Balle Preira : « Pourquoi ne pas porter plainte contre ce film qui attaque notre prophète »

Loin de couper son micro, le journaliste spécialisé des questions économiques  Ballé Preira, devenu le chargé de la communication de la direction des Douanes, jette son regard sur la presse sénégalaise. Militant islamique, il se définit comme un puritain mais en refuse l’étiquette. Et parlez lui de la diffusion de ce film blasphématoire qui caricature le prophète Mouhamed (PSL), le journaliste sort toutes ses griffes. Entretien !     

Ballé Preira, parlez-nous un peu de vous ?

Je suis journaliste formé au CESTI. Je fais partie de la 30ème  promotion de 2002. J’ai 36 ans, marié à Houreye Thiam, une journaliste, et père de trois enfants

Etant enfant, vous pensiez devenir journaliste ?

Non pas vraiment. Moi, je me voyais beaucoup plus comme un professeur, un économiste. Mais étant plus jeune, je m’intéressais beaucoup à ce qui se passait dans les médias. Je lisais beaucoup les journaux et j’avais beaucoup de journalistes que je considérais comme des modèles. J’étais un peu leur fan en quelque sorte. Il s’agit de Souleymane Niang que j’admirais le plus - à l’époque, il était à Walf. Il y avait aussi Mamoudou Ibra Kane, Mamadou Malaye Diop, etc.

Et comment s’est  passé votre parcours  en tant que journaliste ?

Avant de sortir du CESTI, j’ai commencé à travailler au Groupe Wal fadjri, de  2000 à 2005, en tant que stagiaire, puis  reporter, présentateur de journaux et secrétaire général de la rédaction, avant de quitter Walf Fadjri. Néanmoins, je collabore toujours avec ce groupe de presse, en tant que chroniqueur économique. Mais je suis principalement au service de  communication de la direction des douanes, dont je suis le responsable de la communication. Mais avant de venir à la douane, de 2005 à 2007 j’ai été conseillé technique de Macky Sall, quand il était premier ministre.

Donc, vous n’avez connu que la rédaction de Wal Fadjri !

C’est vrai que toute ma carrière de journaliste, je l’ai passée à Wal Fadjri. Déjà, en tant que journaliste stagiaire, à ma sortie du CESTI, je suis resté à  Wal Fadjri et, après, j’ai été embauché là bas. C’est un groupe de presse auquel je suis attaché. Mais c’est une école, comme le dit son promoteur, c’est un grand groupe qui a eu à former plusieurs grands journalistes de ce pays. Mais j’ai aussi collaboré avec un journal universitaire qui s’appelle «L’étudiant musulman» et qui existe toujours, il y a aussi des sites d’informations sur lesquelles je fais des contributions sur l’actualité. 

Vous vous retrouvez actuellement dans un bureau climatisé, loin des rédactions. Cela vous convient-il mieux?

Vous savez, quand on a une passion pour le journalisme, c’est difficile de s’en  débarrasser. C’est ce qui explique mon semi-retour à Walf, où j’anime une chronique économique tous les lundis. Le journalisme est un métier passionnant. On ne peut pas lui tourner le dos facilement.  Je dis très souvent que l’information est à la société ce qu’est le sang pour le corps. Sans cela, rien ne marche. Donc le journalisme est un métier important, dont il n’est pas facile de se séparer. Je ne suis plus dans les rédactions, mais je reste journaliste. C’est vrai ce que je fais, ce n’est pas totalement du journalisme, mais de la communication, où il s’agit d’augmenter la notoriété d’une institution.

Est-il facile pour vous de communiquer pour une institution militaire qui est considérée comme la grande muette ?

On peut dire qu’il y a des évolutions, comparées à la réalité, il y a dix ans. Il y a quand même des grands efforts de communication parce qu’avant, les corps militaires et paramilitaires étaient dans un certain mutisme. C’est pourquoi on appelle l’armée  « la grande muette » et les autres corps paramilitaires « la petite muette ». Mais de plus en plus, ils communiquent, ils ont des sites internet, ils participent à des émissions. Pour la douane, il suffit tout simplement qu’on l’invite dans les médias, et elle répond positivement pour apporter des éclairages. Et même lors des sorties du Directeur Général de la Douane, la presse est invitée. De plus en plus, la douane sort de son mutisme parce qu’elle est quand même au service du public, parce qu’elle est au service de la défense de l’économie sénégalaise, qui est le socle de l’essor du pays. Faire partager les missions nobles de la douane, c’est à ce travail auquel nous nous attelons. Et c’est  important. Mais je pense que l’image de la Douane a beaucoup évolué : à la place de la méfiance, c’est la confiance qui s’instaure entre cette institution et les populations.

Dans plusieurs  corps militaires, ce sont des hommes en tenue qui gèrent leur communication. Pourquoi la douane a-telle choisi un civil en votre personne? 

Il faut quand même faire une petite précision. Je suis responsable de la section communication, mais c’est un commandant des douanes, qui est le responsable du bureau des relations publiques et de la communication, qui est mon supérieur hiérarchique. Moi, à mon niveau, je gère plus les aspects techniques, communicationnels et journalistiques.

Aujourd’hui avec le recul, quelle lecture faites vous de la presse sénégalaise en général.

Nous avons une presse qu’il faut saluer, quand même. La liberté d’informations, c’est quelque chose de très réel au Sénégal. L’exemple le plus patent, c’est en 2000, quand vous voyiez comme la presse a participé à sécuriser le vote des Sénégalais. Avec le téléphone portable, les gens donnaient les résultats en direct, au sortir des bureaux de vote. Et c’est le cas depuis lors, pour les autres élections qui se sont déroulées au Sénégal. Les journalistes se sont investis pour rendre le scrutin transparent. Mais tout n’est pas parfait. Il y a des choses à améliorer dans la profession. Comme vous le savez, le métier de journaliste remplit trois fonctions : informer, éduquer et distraire. Mais, on a plus tendance à laisser toute la place à la distraction. L’information utile et l’éducation deviennent les parents pauvres  du journalisme. Aucun de ces trois pieds sur lequel le journalisme tient ne doit l’emporter sur l’autre. C’est ce rééquilibrage là qu’il faut opérer pour faire jouer au journalisme, tout son rôle dans la société.

Qu’est-ce qui explique votre passion pour l’économie en tant que journaliste ?

Il y a certainement le fait que je voulais devenir économiste. En plus, à l’université, j’ai commencé mes études par l’Economie. Et cette passion me poursuit toujours. C’est ce qui explique que je suis spécialisé dans ce domaine. Et je pense que la presse devrait accorder plus d’intérêt à l’économie. Malheureusement, on se rend compte que dans notre pays, on s’intéresse plus à la politique politicienne, aux faits divers et au sport. Je ne dis pas que ces domaines ne sont pas importants, mais les journalistes  devraient davantage s’intéresser à l’information économique, vu ce qu’elle représente pour le développement d’une nation. C’est vrai qu’il y a des efforts de part et d’autre parce qu’on voit aujourd’hui de plus en plus des magazines qui traitent de l’économie. Il y a aussi une radio qui traite de cette question, « Trade Fm ». C’est des avancées à saluer. Mais l’économie reste le parent pauvre de l’information au Sénégal. Mais si vous suivez les médias en Europe, par exemple RFI ou France 24, vous verrez que l’économie occupe une place importante. Tous les jours, il y a des rubriques en économie.

Est-ce qu’on peut s’attendre un jour à retrouver Ballé Preira à nouveau dans une rédaction ?

Bon, je ne peux rien prédire. Et je ne sais pas de quoi demain sera fait. Je laisse au bon Dieu le soin de tracer mon avenir. En tout, je suis journaliste et tant que je pourrai servir quelque part en tant que tel, je le ferai. En tout cas, je n’exclus rien en tant que journaliste.

Au-delà de vos activités  professionnelles, comment se passe votre vie  sociale ?

Normalement ! Je milite par exemple dans des associations de quartier et dans des associations à connotation islamique. Je pourrais me définir comme un militant islamique, quelqu’un qui essaie de s’intéresser à la pratique de ma religion, de partager mon temps et des moments de solidarité avec mes coreligionnaires.

On dit que vous êtes un « ibadou » ?

Ibadou ! Euh (il cherche ses mots). En tout cas,  je suis quelqu’un de très attaché à ma religion, l’islam, à ses valeurs qui sont des valeurs universelles, de paix, de solidarité, d’entente et de générosité. Dans la mesure du possible, on essaie d’être un bon musulman.

 Vous ne donnez pas la main aux femmes pour les saluer : êtes-vous un puritain ?

Bon, dans l’Islam, il y a certaines considérations qui ne sont pas encouragées et j’essaie, dans la mesure du possible, de m’éloigner de tout ce qui peut être tentation, parce pour l’islam il y a des limites qu’il ne faut pas dépasser dans la relation homme-femme. Même si je ne leur donne pas la main, j’ai de très bonnes relations avec les femmes. Mais, il y a des frontières que chacun doit définir soi-même pour se protéger. Ce n’est du puritanisme. Non, nous avons tous nos défauts, nos faiblesses et nos manquements dans notre vivant quotidien. Le puritanisme, ce n’est pas ma tasse de thé. J’essaie juste de m’épanouir dans le respect des principes de ma religion. 

Quelle a été votre réaction, suite à la diffusion du film anti islam qui fait l’actualité.

Cela m’a choqué (il le répète trois fois). Mais c’est des informations auxquelles il faudrait plus ou moins s’attendre. L’islam est une religion qui dérange certains. Donc, ils vont utiliser tous les moyens dont ils disposent, même les plus ignobles, pour freiner l’émergence de l’islam. Maintenant, c’est la réaction  des musulmans qui doit être pensée. Est-ce qu’il suffit de bruler des ambassades ou de tuer des gens ? A mon avis, il faut une réaction constructive et aller dans la proposition et la réaction. Il est vrai que quand des gens sont attaqués, ils peuvent réagir, mais en respectant les règles de bienséance. Pourquoi ne pas porter plainte contre ce film qui attaque notre prophète ? Dans des pays comme la Russie, des gens ont porté leur affaire devant la justice et ce film a été interdit de diffusion. Pourquoi les autres pays, qui ont diffusé ce film dont vous parlez, n’en feront pas de même ? Mais maintenant, il y a aussi ce double langage dans ces pays, où l’on parle de liberté d’expression. Et ils interdisent aux gens de manifester contre cette insulte, parce que s’attaquer à la croyance des gens, c’est une insulte, une atteinte aux droits de l’homme. Mais c’est aux institutions internationales de se saisir de cette affaire et interdire cette profanation qu’est ce film. Chacun a son sacré. Vous irez dans certains pays, on ne vous pardonnera jamais de brûler le drapeau. Alors pourquoi permettre à des gens d’insulter la foi des gens. C’est regrettable parce que cela cristallise la haine, alors que le monde a  d’autres priorités qu’un affrontement interreligieux entre les peuples et les civilisations.  Je pense qu’il faudrait à l’avenir éviter ce genre de blasphème, en utilisant les voies de recours judiciaires.

Vous êtes journaliste militant islamique. Votre femme est une journaliste voilée. N’est-ce pas là, le couple parfait et spécial?

Non, il n’y a rien de spécial à mon avis. Il y a beaucoup de femmes journalistes voilées qui ont épousé des journalistes. Donc, je pense que c’est Dieu qui a fait les choses ainsi  et qui unit les êtres qu’il veut. Et il m’a uni à Houreye Thiam qui, elle aussi, est une femme qui essaie de suivre la voie tracée par l’islam. Bien avant que je ne la connaisse, en 1998, elle se voilait déjà. Elle était élève au lycée Lamine Gueye.

N’est-ce pas donc ce voile qui vous a attiré ?

En partie (il insiste). On partage beaucoup de valeurs aussi bien sociales, religieuses que professionnelles. Mais surtout l’amour pour le journalisme.

 

 Fawade Wellé