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Et si l’on feignait l’indifférence… ?

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Et si l’on feignait l’indifférence… ?

Contrairement aux apparences, l’Afrique donne bien plus qu’elle ne reçoit de l’Occident. Senghor, malgré la fâcheuse et fausse réputation de nègre-toubab que lui collaient ses détracteurs, avait popularisé la thèse appelée « détérioration des termes de l’échange ». A l’époque l’accent était essentiellement mis sur les échanges économiques. L’ancien président ne se doutait pas que la détérioration affecterait les biens culturels. 

Commençons par les arts plastiques. De 1974 à 1985, le Sénégal a organisé, à travers le monde et presque entièrement à ses frais, une exposition itinérante d’ arts contemporains. Pour avoir eu le privilège de l’accompagner en Europe et dans les Amériques, je sais que, de cette tournée, notre pays espérait beaucoup de retombées.  Diplomatiquement, nous avons laissé l’image d’un pays stable où il fait bon vivre. Mais  « l’honneur sans argent… »

La dégradation des termes de l’échange se poursuit dans les rencontres internationales auxquelles nous participons, presque toujours avec nos propres moyens. Quand vient notre tour d’organiser des manifestations semblables, nous payons les étrangers pour qu’ils viennent nous « honorer de leur présence ».

Voyons ailleurs… La musique moderne qui semble tirer son épingle du négoce international se soumet, en fait, à la tyrannie du Disque d’Or, des Grammy Awards, c’est-à dire à un certain dégraissage pour se rendre digeste aux tripes occidentales

Le Jazz, le reggae se sont imposés nature, sans  s’accommoder au goût des pays d’accueil. Pourquoi donc notre musique devrait-elle s’adoucir au tympan des « oreilles rouges » ?

C’est surtout dans la  production intellectuelle que les termes de l’échange profitent le plus à l’Occident. Considérons «la littérature africaine d’expression française », le cas du Sénégal. De 1853 à 2009, c'est-à-dire, des « Esquisses sénégalaises » du  franco-sénégalais Abbé David Boilat à « Mbëkk mi » d’Abasse Ndione, notre pays s’enorgueillit de plusieurs générations d’écrivains. Mais pour qui écrit-on ?

Quoique la mission de l’Abbe Boilat fût d’évangéliser les populations « païennes » de la Sénégambie, ses monographies littéraires furent d’un grand apport  à la  perception de la psychologie des noirs. Ce qui ne contribua pas peu à l’expansion militaire et commerciale de l’Empire français.

Avons-nous adopté la même démarche aux fins de tirer meilleur profit de la langue d’emprunt ? Le constat à notre détriment est que, bien souvent, l‘assimilation, à un certain niveau, de l’humanisme gréco latin nous altère et modifie  nos comportements. Faut-il en déduire que les écrivains africains en langue occidentale s’éloignent plus facilement de leur propre culture que ceux s’exprimant uniquement en arabe ou dans leur langue maternelle ?

Certes, nous nous approprions la langue des toubabs après qu’elle nous ait été imposée-« obligation historique »-, selon l’expression de Fanon. Mais  à travers nos fables, nos romans, nous livrons une somme considérable d’informations ethno-anthologiques au Toubab qui s’en sert aussi bien pour s’enrichir que pour apprendre à nous asservir autrement.

A l’instar de célèbres devanciers que furent Alfâ Ibrahîma Sow, Amadou Hampathé Ba Serigne Moussa Ka et Serigne Mbaye Diakhaté auteurs d’ouvrages wolofs et peuhls en caractères arabes, des écrivains francophones ont senti l’impérieuse nécessité de produire des œuvres dans nos langues nationales. Mais  combien d’entre nous ont lu,  en version originale wolof, « Buur Tileen » de Cheikh Aliou Ndao, « Doomi Golo » de Boubacar Boris Diop ou bien « Goneg nit ku ñuul gi », traduction de l’Enfant noir de Camara Laye par Jean Léopold Diouf, le sérère qui s’est éreinté à assembler le dictionnaire wolof français, le plus complet à ce jour? Pourtant, souligne Arame Fal (*), « il est extrêmement important de cultiver le plaisir de lire par les œuvres de fiction… » Comme disait Père, « njaw desna aw xambin - reste encore à faire- Car non seulement nos compatriotes n’éprouvent nullement le besoin de se faire alphabétiser dans leur langue maternelle mais même les grands diffuseurs que sont les publicistes ou les stations de radio/télévisions rédigent titres de programmes, slogans en langues nationales, comme il leur plaît et sans que sévissent les services ministériels concernés.

Aussi longtemps que nous ne comprendrons pas que la souveraineté culturelle est le moteur de tout développement, l’Occident –et maintenant l’Asie- continueront d’inonder l’Afrique d’aliénantes  futilités, tout en lui lâchant, avec parcimonie ce dont elle a véritablement besoin.

La parade ? Feindre l’indifférence ou disposer des moyens de reformuler les termes  de l’échange Nord-Sud, à nos conditions.

 

Amadou Gueye Ngom

Critique social

*Arame Fal site OSAD http://www.osad-sn.com/article2

 



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