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Oman, ce médiateur discret des crises du Moyen-Orient

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Oman, ce médiateur discret des crises du Moyen-Orient

Adepte d’une diplomatie ouverte, le sultanat est devenu un intermédiaire privilégié dans une région où les tensions sont permanentes.  

Le 26 juin dernier, Oman annonçait son intention d’ouvrir une ambassade en Cisjordanie. Une déclaration qui illustre bien la politique d'Oman. Après avoir reçu en octobre dernier le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu à Mascate, il s’agissait probablement là de « rééquilibrer la balance diplomatique », commente Maxime Onfray, spécialiste du Moyen-Orient et auteur d’une série d’articles consacrés à la géopolitique d’Oman. De réaffirmer que son rôle est « toujours celui de médiateur et qu’il ne s’agit pas de prendre parti pour l’un contre l’autre », abonde Agnès Levallois, vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (IReMMO). Une façon pour Oman de se replacer, comme à son habitude, bien au centre de l’échiquier diplomatique.Pragmatisme et tradition du consensus

Au bout de la péninsule Arabique, baigné par une mer à son nom, le petit sultanat s’est construit une place à part dans une région marquée par les tensions. Depuis longtemps, Oman promeut en effet une diplomatie basée sur le dialogue et l'ouverture.

« La position d’Oman a fait sa singularité », analyse Hasni Abidi*, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM). Le petit pays est « entouré de deux poids lourds : l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, et en face une autre puissance, l’Iran ».

 

Oman a un statut exceptionnel dans le golfe Persique.

Dans un article sur les « efforts de médiateur d’Oman », Marc Valeri parle de « pragmatisme ». Le directeur du Centre d'études sur le golfe Persique à l'université d'Exeter explique que si les autorités omanaises ont toujours encouragé des « solutions de consensus », c’est parce qu’elles ont toujours vu « l’instabilité dans le Golfe comme une menace pour leur stabilité interne ». Sans compter que « le sultanat est l’État du Conseil de coopération du Golfe le moins bien loti économiquement », ajoute Hasni Abidi. Il reste donc « dépendant » des pays voisins dans lesquels de nombreux Omanais travaillent.

En 2015 sur RFI, Jean-Paul Burdy, maître de conférences d'histoire à l’Institut d’études politiques de Grenoble et directeur du séminaire de recherche Turquie-Iran-Moyen-Orient, parlait lui de « diplomatie du petit État : cela veut dire à la fois le bon voisinage avec les voisins immédiats, ça veut dire le non-engagement dans les conflits, le maintien des relations diplomatiques, y compris dans des périodes de crise, et c'est la recherche de la médiation, le rôle d'intermédiaire dans les conflits », développait-il.

Une politique d’équilibriste incarnée par le sultan Qabous ben Saïd qui règne sur son peuple depuis son arrivée en 1970 en monarque absolu. « Là où les Occidentaux fermèrent leurs ambassades à Damas au début de la guerre civile syrienne, Oman conserva la sienne », pointe ainsi Maxime Onfray.

Pour Agnès Levallois, cette ouverture tient aussi à l’histoire du pays. « Les Omanais ont une tradition de tolérance : c’est un pays qui est à cheval sur le monde arabe et l’Asie, c’est un peuple de pêcheur, de navigateurs, ils ont colonisé Zanzibar par exemple. Ils ont toujours eu cette ouverture sur l’extérieur et ils sont très jaloux de cette particularité. »

Certains invoquent également l’ibadisme. Ce courant très minoritaire de l’islam est encore légèrement majoritaire à Oman. Le pays est ainsi resté en dehors des luttes confessionnelles entre chiites et sunnites qui ont déchiré la région. Et il repose sur « trois grands piliers, dont un qui s’appelle l’ijma et qui est le fait de vouloir aller vers un consensus à chaque fois », souligne Maxime Onfray.

Rester au-dessus de la mêlée, sans se rallier officiellement à l’un des « camps ». « Avoir une politique étrangère indépendante dans une région où tout le monde doit se soumettre à celle menée par l’Arabie saoudite », pointe Hasni Abidi, c’est tout l’enjeu pour Mascate. Comme en 2017 lorsque Oman a dit non à Riyad qui lui demandait de participer au blocus contre le Qatar. Le sultanat a aussi été le seul pays arabe de la région à avoir refusé de prendre part à la coalition menée par l’Arabie saoudite au Yémen contre les rebelles houthis.

Mais pas question pour autant de faire de vagues ou de « jouer les enfants terribles du Conseil de coopération du Golfe. Oman ne fait pas de bruit quand il marque sa différence avec la ligne menée par Riyad », précise le spécialiste du monde arabe, qui compare cette position à « la neutralité helvétique, une neutralité positive ».

Alors Oman pourrait-il jouer les facilitateurs dans un processus de paix israélo-palestinien à l’agonie ? C’est en tout cas le seul pays de la région à pouvoir le faire, notent les observateurs. Mais encore faudrait-il que les deux parties soient prêtes à négocier directement ou indirectement.

« Tout le monde a besoin d’Oman »

« La position omanaise sur le conflit israélo-palestinien, rappelle le spécialiste Marc Valeri, est déterminée par la nécessité absolue de conserver de bonnes relations avec les protecteurs internationaux du sultanat que sont la Grande-Bretagne et les États-Unis ». Ex-protectorat de la première, Oman a signé de multiples accords de défense avec les seconds.

Car Oman occupe une position stratégique. Grâce à l’« exclave » de Musandam, le petit État contrôle - avec l’Iran - le détroit d’Ormuz par où transite chaque année plus du tiers du pétrole mondial.

Oman a rendu d’« énormes services à des grandes puissances dans la région », rappelle Hasni Abidi. On ne compte plus les prisonniers et otages qui ont recouvré la liberté par les grâces d’une médiation omanaise. Quand des randonneurs américains avaient été arrêtés en Iran et détenus plus de deux ans jusqu’en 2011, c’est l’État omanais qui s’était acquitté de la caution ayant permis de dénouer l'affaire. En 2018 encore, lors de la libération du navigateur français Alain Goma, enlevé au Yémen, Paris n’avait pas manqué de remercier le sultanat pour son « engagement décisif ».

« Tout le monde en a besoin parce que c’est quand même très pratique d’avoir un pays dans la région qui puisse parler avec tout le monde et faire passer les messages quand c’est nécessaire », estime Agnès Levallois.

 

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a été reçu à Oman par le sultan Qabous, une première depuis plus de 20 ans.

On sait qu’Oman avait eu un rôle clé dans la signature du « Plan d’action conjoint » de Genève en 2013, prélude à l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Le sultan avait réussi à organiser des rencontres secrètes sur son sol entre Américains et Iraniens. Tout cela grâce aux bonnes relations entretenues à la fois avec Téhéran et avec Washington. « L’Iran est reconnaissant de la non-intervention omanaise lors de la guerre Iran-Iraq. Les États-Unis se souviennent quant à eux de la diplomatie omanaise vis-à-vis d’Israël dans les années 1990, lors du processus de paix », précise Maxime Onfray dans ses articles.

Mascate joue-t-il un rôle dans la crise actuelle autour du détroit d’Ormuz ? En première ligne en cas d’intervention, Oman a bien « offert » ses services, explique Marc Valeri. « Mais la perche n’a pas été saisie par Washington ; le Japon, le Koweït ou encore l’Irak jouent clairement un rôle plus actif qu’Oman afin d’aider à une sortie de crise ».

« La grande inconnue, c’est Oman après le sultan Qabous », aujourd’hui âgé et malade, estime Hasni Abidi. Son successeur suivra-t-il sa voie ? Pas si sûr, selon lui. L’exception omanaise perdurera pour Agnès Levallois : « Le système mis en place par le sultan va au-delà de sa personne. »

 

*Hasni Abidi est l'auteur de Moyen-Orient, le temps des incertitudes, éditions Erick Bonnier, 2018.

 



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