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En Hongrie, le pouvoir vise les journalistes et les patrons de presse

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logiciel espion Pegasus
Parmi les plus de 300 numéros de téléphone ciblés par le logiciel espion Pegasus pour le compte de la Hongrie figurent de nombreuses personnalités des médias et de la société civile.

Les révélations du « Projet Pegasus » ne vont pas rassurer ceux qui s’inquiètent des dérives du premier ministre nationaliste, Viktor Orban, en matière d’Etat de droit. Le Monde et ses seize médias partenaires peuvent de fait affirmer, grâce aux données mises à disposition par les organisations Forbidden Stories et Amnesty International et au témoignage d’un ancien employé de NSO Group, que la Hongrie a eu recours aux services particulièrement intrusifs de la société israélienne pour mettre sous surveillance des journalistes, des propriétaires de médias et des avocats, tous connus pour être des critiques du pouvoir de M. Orban.

Parmi les plus de trois cents numéros de téléphone sélectionnés comme cibles potentielles par la Hongrie, Le Monde et ses partenaires ont pu identifier au moins cinq journalistes. Il s’agit notamment d’Andras Szabo et de Szabolcs Panyi, journalistes reconnus du site d’investigation Direkt36. Ces dernières années, ce petit site a multiplié les révélations dérangeantes sur l’enrichissement des proches de Viktor Orban ou sur les relations que celui-ci entretient avec la Russie et la Chine. « J’ai toujours su que je pouvais être surveillé, mais là, c’est une surveillance avec le meilleur logiciel du monde », dénonce M. Panyi, 35 ans, qui a découvert qu’entre avril et décembre 2019 son téléphone a été infecté près d’une vingtaine de fois.

A cette époque, M. Panyi enquêtait notamment sur le transfert du siège de la Banque internationale d’investissement de Moscou à Budapest. L’infection de son appareil, plusieurs fois concomitante à l’envoi de questions au gouvernement, et de celui de son collègue Andras Szabo a été confirmée par les analyses techniques de leurs appareils par les experts du Security Lab d’Amnesty International.

Deux autres reporters hongrois, travaillant sur des sujets relatifs à la criminalité et au terrorisme, ainsi que l’ex-femme de l’un d’entre eux, ont aussi été désignés comme cibles potentielles. Parmi les autres numéros identifiés figure enfin celui d’un photographe qui travaillait comme fixeur pour un journaliste étranger enquêtant sur la même banque russe.

Pegasus est connu comme un logiciel particulièrement intrusif parce qu’il peut aspirer, en toute discrétion, e-mails, liste de contacts, localisation géographique, SMS, appels téléphoniques, documents, photographies… NSO assure que son usage doit être réservé à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Mais si la liste de numéros contient ceux de proches notoires du milieu criminel hongrois, la présence d’autres personnalités pose question. Figurent ainsi les numéros du fils et de l’avocat de Lajos Simicska, un riche homme d’affaires anciennement très proche de M. Orban, brusquement devenu l’un de ses ennemis, qui a vendu tous ses médias en 2018.
Un dîner au cœur des préoccupations
Le Monde et ses partenaires ont aussi retrouvé le numéro de Zoltan Varga, propriétaire de Central Media Group, le dernier groupe de médias indépendant du pays. Cet homme d’affaires, qui dénonce depuis des mois les intimidations exercées par le pouvoir pour qu’il vende ses titres, a été désigné comme cible potentielle autour d’un dîner organisé sur la terrasse de sa villa, sur les collines de Budapest, le 5 juin 2018, quelques semaines après la troisième victoire d’affilée de M. Orban aux législatives. « Nous avons juste discuté de l’idée de créer un think tank pour travailler par exemple sur la corruption », se remémore, trois ans plus tard, celui qui a fait fortune en investissant notamment dans la compagnie aérienne hongroise à bas coût Wizz Air. « C’était juste une discussion amicale, pas un coup d’Etat », assure M. Varga, qui détient aussi le plus grand site d’information indépendant hongrois, 24.hu.

« Tout le monde avait son téléphone avec soi », se souvient précisément l’homme d’affaires, interrogé, sur sa terrasse, par nos partenaires du Guardian et du site d’investigation hongrois Direkt36. Or, le « Projet Pegasus » a non seulement retrouvé le numéro de M. Varga, mais également ceux de six autres convives, tous d’influents Hongrois connus pour être critiques de M. Orban, dans la liste des cibles désignées autour de ce 5 juin. Les analyses menées par les équipes d’Amnesty International sur le seul téléphone des convives compatible et encore accessible ont confirmé qu’il avait été infecté entre le 1er juin et le 10 juillet 2018. « C’était une discussion typiquement hongroise. Nous nous sommes assis ensemble, tout le monde a dit “merde, la situation est vraiment mauvaise”, mais cela n’a pas débouché sur quoi que ce soit », se remémore un des participants, incrédule.

De son côté, M. Varga assure qu’il pensait depuis longtemps être surveillé. A l’image d’autres personnes visées par Pegasus, il témoigne avoir eu des pressentiments en entendant ses conversations brutalement coupées, avant d’être mystérieusement rejouées. Il se souvient aussi d’une anecdote. « Deux semaines après le dîner, quelqu’un, proche du gouvernement, m’a approché en me disant : “Je sais que vous avez eu ce dîner, c’est très dangereux, vous ne devriez pas le faire” », raconte-t-il.
Cadre légal peu contraignant
Contacté par Le Monde et ses partenaires, le gouvernement hongrois a dit « ne pas être au courant d’une quelconque collecte de données » et avoir « toujours agi et continué d’agir conformément à la loi en vigueur ». Chargée d’approuver les écoutes pour « sécurité nationale », la ministre de la justice, Judit Varga, avait, elle, qualifié de « provocation » une question sur d’éventuelles écoutes de journalistes posée au détour d’une interview menée dans ses bureaux en juin. Selon les statistiques officielles, la ministre est amenée à autoriser plus de mille écoutes par an, ce chiffre incluant potentiellement celles effectuées par le logiciel Pegasus, mais aussi les écoutes téléphoniques plus classiques. « Il y a tellement de dangers partout pour l’Etat », avait-elle justifié, en rappelant, en référence à plusieurs révélations récentes, que même « la chancelière allemande est actuellement écoutée par des oreilles américaines ».
En vertu du cadre légal hongrois, son ministère peut autoriser des écoutes pour quatre-vingt-dix jours sans aucun contrôle ; une pratique dénoncée par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 2016. « Les mesures d’interception des communications peuvent toucher potentiellement n’importe qui en Hongrie et être ordonnées par le pouvoir exécutif sans aucun contrôle », avaient critiqué les juges de Strasbourg, en demandant une rectification de la loi, qui n’est toujours pas effective selon l’association de défense des libertés individuelles TASZ, à l’origine de la procédure. « La loi hongroise ne prévoit aucune exception pour ceux qui doivent être protégés par le secret professionnel », dénonce son représentant, Mate Szabo.

Si ces manquements ne datent pas de l’arrivée au pouvoir de Viktor Orban, celui qui vient d’être désigné « ennemi de la liberté de la presse » par Reporters sans frontières peut avoir accès à un niveau de surveillance jamais vu en Hongrie. Jusqu’ici, personne ne savait qu’il avait conclu un contrat avec NSO. L’accès à son service très spécial semble d’ailleurs avoir été négocié directement avec l’ancien premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, très proche politiquement de M. Orban. L’usage commercial de Pegasus par les Hongrois a débuté en février 2018, pile au moment de la visite en Israël de Jozsef Czukor, alors conseiller en chef pour la sécurité et la politique internationale de M. Orban. Il avait été reçu par le premier ministre israélien en personne.

La Hongrie n’est pas le seul pays de l’Union européenne à utiliser les services de NSO, mais elle est le seul pour lequel nous avons pu identifier des journalistes, des avocats ou un militant, comme Adrien Beauduin. Cet ancien étudiant belgo-canadien de l’Université d’Europe centrale, établissement fondé et financé par le milliardaire américain d’origine hongroise George Soros, avait été arrêté, en décembre 2018, pour « rébellion contre les forces de l’ordre », lors d’une manifestation contre le pouvoir. Son téléphone a fait l’objet d’une tentative d’intrusion quelques jours après son arrestation, mais les analyses effectuées sur son appareil n’ont pas pu confirmer si elle avait été effective.

« C’est tout à fait illégitime de mettre sous surveillance des personnes prenant part à des mouvements sociaux qui n’ont pas montré l’intention d’employer des méthodes illégales », dénonce celui qui est toujours poursuivi pour avoir porté un cutter sur lui, assurant « avoir seulement exercé son droit démocratique » de manifestation. « Une ligne rouge a été franchie. Surveiller des civils, c’est clairement une pratique associée au passé communiste », affirme M. Panyi, qui doit désormais prendre des précautions de sécurité ultrarenforcées pour rencontrer ses sources.


3 Commentaires

  1. Auteur

    Moi

    En Juillet, 2021 (12:21 PM)
    Eh oui, malgré les constitutions les premiers bandits (légalement) établis demeurent les présidents, viennent ensuite les corps de défense, puis ceux de gouvernance. Tous plus outillés les uns que les autres.

    Tout en bas il y a la vie et ses composantes.

    Comment s'en protéger ? Pas de solution pratique mais un espoir: faites gaffe pour qui vous votez !

    Car c'est comme les accidents sur la route. Vous pouvez prendre toutes les précautions utiles mais elles seront vaines si celui dont vous croisez le chemin n'en fait pas autant.

    Une communication n'est sécurisée que quand les correspondants sont en état sécurisé 
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  2. Auteur

    Cc

    En Juillet, 2021 (14:41 PM)
    Le  senegal  aussi,  
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    Auteur

    Usa

    En Juillet, 2021 (16:28 PM)
    Tous ceux-là parce qu'ils ne veulent pas des goor-jiggeen 
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