Dans mes classes secondaires, je lisais avec ravissement l’Iliade et l’Odyssé, la Chanson de geste, littératures panégyriques et d’exaltation. Contre toute logique, je me surprenais pourtant à vitupérer le laudatif chez nos musiciens traditionnels.
Ici et ailleurs, magnifier les vertus ou l’ascendance d’un personnage était une manière de le distinguer. A y réfléchir, il n’existe aucune différence entre louanger et décerner une médaille. Les objectifs restent les mêmes: reconnaissance et mise en exergue de valeurs à consolider et pérenniser. Avant la génération des Kiné Lam, sévissaient, dans notre paysage musical, Mbana Diop du Walo, Diabou Seck, la Saint-Louisienne, les Amadou Ndiaye Samb, Ablaye Nar, Samba Diabaré. Ces virtuoses de la parole chantée rappelaient l’honneur des ancêtres aux notables et héritiers de nos vertus fondamentales. « Jomba ñaaw » qualifiait quelqu’un virtuellement incapable d’ignominie et « Borom lam bu diis bi» rendait hommage à la lignée des détenteurs du bracelet de cheville ou de poignet, symbole d’autorité dans les monarchies d’antan. Ces expressions, aujourd’hui vidées de leur substance, servent à flatter les nouveaux riches qui s’achètent une renommée voire une généalogie aristocratique, à coups de millions, billets à la Mecque et désormais voitures 4X4.
Au risque de paraître démodé, je regrette ces temps où le Sénégalais ressentait la honte comme une infamie. De nos jours, on n’a presque plus honte d’avoir honte. La course aux biens matériels gangrène « sago »- sens de la mesure. On ne sait plus jusqu’où l’on peut aller trop loin dans la démesure.
Quoi de plus excessif que de déclarer urbi et orbi : « même un poulet peut devenir ministre sous Wade » et accepter, quelques mois plus tard, d’être nommé Ministre des égouts sans éprouver ce sursaut de dignité qui consisterait à décliner l’offre. Puis, toute honte bue, clamer cyniquement qu’un avocat doit pouvoir défendre, justifier toutes ses positions. Shame on you, Maître Ass! Vous voyez ce que je veux dire…
Honte également à Derviche, jadis célèbre pour son slogan « Abdo ñu doy-Abdou nous rassure », allant jusqu’à prédire que Gorgui, son challenger, jamais ne serait leader du Sénégal puis d’ajouter doctement : « du ci saayir, du ci baatin ; entendez par là: ni temporellement ni spirituellement.
Grignotez votre fromage et taisez-vous donc! Lorsqu’un peuple préfère ne pas se souvenir, il est imprudent de lui chatouiller la mémoire. Après avoir fanfaronné « Mourir pour des idées* », vous murmurez, en aparté, « de mort lente » ou, à la rigueur, ne pas mourir du tout. Vous êtes pourtant à l’agonie et n’en finissez pas de mourir, populairement, moralement.
A la différence d’autres rois nègres, le nôtre ne tue pas physiquement ses pourfendeurs; il les amène plutôt à composition avant de les lâcher entre les mains des démons Zèle, Luxure et Cupidité qui les tripotent, les salissent jusqu’à ce que le peuple en ait la nausée et les vomisse. C’est dire que Gorgui connaît les faiblesses de ses sujets et ne crache pas sur la leçon de l’Empereur Bonaparte : « On gouverne mieux les hommes par leurs vices que par leurs vertus. »
Chez ces gens là, le vice c’est le pouvoir de l’Argent, l’argent du Pouvoir.
Néanmoins, il m’arrive d’éprouver une immense pitié pour tous ces intrigants à qui un destin cruel confie un fauteuil ministériel, offre une planque de PCA dont ils n’ont ni le profil ni les compétences et qui, du soir au matin, s’emploient à dire Oui contre leur conscience. Comment est-il dignement vivable de n’être quelqu’un que par les caprices de quelqu’un d’autre ? Exister en sursis, quelle tragédie!
A vous que l’Histoire n’omettra pas de ses tablettes, Latif Coulibaly rappelle cet avertissement du Grand Maodo : « Quand on a la responsabilité de dire la vérité, le devoir de dénoncer le mensonge et que l’on décide volontairement par peur ou par calcul de faire autrement, on offense Dieu et trahit les hommes. »
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