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«C'est fou et très injuste» : comment les impôts permettent aux hommes de gagner de l'argent sur le dos des femmes

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«C'est fou et très injuste» : comment les impôts permettent aux hommes de gagner de l'argent sur le dos des femmes
Impôts sur le revenu, prestations compensatoires imposables, inégalités dans l'héritage... En droit fiscal aussi, les femmes sont parfois lésées. La députée Marie-Pierre Rixain déposera le 8 mars une proposition de loi pour tenter de rétablir l'équilibre. Entretien.

Impôt sur le revenu, héritage, fiscalité sur les prestations compensatoires versées après un divorce... Les inégalités de genre se cachent, aussi, dans nos impôts et nos prestations sociales. C'est ce que révèle un récent rapport, très détaillé, de l'Observatoire de l'émancipation économique des femmes (1), créé conjointement par la Fondation des Femmes et le Crédit Municipal de Paris.
 
 En clair : le système fiscal français, comme celui des prestations sociales, qui s'appuient encore trop souvent sur les revenus communs du couple, désavantage majoritairement les femmes, qui ont souvent le salaire le plus faible. Il les fait payer plus d'impôts et tend à les maintenir dans une forme de dépendance à leur conjoint - comme ces femmes qui préfèrent rester à mi-temps pour éviter que les impôts du couple augmentent.

D'où la proposition de loi que la députée LREM de l'Essonne Marie-Pierre Rixain déposera le 8 mars prochain. Une date symbolique, à laquelle elle présentait déjà, en mars 2022, un premier texte clé pour l'autonomie économique des femmes. Cette «loi Rixain» a notamment introduit des quotas de femmes dirigeantes et impose aux entreprises de plus de 1000 salariés de nommer, parmi les 10% de postes les plus haut placés, 30% de femmes en 2027, 40% en 2030. Un an plus tard, Marie-Pierre Rixain s'attaque désormais aux inégalités fiscales.

 
Madame Figaro. - En quoi l'impôt est-il un terrain stratégique pour les femmes ?

Marie-Pierre Rixain. - Reconnaître les femmes comme des sujets économiques à part entière, autonomes et capables de contribuer à créer de la croissance, implique de les reconnaître comme des sujets fiscaux autonomes. La fiscalité, qui régit notre vivre-ensemble à l'échelle macroéconomique, a un impact microéconomique sur les individus, les couples et la répartition des richesses entre femmes et hommes. Je ne suis pas naïve : j'ai conscience que notre droit fiscal se construit au fil des années, et que les propositions que je défends ne résoudront pas l'ensemble des inégalités femmes-hommes. Mais un système fiscal est un outil au service de choix de société. Le président de la République défend une société d'égalité. Notre fiscalité doit donc se renouveler en fonction de cet objectif que nous nous sommes assigné.

À commencer par la mise en place d'un taux d'imposition individualisé par défaut...

C'est une mesure indispensable, à l'échelle macro et microéconomique. Micro, car on sait très bien que le taux personnalisé, commun au couple, augmente le taux d'imposition du conjoint au revenu le plus faible de six points en moyenne, et diminue celui qui touche le salaire le plus élevé de treize points. C'est fou et très injuste. On peut le modifier, mais le taux personnalisé est appliqué par défaut. Rendre le taux individuel automatique me semble donc indispensable. Y compris au niveau macroéconomique : parce qu'il encourage davantage les femmes à travailler, le recours au taux individualisé augmenterait de 0,6 point leur taux de participation au marché du travail, soit près de 80.000 emplois supplémentaires. C'est donc essentiel pour nos entreprises et notre croissance.

 
Ce que contient la proposition de loi de Marie-Pierre Rixain

Instaurer un taux individualisé par défaut pour l'impôt sur le revenu. Le taux personnalisé, commun aux deux membres du couple, est pour l'instant appliqué par défaut. Or, il diminue de 13 points le taux d'imposition du conjoint au salaire le plus élevé, et augmente de 6 points celui du conjoint aux revenus les plus bas, dont une majorité de femmes. Supprimer l'impôt prélevé sur les prestations compensatoires après un divorce. Ces prestations, qui visent à atténuer la baisse de niveau de vie après la séparation - qui diminue de 22% pour les femmes contre 2% pour les hommes - constituent un revenu imposable si elles sont versées au-delà de douze mois après le divorce. Faciliter la décharge de solidarité pour éviter aux femmes de régler les dettes fiscales de leur ex-conjoint. «80 % des demandeurs de décharge sont des femmes, explique Marie-Pierre Rixain. Elles héritent de ses dettes, liées à des fraudes fiscales sur les bénéfices professionnels et découvertes à l'occasion d'un contrôle fiscal mené après le divorce. C'est une véritable injustice.» Augmenter le plafond global de déductions fiscales pour encourager l'investissement féminin. En l'état actuel, on peut prétendre à des réductions d'impôt au titre de sa garde d'enfants, d'un employé à domicile ou d'un investissement dans une entreprise. Mais le plafond global de ces avantages fiscaux, fixé à 10 000 €, empêche nombre de mères actives, solos ou non, de financer des sociétés. Marie-Pierre Rixain propose donc de le rehausser à 18 000€ pour encourager les femmes à investir. Reconnaître systématiquement les associations féministes comme étant d'intérêt général. Ça n'est pas le cas actuellement, et cela prive certaines associations de financements, publics ou privés. D'où le projet de la députée de modifier le code général des impôts. Rétablir l'égalité de nature dans l'héritage. Elle a peu à peu disparu au profit de la seule égalité de valeur. Or, en raison de stéréotypes solides au sein des familles comme dans les études notariales, les fils héritent davantage des biens structurants - entreprises, biens immobiliers, terres... - et les filles, de compensations financières, souvent sous-évaluées. «Entre 1998 et 2015, l'écart de patrimoine entre les hommes et les femmes est passé de 9 % à 16 % », souligne Marie-Pierre Rixain.
Qu'en est-il des prestations compensatoires, soumises à l'impôt sur le revenu ?

Ces prestations visent à réparer une inégalité de revenus au cours de la vie commune et ses conséquences à la séparation. Gardons en tête que le niveau de revenus d'une femme diminue de 22 % après un divorce, contre 2 % pour celui d'un homme. Or, les prestations sont en effet imposables lorsqu'elles sont versées plus de douze mois après le jugement, ou sous forme de rente. Ça n'est pas le cas si la somme est versée dans les douze mois suivant la décision du juge. Il n'y a pourtant aucune raison que les modalités de versement ponctionnent ainsi le montant perçu par le bénéficiaire, ça n'est pas entendable.

C'est aussi le cas des pensions alimentaires. Pourquoi ne pas mener une réforme similaire ?

Elles relèvent en effet de la même logique, mais je ne les ai pas intégrées à ma proposition de loi pour deux raisons. D'abord, les pensions alimentaires sont versées au bénéfice des enfants, pas de l'ex-conjoint. Elle ne vise donc pas à réparer une inégalité de revenus au sein du couple. Ensuite, d'autres véhicules législatifs se penchent déjà sur la question des pensions alimentaires.

En mars 2022, Emmanuel Macron promettait de revoir la fiscalité des couples en concubinage, pour leur permettre «de réduire leurs impôts comme s'ils étaient mariés ou pacsés». Au détriment des femmes, pourrait-on ajouter. Cela ne va-t-il pas à rebours de votre texte ?

Je n'y suis absolument pas favorable, car cela conduit à conjugaliser encore davantage, là où je défends une plus grande individualisation des revenus et de l'impôt. En revanche, je sais que plusieurs mesures de ma proposition de loi ont déjà retenu l'attention de la Première ministre Élisabeth Borne.


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