Hanoi pour voir Ho Chi Min. En 1923 l’année de ma naissance Ho chi Min a publié, un livre autobiographique sur son voyage autour de l’Afrique. Il était marmiton ou boy. Faisons seulement un parallèle entre ce que nous appelons les anciens combattants africains dont nous sommes fiers et qui ont été au Vietnam sous le drapeau français. Trente ans après, du point de vue de l’assistance technique c’est l’Asie qui vient à notre secours et nous nous plastrons avec nos médailles pour dire j’ai été Diem Ben Phu. Combien y a t il eu de coup d’état fomenté par ces anciens du Vietnam, en Afrique ? Qu’ont apporté ces coups d’Etat ? Quelle leçon devrait-on en tirer ?

Votre première rencontre avec Mao Tse Dong. Ce n’était pas évident à l’époque ?

Pour aller en Chine, de Marseille, il fallait aller à Paris, cela durait une nuit. De Paris à Moscou, on mettait cinq nuits, de Moscou à Pékin, il fallait compter quinze nuits. De Pékin à Hanoi ; cinq nuits. Je parle en nuitée. Mao dans l’intimité, parlait français. Il ne faut pas oublier qu’il a écrit un livre en français à propos du congrès de 1921.

Vous n’avez jamais eu l’idée de faire un film sur cette période de votre vie ?

Non. Parlons d’abord de notre histoire.

Parlons de Samory alors, ce projet de film sur lequel vous avez travaillé des années durant. Vous n’allez tout de même pas l’abandonner ?

Il ne faut pas se laisser brider par les .choses. Je ne veux pas me laisser brider. Le scénario existe avec toutes les indications dessus. Tout le monde le sait. Si je ne le fais pas quelqu’un d’autre le fera. Pourquoi veux-tu que ce soit moi. Moi, moi, moi cela ne mène qu’à la dictature. So long Sembéne.



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