Fela Kuti, une histoire française

Fela Kuti, roi de l'afro-beat, artiste engagé, musicien génial à la personnalité excessive, disparaissait il y a 20 ans, le 2 août. Au cours de sa carrière, le Nigérian a tissé des liens particuliers avec la France. François Bensignor qui avait signé en 2012, une biographie de l'artiste intitulée Fela Kuti, le génie de l'afrobeat, répond aux questions de RFI Musique.

RFI Musique : On dit que Fela était très attaché à la France, qu’elle en est la raison ?

François Bensignor : Plusieurs raisons essentielles ont permis que s’établisse une relation privilégiée entre Fela et la France. La première est que ce sont des Français qui ont construit sa carrière internationale hors d’Afrique.

En 1980, Martin Meissonnier, alors jeune manager du jazzman Don Cherry et promoteur des tournées de l’Art Ensemble of Chicago en France, se rend en Italie pour y rencontrer Fela. L’inventeur de l’afrobeat n’a alors joué en Europe qu’à deux occasions : au Festival de Jazz de Berlin en 1978, et pour la Fête du quotidien communiste italien L’Unita cette année-là. Fela accepte la proposition que Meissonnier lui fait d’organiser une tournée européenne de quatre concerts. Démarrée en mars 1981 à Paris, elle tourne court après le concert suivant au Forest National de Bruxelles, son promoteur s’étant sauvé avec la caisse… Le fiasco financier qui s’ensuit oblige Martin Meissonnier à jeter l’éponge, après avoir fait enregistrer l’album I.T.T. à Fela et son groupe dans un studio parisien.

En 1982, un autre Français, Francis Kertekian, devient le manager international de Fela. Il le restera jusqu’à son dernier disque, sa dernière tournée, devenant aussi l’éditeur de l’essentiel de son œuvre. Alors qu’à la mort de Fela, en 1997, aucun de ses albums n’était plus disponible sur les marchés internationaux, si ce n’est en occasion, Francis Kertekian a rassemblé tous ses enregistrements parus à partir de 1969 afin de les publier. L’ensemble des 46 albums parus en 2001 est une révélation pour de nombreux jeunes musiciens et DJs. Dès lors, la musique de Fela bénéficie d’un véritable bain de jouvence, notamment en France, où fleurit une jeune génération d’adeptes de l’afrobeat, qui n’ont jamais connu Fela de son vivant.
Concernant l’attachement de Fela à la France, il faut aussi mentionner le rôle décisif joué par les autorités françaises dans sa libération en 1986, alors qu’il purge une longue peine de prison. Un des membres de la junte militaire nigériane se laisse fléchir et fait libérer l’artiste, qui sera accueilli à Paris par Danielle Mitterrand, la femme du président dont la fondation a œuvré discrètement pour le faire libérer, et le ministre de la Culture Jack Lang.

Est-ce la personnalité du musicien qui a marqué les esprits ?

Certes sa personnalité d’artiste en résistance contre les régimes militaires successifs qui ont mis le Nigéria en coupe réglée, s’appropriant les revenus du pétrole au détriment du peuple, a marqué les esprits. Notamment son courage à dénoncer sans discontinuer la corruption et les actes de prédation d’un pouvoir prêt à tout, jusqu’à faire détruire sa maison par l’armée… Mais au-delà de cette personnalité, rendue encore plus solaire par les femmes magnifiques qui l’entourent, c’est d’abord son génie musical qui fait de Fela un être hors du commun, un modèle pour tant de musiciens. Au même titre que le reggae, l’afrobeat est un genre musical à part entière et c’est à Fela qu’on le doit.

Que reste-t-il aujourd'hui dans le monde francophone de la musique de Fela ?

La graine afrobeat a incontestablement trouvé un terreau fertile en France et dans les pays francophones. Tony Allen, le formidable batteur qui a accompagné Fela pendant quatorze ans et tient une place importante dans la création de l’afrobeat, est basé à Paris depuis 1986. C’est aussi le cas de Kiala et de Chief Udoh Essiet, deux de ses anciens musiciens, ex-piliers de Ghetto Blaster, groupe devenu mythique.
Difficile de dénombrer les jeunes groupes qui jouent de l’afrobeat en France, tant ils sont légion. Parmi les plus célèbres, on citera Fanga, combo d’excellente facture fondé en 1999 et basé à Montpellier, issus des mouvances électro et hip hop, mais fondus de groove afro-funk. D’autres groupes se détachent, comme the Afrorockerz, Café Crème & les Frères Smith, Zingabe, Massonga ou Feva. Quant à Peter Solo, le leader de Vaudou Game, il reconnaît volontiers l’influence de l’afrobeat sur son style bien à lui.

Ses fils tournent beaucoup en Europe : contribuent-ils à maintenir la flamme ?

Femi Kuti et Seun, son demi-frère de 21 ans son cadet, sont les références incontestables du mouvement afrobeat qui se perpétue dans le monde entier. L’un comme l’autre sont les héritiers légitimes de l’art légué par leur père.
Femi a été initié au saxophone au sein de son groupe et l’a même dirigé lors de sa tournée américaine de 1984, Fela ayant été arrêté alors qu’il s’apprêtait à monter dans l’avion. Il a créé une forme originale d’afrobeat, différente de celui de son père, mais sans jamais couper le cordon qui le relie à sa pensée.
Seun, en reprenant le contrôle de l’orchestre de Fela après sa disparition, inscrit sa musique dans une filiation plus fidèle au modèle créé par son père. L’énergie de sa jeunesse lui permet de présenter un afrobeat survitaminé, évoquant parfois la période la plus créative de Fela (1971-1978). Grâce à eux, l’héritage musical de Fela continue de prospérer, touchant de nouveaux publics.