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Que sont donc les hyènes devenues?

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Que sont donc les hyènes devenues?

Presque vingt ans séparent Touki Bouki (1973) et Hyènes (1992) de Djibril Diop Mambety. Dans le premier film, Mory, un jeune berger rêvant de grands espaces vend son bétail pour un Paris de rêves et de fantasmes qu’il se résignera à transposer au pays natal avec sa petite amie Fanta ; dans le second, Dramane Dramé est offert en pâture aux misérables par Linguère Ramatou qu’il avait trahie dans sa jeunesse. Malgré le décalage fictionnel, le recours aux allégories et images symboliques comme éléments discursifs, ces deux films ont configuré un site prémonitoire sur lequel s’échafaude notre société avec ses désaxées, prêts pour Barça ou Barsaq- la fortune ou la mort qu’offre l’audace ou le désespoir.
Hyènes, transfiguration morale de l’esclavage dans lequel la sous culture urbaine enserre les habitants des villes africaines demeure plus actuelle que jamais. Dans un « jaillissement lyrique », comme l’écrit Olivier Baret, Djibril évite habilement l’emphase qui caractérise les discours idéologiques en superposant mythes et réalités. Selon l’artiste, ce choix délibéré procède d’une démarche esthétique allant à contre courant du style de narration linéaire des cinéastes africains. Mais que vient faire l’hyène dans deux films que vingt ans séparent ? L’Africain ne se posera pas la question. L’animal de ses contes et légendes, célèbre par sa cupidité, sa démarche claudicante et sa félonie est une créature marginale à la fois crainte et méprisée qui s’attaque aux faibles, aux moribonds et se repait de charogne. On eût dit que l’artiste avait senti venir l’ère des transhumants politico-alimentaires que fabrique une société dont seuls les fous sortent intacts de ses démons que sont l’appât du gain la fourberie, l’opportunisme et la mauvaise foi. Mambety appartient à cet échelon de l’aristocratie que les fats englués dans la bêtise du conformisme appellent les fous. N’est-il pas curieux que fat, en anglais, renvoie à l’adipeux ?
Je venais de boucler ma formation cinématographique à School of Visual Arts de New York quand Mambety me fit l’amitié d’une invitation dans son Bungalow situé sur la plage de Ngor où il filmait quelques portraits et plans de coupe pour Hyènes. J’étais là avec mon ami kalidou Sy qui m’attend quelque part dans cet ailleurs dont nul ne revient. D’emblée, Je fus frappé par les affinités physiques ou cérébrales entre le réalisateur et son monde -tous des « fous »-, dans leur quête de l’absolu. Kalidou et moi n’avions eu aucun mal à nous reconnaitre dans ces marginaux. Car chez nous autres les fous, la folie n’est pas ce qui saute aux yeux mais ce qui aliène l’individu à des manières et valeurs d’emprunt qui ne seront jamais les siens. C’est d’ailleurs en toute logique que Mambety se soit donné comme modèle un antihéros comme Yadikone -Robin des Bois sénégalais- avec lequel il échange des clins d’œil affectueusement complices à un certain moment du film.
A travers ses contes filmés, Djibril pose un regard panoramique sur la société sénégalaise en des gros plans qui se superposent, s’opposent s’absorbent tout en se rejetant. Tant pis si le spectateur n’y comprend rien, que ses repères soient brouillés. Argent, Religion, Politique mandatés par l’Instinct de survie constituent la trame dans laquelle se débattent proies et prédateurs symbolisés par des hyènes qui donnent une intensité dramatique aux séquences. L’animal a-t-il disparu de nos savanes ? Physiquement, peut-être, du fait de l’urbanisation barbare qui détruit bêtes et gens. Mais non sans laisser trace dans le langage…« Tanki bukki »- attitude et démarches louches ; « suul bukki sulli bukki », (transaction commerciale usuraire, d’un côté, à perte, de l’autre) ; en réalité, confusion sémantique de « suul bu kii, sulli bu kee» – enterrer le bien de l’un déterrer celui de l’autre (vivre d’expédients au détriment d’autrui) ; « bayre bukki »- mauvaise réputation… D’où cette autre sentence : « ku boot bukki xaj bów la »- qui endosse l’hyène s’attire l’aboiement des chiens.

Amadou Gueye Ngom
Critique social

PS Voir Touki Bouki et Hyènes pour ne pas mourir bête



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