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Dounia Bouzar essaime sa méthode de déradicalisation

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Dounia Bouzar
Depuis sept mois, Dounia Bouzar, 51 ans, sillonne la France. De préfecture en préfecture - 35 ont déjà fait appel à ses services - elle va à la rencontre des personnels à qui le gouvernement a confié la rude tâche de "prévenir" la radicalisation djihadiste.

Avec son équipe, cette anthropologue du fait religieux, ancienne éducatrice à la Protection judiciaire de la jeunesse, veut essaimer, avec l'appui du ministère de l'Intérieur, sa technique de "désembrigadement".

Une méthode "qui donne des résultats", selon Pierre N'Gahane, préfet chargé de la prévention. Sur 600 familles suivies en un an, Dounia Bouzar estime avoir "sauvé" une cinquantaine de jeunes. Contre deux ou trois échecs seulement.

 La France, qui s'est engagée début 2014 dans la "déradicalisation", est particulièrement touchée par le phénomène. Environ 1.800 personnes sont impliquées dans des filières djihadistes à ce jour, qu'elles soient en Irak ou en Syrie, en transit, rentrées, ou qu'elles aient des velléités de départ, d'après le ministère de l'Intérieur.

Quelque 7.000 "situations à risque" ont par ailleurs été identifiées sur le territoire, indique Pierre N'Gahane.

Et le phénomène touche tous les milieux sociaux. Seul point commun peut-être à tous les "radicalisés" : leur jeune âge et, chez les filles, qui représentent 70% des personnes suivies par Dounia Bouzar, un altruisme "retourné".

"Les rabatteurs français arrivent à différencier leur façon d'embrigader et à toucher n'importe quel type de jeune", explique-t-elle.

En profitant souvent d'un malaise qui relève de la "crise d'adolescence", selon le psychiatre Serge Hefez, qui travaille avec Dounia Bouzar et s'apprête à ouvrir une consultation sur la radicalisation à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. 

 Pour faire face à un embrigadement "à la carte", Dounia Bouzar a développé une méthode individualisée, fondée sur l'affect.

"Dès lors qu'on utilise la raison ou le savoir pour aborder ce type de jeune, on est en échec", dit-elle. Elle estime ainsi avoir connu un fiasco quand, en 2006, elle a essayé d'atteindre ces personnes via un discours religieux "alternatif", visant à déconstruire les arguments que véhicule aujourd'hui l'Etat islamique.

D'où une méthode en trois temps, qui s'appuie d'abord sur ce qu'elle appelle la "madeleine de Proust", du nom de ce gâteau qui, dans "Du côté de chez Swann", ravive des souvenirs chez l'auteur. "On essaye de réfléchir aux éléments fondateurs de la vie de l'enfant pour que le parent puisse ressusciter ces souvenirs", explique-t-elle.

 PAS DE PSYCHOLOGUES NI DE "BAC + 6" 

 Parce que l'Etat islamique fait "miroiter" l'appartenance à une "communauté de substitution supérieure", en "désaffiliant" le jeune, Dounia Bouzar parie sur ces évocations pour "remobiliser" l'individu, et le déstabiliser.

"Ça fonctionne fort, mais ça n'est pas si facile que ça, parce qu'il ne faut jamais tomber dans la raison", souligne-t-elle.

Vient ensuite la confrontation au "monde réel", à l'occasion de groupes de parole où des repentis au profil proche du jeune pris en charge font part de leur expérience, sur le modèle des Alcooliques anonymes.

Le processus s'achève avec la phase de "stabilisation", six mois au cours desquels les jeunes se réunissent au sein de "clubs de rescapés". Pour éviter de vaciller, voire de replonger. "C'est l'étape la plus difficile", dit Dounia Bouzar. "Ils peuvent passer d'un état à un autre en deux heures."

Cette méthode a fonctionné pour Léa, dont le cas est évoqué dans "La vie après Daesh", dernier ouvrage de Dounia Bouzar. 

 Pour elle, tout commence sur Facebook, où la jeune musulmane, qui enchaîne les "bêtises", dit vouloir être infirmière. Des personnes commencent alors à lui parler. Au moins 50 par jour, de France, de Belgique, de Syrie.

"Ils m'ont montré des vidéos comme quoi je pouvais venir faire de l'humanitaire en Syrie", raconte-t-elle dans une vidéo du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI), créé en avril 2014 par Dounia Bouzar, et qui l'a suivie pendant près d'un an.

Puis, les rabatteurs réussissent à la "monter contre la France". À 15 ans, elle est arrêtée car on la soupçonne d'avoir voulu perpétrer un attentat contre une synagogue. Aujourd'hui, Léa a repris ses études. "Elle est sauvée, mais on aura toujours peur", dit sa tante, Samira.

Après cette expérience traumatisante, Samira a décidé de quitter le monde de l'hôtellerie pour rejoindre à temps plein l'équipe de Dounia Bouzar. "Je transmets cette méthode avec conviction", dit-elle. "Si on avait eu une autre réaction avec Léa, elle serait peut-être allée plus loin."

Comme elle, les six membres de l'équipe de l'anthropologue sont personnellement impliqués dans la lutte contre la radicalisation. La soeur de l'un d'eux est "séquestrée" en Syrie. Parmi eux, pas de psychologues, ni de "Bac + 6", mais des personnes avec la "bonne peur", explique Dounia Bouzar.

 "PRINCIPE DU PEER-TO-PEER"

 "Ça fonctionne un peu sur le principe du peer-to-peer (pair à pair-NDLR)", résume Serge Hefez, qui supervise le travail de l'équipe. Pour Pierre N'Gahane, il est la "caution scientifique du dispositif", parfois critiqué pour son manque présumé de professionnalisme.

Dounia Bouzar reconnaît que sa méthode a des limites. Elle "fonctionne surtout pour des jeunes qui ne connaissent pas la réalité de Daech et à qui les rabatteurs français ont fait miroiter des faux mythes", dit-elle.

Son succès dépend aussi de l'existence, derrière le jeune, d'une famille équilibrée, à même d'enclencher le processus, souligne Pierre N'Gahane, qui évoque les cas, moins adaptés, de délinquants ballottés dans leur enfance de foyer en foyer.

"Le modèle de Madame Bouzar ne répond pas à tout", dit-il, rappelant que "le dispositif national va bien au-delà."

"Il y a un an et demi, on est parti de zéro", insiste le préfet. "Mais toutes les préfectures de métropole et d'outre-mer sont aujourd'hui dotées d'une cellule de suivi qui a une approche non répressive de la radicalisation", se félicite-t-il.

Six millions d'euros auront été consacrés en 2015 à la prévention de la radicalisation – dont 600.000 euros pour la mission de Dounia Bouzar -, contre un million en 2014.

 (édité par Yves Clarisse)


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