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Note de lecture - « Dieu le pire » du journaliste Ibou Fall

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Note de lecture - « Dieu le pire » du journaliste Ibou Fall

Nos « sénégalaiseries » à livre ouvert !

Satire de la société wolof - le néologisme « Sénégalaiseries » est volontairement recherché -, « Dieu le pire » du journaliste Ibou Fall est une mise en situation/scène de nos réalités déroulée sur le temps séparant la vie et la mort. « Au commencement, écrit l’auteur du livre, était la meilleure créature du bon Dieu : le Wolof ». Et à la fin, le « dernier jugement ( !) ».


N’eut été sa résonance satirique (par rapport au style qui l’a fécondé et moulé dans un genre journalistique ou, globalement, littéraire), on aurait affirmé, sans risquer d’être envoyé aux bûchers comme le fut Galilée qui osa dire que la terre était ronde, que « Dieu le pire » emprunte à une étude sociologique. Avec notamment « l’homo senegalensis » comme cobaye. Perçant, semble-t-il, le mystère et le mythe de la création, tel le poète-prophète au-dessus de la mêlée, Ibou Fall rend compte d’une « réalité » : « Au commencement, relève-t-il, était la meilleure créature du bon Dieu : le Wolof ». C’est de là qu’ont commencé par ailleurs les « sénégalaiseries ». Ou, pour parler trivialement, le nombrilisme sénégalais ! Pour le Wolof « pur bissap », « personne d’autre ne serait digne de porter le sabador sénégalais. Pas le Peul, trop fourbe ses yeux ; ni le Toucouleur, trop raide ; pas le Bambara, ni le Sarakholé, trop justes ; pas le Sérère, ni le Diola, versés dans le même panier, tous des primitifs qui ne seraient bons qu’à produire du personnel domestique et d’abominables jeteurs de sorts, pas un Mandiago, ni même un Pourtoungagna, un Capverdien si vous péréférez, tous portés sur l’alcool et la magie noire… ».

Y a aussi les Gnaks, tous ceux qui vivent au sud du Sénégal, « des autochtones qui vivent de cueillette et de sorcellerie, de la vraie magie noire, sacrifices humains et anthropophagie inclus ». Selon l’auteur du livre, le Wolof s’est fait une religion : le Toubab est un mécréant qui ira en enfer. Ibou Fall aurait pu dans la même logique qui l’a poussé à évoquer la façon des Sénégalais de s’en référer aux Chinois - « borom beut yi sew yi », ceux aux yeux bridés - rappeler comment nous distinguons un Asiatique d’un Occidental. Pour ce dernier, « khonk nopp » (oreilles rouges) fait l’affaire.

L’encre railleuse, un vocabulaire fétide en bandoulière, Ibou Fall, en « romancier des frasques et déviances sénégalais », s’est arrêté, au chapitre 2 de son ouvrage, sur la plus que proverbiale formule « liguéy’ou ndèye agnoup doom » (le tribut aux mères vertueuses). « La mère vertueuse, fait-il observer, est la rampe de lancement de grandes carrières ». « Vous êtes sauvé si vous sortez des reins de celle qui aura sué de toutes ses eaux devant ses fourneaux pour que l’égoïste chef de clan se goinfre en solo et vous lègue ses restes dans un rôt retentissant, celle qui aura lessivé avec dignité les caleçons à l’odeur putride de son seigneur et maître (…), celle qui aura également fermé les yeux sur les pires félonies familiales, infidélités conjugales comprises, qui aura aussi sauvé la réputation paternelle irrémédiablement éclaboussée par des soupçons de détournements de mineure », explique l’auteur. C’est donc de la prude que naît le sauveur, « l’icône du plus-que-parfait » : « jamais fumé, jamais d’alcool…toujours la camisole pour assurer la garde des tétons et des hanches capables d’inspirer les réflexes coupables ».

A l’inverse, « la garce ne produit que de la racaille » ; Son portrait-robot : « Teint décoloré aux crèmes décapantes, perruques blondes en débandade, nichons en plongeon, hanches avares, bouts de fesses frippés en déconfiture à l’air libre, cigarette au bec ». « Y’a pire, mais ma parfaite éducation m’interdit d’aller plus loin dans les catalogues des bas-fonds », ainsi le « narrateur du vécu sénégalais » s’auto-censure-t-il. C’est un leurre : Ibou Fall ne s’est pas retenu à dire la vérité dans un langage cru, aromatisé de références scatologiques. Eh, oui ! Le mot « flatulence » communément désigné sous le vocable plus réaliste de « pet » est entré dans la composition de ses « Sénégalaiseries ». La venue au monde d’un enfant, il ne l’aborde pas sous le registre d’un langage soutenu ou d’un français classique. « Baptême » est un mot simple qu’il faut rendre autrement : « Le jour de l’intronisation du spermatozoïde nominé à l’oscar génétique ». Cette métaphore forte, il s’en sert par ailleurs pour écrire que « personne ne daignera attendre toute une journée ce thiébou yapp, quand il aura vu le rey mou dée réyoul mou dée décharné, immolé le matin même ».

Dans « Dieu le pire », il est dépeint le monde des fausses apparences et du paraître facile et futile. Pour sa lecture facile, on peut s’appuyer sur les caricatures de ODIA (Oumar Diakhaté pour l’état civil, qui réduit souvent, dans des journaux, bien de personnalités sous des traits schématiques) qui donne en opposition « doom’ou Sokhna » et « doom’ou Madame ». La première catégorie de privilégiés devraient leur « bonne naissance » au don divin fait à leurs géniteurs « qui perpétuaient la race humaine en crachant dans du sable ramassé au hasard, que leurs irréprochables épouses touillaient dans l’eau de leurs ablutions ». Une sorte d’Immaculée Conception, « version sahélienne », s’empresse de préciser Ibou Fall. La deuxième catégorie - puisqu’il y a une troisième, les doom’ou transhumants – est formée par les descendants de cet aïeul, « un très ordinaire bestiau qui pensait à ras de ceinturon, dont la technique de procréation relevait d’une affligeante banalité : il forniquait les jours pairs, et les jours d’impairs, il niquait ». « Mort accidentellement à la chasse, il aurait pu tout aussi bien succomber d’épuisement après une énième nuit de noces pour ses cent unièmes épousailles », renseigne Fall qui embraye sur son destin funeste : puisque « le Maître des Destins a tôt fait de mettre un terme à ses égarements ».

Le lecteur trouve en ce livre prolongement à la réflexion autour de la question de la transhumance. Elle est ici présentée sous plusieurs coutures. Au-delà de sa définition classique pastorale, la transhumance au sens où l’entend l’auteur de « Dieu le pire » concerne le revirement à cent degré du disciple tournant le dos à son marabout parce que celui-ci n’a par-devers son répertoire téléphonique les contacts du Directeur de cabinet du Président de la République. A quoi ça sert de se ranger derrière un marabout qui vous promet le Paradis alors qu’il n’est même pas capable de vous sortir de la dèche ? La transhumance, c’est celle aussi décrite par un ancien responsable socialiste, nouveau archiduc libéral passé dans les rangs des vainqueurs une semaine seulement avant l’avènement de l’Alternance du 19 mars 2000.

Ibou Fall plaint ce Sénégal « où plus vous montrerez dans l’échelle sociale, plus vos origines s’anobliront ». « Le jour où vous serez élu grand Khalife de la confrérie des politiciens, le soir même, un griot viendra vous expliquer comment Lat Dior et Alboury (résistants à la pénétration coloniale, Ndlr) ont usurpé le trône de votre trisaïeul, véritable fondateur de l’Empire Wolof », explique-t-il. Ça c’est le meilleur comparé au pire. Le pire, c’est quand l’homosexualité se répand comme une « gangrène ». Et « on a du mal à trouver des têtes de troupeaux dignes de ce nom », dénonce l’auteur. Qui plus est, celui-ci s’intéresse, pour s’en offusquer, aux femmes « qui n’ont d’yeux que pour les hanches et les nichons bondissants de leurs chéries ». Le lesbianisme est dans nos murs, après que l’homosexualité y a élu domicile il y a fort longtemps.

L’ouvrage d’Ibou Fall fait le listing des confréries. Pas n’importe lesquelles ! Déroutant sans cesse son lecteur, l’auteur des « sénégalaiseries » présente que de drôles de confréries et leurs curieux Khalifes. Ce titre est porté par lutteurs, chanteurs et politiciens. « On sacre Cheikh un lutteur par-ci, un mbalakh-kat par là, un lardon de politicien en divagation et quelque griot bonimenteur au passage, histoire de varier les plaisirs ». Mais dans la sphère du mbalakh, « y’a qu’un Khalife ». Chez les politiciens aussi, un seul Khalife fait la loi. « Dieu l’a fait comme Il l’a voulu, à Son Image, inusable et imprévisible ». Lui, comme l’appelle son fils adoptif préféré, il n’est pas Dieu, certes, mais c’est tout comme : Il en est le Maître. Faut le suivre aveuglément sans poser de question, et rester vigilant en permanence pour éviter les surprises. Parce que lui, il signale à droite, et tourne à gauche ». Cette dernière infraction est souvent imputée au « pape du Sopi ». Il est un génie, le « Dieu le Maître » d’Ibou Fall. Exemple de son génie : l’abolition de la peine de mort, « un génial coup d’éclat venu s’ajouter à la besogneuse plaidoirie permanente qui peine à l’innocenter définitivement dans l’affaire du magistrat mort en 1993 pour avoir pris malencontreusement une balle perdue ».

Sous nos tropiques, l’abolition de l’esclavage est également un leurre. La situation d’esclave est avant tout une destinée inévitable, en référence à notre rapport avec Dieu. On est toujours esclave de Dieu, rappelle l’écrivain qui pousse la satire jusqu’à l’hérésie. Celle-ci est portée par la conscience du malade mental, qui dans « le dernier jugement » (l’ultime chapitre de l’existence), promet à travers une discussion avec un Imam, d’accueillir Dieu sur terre - s’il y venait - avec un « gourdin ». « Il t’a fait notable dans le village, mari de plusieurs épouses, père de famille. Moi, il m’a fait le fou du village qui ne peut avoir ni femme, ni enfant parce que tout le monde me méprise… ».



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