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Prestation de serment des ministres de Wade : quand la fiction devient réalité

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Prestation de serment des ministres de Wade : quand la fiction devient réalité

Le Grand Oral Gouvernemental ou quand Wade s’inspire du personnage  principal du roman de Babacar SALL : « Le Stagiaire ».

                                              

      Tôt ce matin s’affairaient les domestiques du Palais pour essuyer, ranger et aérer la grande salle des glaces, car dans quelques jours allait se tenir l’audition du gouvernement. Chaque ministre devait faire montre d’ingéniosité pour proposer des projets et séduire le Stagiaire. L’important était moins les réalisations que la capacité à présenter des projets en nombre.

Des projets des plus incroyables, comme des plus fantaisistes étaient déclinés sous toutes les formes possibles. Qu’importe leur faisabilité, l’essentiel c’était que le Stagiaire fût subjugué et conquis. Il arrivait rarement qu’il le fût. Il trouvait toujours à dire ou à redire quelque chose. Insatisfait devant l’éternel, il critiquait, sur un ton professoral, tout ce qu’on lui soumettait.

La Grande Journée de l’Oral Gouvernemental était tellement redoutée que beaucoup de ministres et de hauts fonctionnaires de l’Etat entraient carrément dans un cycle infernal de soucis et de dépression nerveuse. C’était la période aussi où la campagne sénégalaise était parcourue de long en large par des personnalités publiques à la recherche du marabout rare, capable d’influencer l’avis péremptoire du Stagiaire. Beaucoup d’argent, de sacrifices rituels étaient à l’œuvre dans les ministères et au Palais de la République.  Au pied du bureau même du Stagiaire on procédait à des sacrifices et des offrandes. Tantôt c’était un poulet qu’on égorgeait en cachette dans le lavabo, tantôt des noix de cola posées discrètement sur son passage.

 Les actes les plus audacieux exigés par les marabouts féticheurs, pour que leurs travaux occultes aboutissent, consistaient, par exemple, à enregistrer le ronflement du Stagiaire pendant son sommeil ou à obtenir une touffe de sa chevelure. Chose impossible ! Le moindre bruit alentour le faisait sursauter. Il n’avait confiance en personne. Se méfiait de tout. Mais un jour l’inattendu advint. Dormant dans sa voiture qui le conduisait à la résidence des présidents dans le Sud du pays pour un week-end prolongé, il oublia de verrouiller son téléphone mobile. Par un prompt geste sur la banquette arrière de la limousine, il appuya par inadvertance sur les touches de l’appareil activant ainsi automatiquement le dernier numéro d’appel.  A l’autre bout, le veinard Pr Issa Diouf reconnaissant le numéro du Stagiaire, décrocha aussitôt le combiné avec son euphorie habituelle. Il racla sa gorge de toute salive résiduelle, éternua et épura ses narines. L’homme en une fraction de seconde était paré de tous ses beaux atours, reluisants d’orgueil et d’ambition démesurée. Le marabout lui avait dit : « Si tu réussis à capter le ronflement de ton chef, tu prendras un jour prochain sa place. » Lui qui ne rêvait que d’être ministre d’Etat, se vit subitement chef d’Etat, khalife à la place du khalife. Il n’en revint pas. Un sentiment de surpuissance l’habita : il pouvait soulever une montagne, atteindre, de par sa nouvelle stature, le faîte du ciel. Lui, devenu grand et enfin respecté, voire craint. Lui, à un pas de la consécration et de la visibilité internationale. Sa voix, son intonation, sa gestuelle se transformèrent et se muèrent en quelque chose d’innommable, fait d’un mélange d’arrogance et de revanche par rapport à tous ceux qui, par le passé, l’avaient méprisé et réduit en simple laudateur du Stagiaire. Lui, désormais, maître du pays ayant un pouvoir de vie et de mort sur ses concitoyens.

Subjugué par les diplômes comme le Stagiaire, il alla même jusqu’à comparer ses propres titres à ceux de ce dernier : « Moi, j’ai eu mes diplômes à la Sorbonne, et lui  les a eus dans une université de province. On ne peut pas nous comparer », lança-t-il hautain et suffisant.

Le ronflement usé du Stagiaire était précieusement capté dans un appareil d’enregistrement et envoyé aussitôt au marabout féticheur. Les choses étaient en cours favorable. Il ne restait plus qu’à attendre le moment opportun. Et arriva la Grande Journée de l’Oral Gouvernemental qui s’étendait, tous les ans, le matin, après la prière de l’aube, jusqu’au coucher du soleil : « Nous devons avoir le rythme paysan : se lever le matin, affronter le soleil et vaincre la terre par l’effort et la sueur. La terre ne ment pas !  Voyez-vous, quand je passais mon baccalauréat, j’étais incollable. Je connaissais par cœur mes théorèmes et toutes autres choses utiles à l’esprit du candidat. Je veux que mes ministres, mes proches collaborateurs subissent devant moi un examen de passage tous les ans. Ceux qui sont en dessous de la moyenne devront rendre leur tablier. C’est comme ça. Ce n’est pas normal qu’on demande à des étudiants, des élèves de passer des examens alors que les ministres et autres en sont exemptés. Je trouve cela injuste. C’est pourquoi au nom de la justice entre Sénégalais, je défendrai l’égalité de tous. » 

Il occulta le malaise paysan, le malaise étudiant, le malaise médical, le malaise moral, etc. Il occulta tout ce qui pouvait le déranger et continua dans sa lancée verbale.

Les ministres passèrent un à un. Certains étaient recalés, d’autres plus chanceux essuyèrent des larmes de peur. A juste raison ! Le ministre de l’Economie et des Finances avait réussi son oral, puis recalé, on ne savait pas pourquoi. Le Stagiaire avait dit oui, puis non. Entre-temps, le « Petit », son fils aîné, s’était penché vers lui pour lui chuchoter à l’oreille quelques mots qui signèrent son arrêt de mort. Inquiet, laminé par une telle décision, il s’effondra en larmes dans son fauteuil comme un gamin à qui on venait d’ôter de la bouche sa sucette. « Pourtant, j’ai fait tout ce qu’il m’était possible de faire ! », murmura-t-il désespérément. Ravi qu’il en fût ainsi, le « Petit », d’un trait visible, barra le nom du malheureux avec une arrogance seigneuriale.

Un autre fut limogé parce qu’il avait omis de faire référence à la pensée du Stagiaire sans en mesurer les conséquences. Il heurta de ce fait définitivement son orgueil. Et sans attendre qu’il terminât son exposé, le Stagiaire l’interrompit brutalement et lui fit, pendant une trentaine de minutes, une leçon d’histoire politique de l’Afrique. Des notes furent attribuées aux uns et aux autres. Blessé dans son amour propre, le Stagiaire en avait fini avec ce dernier.

Pendant douze heures d’horloge tout ce que l’Etat et le gouvernement comptaient de hautes personnalités défilèrent la peur au ventre. C’est au tour du Pr Issa Diouf de passer devant le Stagiaire. Il avait changé et croyait à son étoile depuis que son marabout féticheur lui avait indiqué ce présage. L’homme était habillé de la même façon que le maître des lieux : exubérant, envahissant et verbeux. Au lieu de se limiter à la place réservée aux intervenants, le Professeur monta sur le podium, lieu réservé exclusivement au Stagiaire et au « Petit ». Il parla avec un style professoral, gesticula et creusa le détail jusqu’à épuisement. Il voulut montrer qu’il savait, qu’il savait mieux que quiconque. Les références livresques abondèrent. Il demanda même à se servir du tableau, objet de souveraineté du Stagiaire. Il aligna des noms d’auteurs, des dates, etc. pendant une durée interminable. Une sueur nerveuse coula sur le front de ce dernier. Il avala gorgées d’eau sur gorgées d’eau. Visiblement satisfait de sa performance, le Pr Issa Diouf  sortit un ouvrage où un auteur africain le citait : « Permettez-moi, en toute humilité, de vous lire un passage de ma pensée, reprise par un chercheur africain, dont la thèse à la Sorbonne vient d’être honorée par une publication. » Et il s’installa dans une autocitation sans fin.

Dans un premier temps, le Stagiaire fut frappé par son audace. Pris de vitesse, il s’abandonna à une écoute forcée jusqu’à énervement : « Dis donc, Issa, pour qui te prends-tu ? Tu n’es pas à l’université ici. Et puis, qui t’a autorisé à utiliser mon tableau ? Vois-tu, Issa, tout ce que tu dis-là, je l’ai déjà largement développé dans ma thèse quarante ans auparavant. Issa, tu me déçois. Cela montre que tu n’as même pas lu mes œuvres. Cela me désole beaucoup. Ton savoir est incomplet. Je ne te le dis pas parce qu’il s’agit de ma pensée. Je te le dis parce que, d’après les spécialistes, ma thèse est incontournable ! »      

Apparemment irrité et vexé, il se leva, puis se dirigea à son tour vers le tableau, un morceau de craie à la main. Lui, amoureux de l’outil informatique, pourquoi avait-t-il maintenu le tableau et la craie, objets archaïques ? La réponse se trouvait dans la nostalgie qu’il éprouvait à l’endroit des instituteurs de l’époque qui convainquaient toujours craie à la main.

Les deux hommes se connaissaient depuis longtemps et portaient en eux un orgueil comparable. L’enjeu était moins le poste que la réputation intellectuelle. Le Pr Issa Diouf était convaincu que c’était par hasard ou par coup du destin que le Stagiaire était devenu président. Et que mieux diplômé que lui, il avait aussi droit à l’autorité suprême.

Le Stagiaire se lança dans un cours magistral qui dura une heure, ponctué d’applaudissements et d’éloges de toutes sortes. Le griot officiel était là et chantait ses louanges à chaque opportunité. Remonté à son paroxysme, le Stagiaire jouissait de ces moments avec un bonheur inouï : «Vois-tu, Issa, il y a professeur et professeur. Moi, je n’ai pas besoin de parler, les autres parlent pour moi. Tu évoques une citation qu’un étudiant - en plus - a faite de ta thèse. Moi, j’ai eu droit à des centaines de citations depuis que je suis chef de l’Etat, tant au Sénégal, en Afrique que dans le monde. Et ce ne sont pas des étudiants, mais des professeurs pleins. » Des ovations fusèrent de partout. Les plus vibrantes furent celles des ministres. Le griot improvisa une chanson à sa gloire. Vaincu par le nombre et la fonction, le Pr Issa Diouf  se retira au fond de la salle et médita amèrement les leçons de son défi raté.

La journée du Grand Oral était terminée. Certains ministres révoqués furent repêchés grâce à leur allégeance renouvelée. Le « Petit » marqua de son sceau son pouvoir. Arrogant, tueur dans l’âme et rapace, il ratissait les deniers du Sénégal sans réserve, écrasant au passage tous ceux qui lui résistaient. Certains le comparaient au péril acridien. Partout où il passait, il ne restait plus rien que désolation. Il était d’autant plus redouté qu’il faisait table rase du protocole culturel du pays par ignorance. Il bousculait ainsi tabous et traditions pour assouvir sa quête insatiable. Tout y passait, les marchés publics, les sociétés et tout investissement significatif. Le Stagiaire savait tout cela, mais était sur une autre planète. A lui les mots et au « Petit » les chiffres. Ainsi se concevait le jeu tragique des chiffres et des lettres qui plongea le Sénégal dans une crise inédite.

  


 

 

 



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