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Mots croisés avec... Tidiane Ndiaye, auteur du génocide voilé : Des érudits musulmans ont interprété abusivement les textes sacrés pour asservir les Noirs

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Mots croisés avec... Tidiane Ndiaye, auteur du génocide voilé : Des érudits musulmans ont interprété abusivement les textes sacrés pour asservir les Noirs
Anthropologue, chercheur de référence mondiale, Tidiane Ndiaye revient sur son dernier ouvrage. Il y aborde divers thèmes comme la traite négrière arabo musulmane, la résistance complicité des Africains, le rôle de certaines communautés dans l'esclavage etc.

Grioo : Voulez-vous nous éclairer sur cette légende (ou interprétation) de la ‘malédiction de Cham’, qui a tant servi à justifier l’asservissement des peuples noirs ?

Tidiane NDIAYE : En fait c’est une construction biblique, où histoire et légende se croisent. Il y est dit : ‘Les descendants de Cham étaient condamnés, à être les esclaves des lignées de ses frères Sem et Japhet.’ Mais si tant est que, les faits relatés sur une page de l’histoire de l’humanité par la Bible, furent réellement avérés, cette malédiction concernait les enfants de Canaan. Les Israélites soumirent ce peuple, lors de la conquête de la Terre Promise, si loin de l’Afrique noire. Dans la version biblique de cette légende, la malédiction (genèse, IX, 1-27), tombe sur le plus jeune des fils et pas sur les autres dont Kouch, qui serait dit-on, l’ancêtre des Noirs.

A l’origine, les Cananéens, esclaves des Israélites, étaient leurs proches cousins. Il fallait donc trouver une justification religieuse, voire idéologique à leur asservissement. Par la suite, cette légende servit de prétexte aux Atlantistes, puis aux Arabo-musulmans. Ceci parce que dans l’entreprise criminelle de déportation et d’asservissement des peuples africains, racisme et théologie se conjuguaient tout simplement, pour donner un justificatif acceptable à la condition qui leur était réservée. Alors qu’avant le 12e siècle, cette histoire qui avait conservé un caractère très abstrait, n’était associée à une quelconque couleur ou ‘race’. Enfin une précision importante : j’emploie fréquemment le vocable de ‘Arabo-musulman’ dans mon étude.

Cette approche ne présente en aucun cas, les pays musulmans comme une entité particulière ou une catégorie spécifiquement homogène sur le plan historique. Elle n’est pas une vision ‘essentialiste’ de l'Histoire, réduisant des peuples à leur religion ou à leur culture. Le fait est tout simplement que, les négriers qui ont trempé dans cette tragédie, n’étaient pas exclusivement arabes. Ils étaient aussi maghrébins, Turcs (sous l’empire ottoman), Iraniens (perses) et mêmes asiatiques, puisque le roi du Bengale possédait 8 mille esclaves africains au milieu du 15ème siècle.

Le seul point commun entre tous ces peuples négriers, était la religion sans que celle-ci en soit la principale cause. L’Islam, comme les autres religions monothéistes ont hérité de l’esclavage. Mais passant outre les recommandations du prophète Mohamed, certains érudits musulmans et autres docteurs de la loi, ont interprété abusivement les textes sacrés, pour asservir des peuples.

Grioo : Quelle différence entre le commerce triangulaire et la traite négrière transsaharienne et orientale ?

Tidiane NDIAYE : Dès le 17e siècle les Européens, bien après Venise et Byzance (Portugais et Anglais en tête, suivis de près par les Français et les Espagnols), avaient dans un premier temps, allégrement concurrencé les Arabo-musulmans en fait de chasses à l’homme et de commerce ad hoc : c’est comme on sait, la traite transatlantique, de sinistre mémoire. Il est sans doute difficile d’apprécier l'importance de la saignée subie par l'Afrique noire au cours de la traite transatlantique. Du Bois l’estime à environ 15 à 20 millions d’individus. Philip Curtin quant à lui, en faisant une synthèse des travaux existants, aboutit en 1969 à un total d’environ 9,6 millions d’esclaves importés surtout dans le Nouveau Monde, plus faiblement en Europe et à Sao Tomé, pour l’ensemble de la période 1451-1870.

De nos jours, plus de soixante dix millions de descendants ou de métis d’Africains y vivent. En revanche, la traite négrière arabo-musulmane est très largement antérieure au commerce triangulaire. Du 7e au 16e siècle, pendant près de mille ans, les Arabo-musulmans ont même été les seuls à pratiquer ce misérable négoce, en déportant près de 10 millions d’Africains, avant l’entrée en scène des Européens. Si la ponction transatlantique a duré de 1660 à 1790 environ, les Arabo-musulmans ont été à l’origine des razzias des peuples noirs et ceux qui ne veulent pas fermer les yeux, savent bien que cela continue encore au Darfour et ailleurs. Les statistiques de cette infamie - du moins celles parvenues jusqu’à nous, car ses acteurs ne tenaient pas de relations écrites au contraire des atlantistes -, sont effarantes.

Ceci bien qu’une partie des sources statistiques de ce crime reste ‘voilée.’ Cette carence m’a conduit, à travailler sur des hypothèses, des récits de griots, des recoupements et des témoignages directs ou indirects d’explorateurs. Cependant l’étude la plus crédible sur le sujet et qui m’a beaucoup servi, est celle de mon confrère américain Ralph Austin. Les travaux de ce chercheur, qui est sans doute le meilleur spécialiste de la question, font autorité. Sans chercher à minimiser le crime des Occidentaux, ses estimations ont été constamment affinées.

Ainsi, nous pouvons estimer les Africains déportés par le Sahara, au nombre de 9 millions 337 000 individus. Dans les régions proches de la mer Rouge et de l’Océan indien, 8 millions d’Africains environ auraient été transférés. On aboutit ainsi à un total de plus de 17 millions d’Africains. Ce chiffre serait même, selon certaines sources, vraisemblablement en deçà de la réalité. Il faudrait le traiter avec une marge d’erreur d’au moins 25 %, sur une période s’étalant du milieu du 7e siècle au 10e siècle.

On imagine aisément l’ampleur d’une telle tragédie à l’échelle d’un continent. Ce chiffre peut paraître très élevé, mais il faut l’étaler sur une longue période de treize siècles sans interruption. La plupart des hommes, femmes et enfants concernés, survivants et arrivés à ‘bon port’, n’ont presque pas assuré de descendance, du fait des traitements inhumains, de l’infanticide et de la castration généralisée. Ceci pour qu’ils ne fassent pas souche dans le monde arabo-musulman.

Grioo : Vous dites que d’éminents penseurs arabes ont justifié l’esclavage des noirs par leur infériorité. Est-ce cela qui explique leur élimination après utilisation et qui vous a amené à employé le terme de ‘génocide’ ? N’est-il pas trop fort ?

Tidiane NDIAYE : En fait cette déportation des Africains en terres arabo-musulmanes était dans une large mesure, une véritable entreprise programmée, de ce que l’on pourrait qualifier ‘d’extinction ethnique par castration massive.’ Il faut noter qu’au chapitre du mépris envers les Africains, l’historien Ibn-Khaldum qui fut l’érudit arabe le plus connu et écouté du 14e siècle écrivait : ‘Les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal.’ La question qui se posait donc, était de savoir, comment faire pour que ces ‘animaux’ ne se reproduisent pas en terres arabo-musulmanes. Car dès les débuts de cette traite, les négriers voulaient empêcher qu'ils ne fassent souche.

Comme cela n’avait rien de métaphysique, la castration apparaissait comme une solution bien pratique. Aussi, dans cette entreprise d’avilissement d’êtres humains, si les Arabes et les Turcs destinaient la plupart des femmes noires aux harems, ils mutilaient les hommes, par des procédés très rudimentaires et qui causaient une effroyable mortalité de l’ordre de 80 % des ‘patients.’ Ainsi, en dépit des masses énormes de populations africaines déportées sur ces territoires, seule une minorité d’entre elles, a pu laisser de descendance. Et c’était le but recherché dès le début, pour éviter qu’ils ne se reproduisent en masse et probablement créer des problèmes par leur descendance.

Il est certain que le racisme, le mépris, les conditions inhumaines d’exploitation, l’infanticide et la pratique généralisée de la castration, sont les principaux facteurs ayant permis cette quasi-disparition. Et les rares survivants ayant assuré une descendance - essentiellement issus de concubines noires des harems et objets sexuels -, sont aujourd’hui discrètement marginalisés dans ces sociétés et nommés par des termes méprisants du genre : ‘abds’ ou ‘zenjis’ qui veulent dire esclaves.

* Tidiane NDIAYE : Le génocide voilé, Gallimard 2008

 



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