Détails…

L’Asiatique avec ses baguettes croit, quelque part dans son subconscient, que l’usage du couvert occidental altère métalliquement  le goût de la nourriture. Mais par souci du détail significatif, les condiments sont découpés en petits morceaux aisément saisissables avec la paire de bambou. Le Sénégalais authentique estime, pour sa part, que l’usage de la main rend riz et couscous plus succulents. Outre que  les doigts peuvent rompre, couper presque aussi efficacement qu’un couteau.
Un touriste occidental m’a dit un jour que le noir n’a pas la culture du microbe.    Ce  Toubab fondait son jugement sur certaines pratiques encore en en vigueur chez nous au Sénégal… D’abord plusieurs mains qui se lavent dans le même récipient avant le repas ensuite  la pratique du « tegal » qui consiste à débiter avec les doigts viande et légumes pour l’invité se servant d’une cuillère.  Notre touriste, avec ses normes d’hygiène n’a simplement pas compris ou ignore deux choses :

1) tout ce qui ne tue pas engraisse

2) s’exposer aux microbes immunise

Ce qui est considéré comme marque d’hospitalité chez nous a été apprécié autrement. Pour l’occidental, en effet, les doigts qui quittent la bouche de son propriétaire pour servir quelqu’un d’autre transmettent forcement des bactéries. Comme quoi, lorsque la main se porte au secours de la cuillère, le résultat peut être source de malentendus. Mais dans cette affaire là, je renvoie dos à dos le touriste et l’hôtesse : voyager c’est partir à la rencontre de l’autre ; recevoir quelqu’un c’est tolérer ses usages.

Détails significatifs ? Assurément !
C’est dire que le génie de chaque peuple renferme ce qui, pour  un autre peuple, paraît primitif ou défectueux. C’est bien grâce au génie du détaillant que vit et survit le plus grand nombre de notre population. Imaginons un peu l’enfer social s’il était impossible de débiter le pain, d’acheter  le sucre par morceau, un quart de litre d’huile, deux cent cinquante grammes de riz. Même le fumeur qui ne peut se payer un paquet de cigarettes trouve son compte dans la vente au détail de son tabac préféré.
On le voit donc, ce qui risque d’empoisonner l’existence de  tel peuple n’est pas le risque de transmission microbienne mais bien l’idée que le microbe tue.  Et d’ailleurs, ne nous a-t-on appris que prononcer, le divin mot Bissimillah, avant de manger,  neutralise tout ?
Que l’on me comprenne bien : je n’invite pas à faire fi de la nocivité des microbes ! Ce serait irresponsable et criminel de ma part.

Il existe d’autres détails  apparemment insignifiants et pourtant fort significatifs…Bientôt la Tabaski, cette fête dont on dit que même le mouton saigne son entrée en paradis.  Des millions de peaux seront récoltées par quelques astucieux qui les traiteront sommairement avant de les exporter vers des peuples industrieux.  Il y’a quarante ans  nos cordonniers en faisaient des selles, des babouches qui durent et surtout des tapis de prière. Résultat : un artisanat d’art se perd et l’on prie sur de vulgaires nattes en nylon.  On importe de la matière plastique pour fabriquer des chaussures qui se décollent au bout de trois semaines outre qu’elles font transpirer et puer des pieds. – « Bof! Ce sont de détails… Diront encore les esprits rébarbatifs à toute remise en question.  Si nous n’avons pas toujours l’inquiétude du détail significatif qui tend vers l’excellence, c’est que le souci de l’apparence, « du joli » l’emporte généralement sur celui de la qualité. Et ce n’est pas hasard si les sandales du Burkinabé, du Malien sont bien plus solides que celles de nos artisans.

Amadou Gueye Ngom
Critique social

PS

« On a beau laver les entraves du chameau, elles sentiront toujours l’urine » (proverbe sénégalo-berbère).