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Polémique sur les propos de Patrick Kanner: Molenbeek, entre mythe et réalité

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Un panneau dans les rues de Molenbeek, à Bruxelles, le 18 mars 2016. - Geoffroy Van der Hasselt/AP/SIPA

Molenbeek, capitale européenne du djihadisme… Partout, depuis plusieurs semaines, la commune belge est présentée comme la base arrière du terrorisme islamiste, sorte de camp avancé de Raqqa, en Syrie. Encore ce week-end, le ministre de la Ville, Patrick Kanner, a remis cette commune de Bruxelles sous le feu des projecteurs. La réalité est-elle aussi simple et aussi sombre ?

Ce qu’on résume aujourd’hui par Molenbeek dans les médias ne concerne en fait que le vieux centre, que la journaliste flamande Hind Fraihi décrit dans son livre En immersion à Molenbeek (Ed. La Différence) comme « un quartier voué à la démolition et habité par des immigrés », là même où a été retrouvé Salah Abdeslam le 18 mars. Un territoire marqué par de difficiles réalités sociales : Hind Fraihi rappelle que « dans certains quartiers, le nombre d’immigrés atteint 80 %. Le chômage des jeunes s’élève à quelque 40 %. Selon le quartier, ce chiffre peut même grimper jusqu’à 80 %. »

La « petite Manchester »

« Dès les années 1980, des reportages télévisés ont montré de Molenbeek une image assez négative, mais qui concernait uniquement à l’époque la pauvreté et le chômage », se souvient le politologue belge Dave Sinardet. Il faut dire que la crise industrielle est passée par là.

Véritable centre industriel au 19e siècle, celle qu’on surnommait alors la « petite Manchester » a très mal vécu la désindustrialisation durant les années 1970, « au plus fort de l’arrivée des travailleurs immigrés turcs et marocains. Le chômage s’y est rapidement développé. Les immigrés anciennement ouvriers se sont peu à peu reconvertis dans le petit commerce. L’habitat des quartiers à forte concentration immigrée s’est peu à peu dégradé ainsi que la qualité de l’enseignement », explique Bahar Kimyongur, écrivain et polémiste belge qui a lui-même vécu à Molenbeek et qui y retourne très fréquemment.

« Les gens ont eu peur d’être taxés d’islamophobes ou de racistes »

De ces difficultés sociales sont nés de nouveaux problèmes durant les années 1990, qui n’ont fait qu’augmenter pendant les décennies suivantes. C’est justement dans les années 1990 qu’Hind Fraihi a publié son livre, pour lequel elle est restée deux mois en immersion chez les musulmans radicaux molenbeekois, ceux que le sociologue Felice Dassetto appelle les « Molmuslims » dans son ouvrage L’Iris et le croissant (Presses universitaires de Louvain). Son enquête au sein des mosquées radicales sous influence saoudienne aurait dû à l’époque de sa sortie tirer la sonnette d’alarme.

« Ces signaux n’ont pas été pris en compte, probablement en partie parce que certaines vérités étaient inconfortables. Les gens ont eu peur d’être taxés d’islamophobie ou de racisme », indique Dave Sinardet. L’ex-bourgmestre de Molenbeek, Philippe Moureaux, se retrouve aujourd’hui sous le feu de la critique pour sa gestion de ce quartier de 95.000 personnes. Elu en 1992 à la tête de la commune, il est accusé notamment par sa successeure, Françoise Schepmans (MR) d’avoir « fermé les yeux ».

L’exécutif des musulmans de Belgique miné par les conflits internes

« Il y a évidemment une part de responsabilité de Philippe Moureaux, même si tout ne peut pas lui être imputé. Par conviction idéologique mais aussi par électoralisme, il n’a pas pris assez au sérieux les problèmes existants dans certains quartiers de Molenbeek », remarque Dave Sinardet. Entre les difficultés sociales, l’influence de l’Arabie saoudite et du wahhabisme et la forte population immigrée d’origine marocaine - plus du tiers de la population de Molenbeek- la situation avait de quoi devenir inquiétante, pourtant.

D’après Bahar Kimyongur, la communauté marocaine de Molenbeek est effectivement la plus exposée à la radicalisation djihadiste. « En comparaison, les Turcs de Belgique (plus de 200.000 Turcs ou Belgo-turcs) sont très peu touchés par ce type de radicalisation », explique-t-il. « Les Turcs ont leur propre "clergé" : laDiyanet liée au régime d’Ankara, les mosquées du réseau Fetullah Gülen… La communauté marocaine est beaucoup moins structurée. Elle a souvent affaire à des imams formés en Arabie saoudite. L’Exécutif des musulmans de Belgique censé structurer les musulmans du pays est miné par les conflits internes. Elle ne répond pas aux questionnements existentiels des jeunes Maghrébins », poursuit-il.

Une crise identitaire

Car les difficultés économiques et le wahhabisme n’expliquent pas tout. « La "Daeshmania" qui s’est développée dans certains quartiers de Molenbeek n’est pas à proprement parler liée au chômage. Les jeunes radicalisés ne sont pas forcément des miséreux. L’attraction exercée par Daech sur les jeunes Maghrébins est davantage liée à la crise identitaire qu’ils vivent, ne se sentant pas assez arabes, pas assez marocains et pas assez musulmans », note Bahar Kimyongur. « On n’a pas suffisamment pris la mesure de l’importance de faire participer les gens à la société d’accueil, il aurait fallu travailler davantage sur l’intégration », regrette Françoise Schepmans, l’actuelle bourgmestre.

Molenbeek était-elle donc vraiment la base arrière du djihadisme en Europe ? « Je ne l’ai jamais nié : il y a à Molenbeek un réseau de délinquants qui s’est radicalisé », admet l’édile. Mais hors de question de parler de ghetto pour autant : « Il n’y a aucune zone de non-droit, ici. Au contraire, les pouvoirs publics ont beaucoup investi à Molenbeek, que ce soit dans le logement ou du côté de la police locale. Le problème, c’est que la police est en sous-effectif, avec un policier pour 4.500 personnes et que nous avons besoin de l’aide fédérale. »



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