Non, il ne s’agit pas d’une nouvelle station radio, comme je le crus, dans les années soixante quand Senghor lança le label pour sourire de notre propension à accréditer et donner des lettres de créances à la rumeur. C’était bien avant son entrée à l’Académie française. Un de ses pairs, Jean François Revel estimait philosophiquement que « la rumeur est le plus vieux media du monde ».
Avec l’avènement d’internet, Radio cancan pourrait fort bien s’appeler Délire Fm ou Folies. Com. En effet, se tissent sur la trame de la toile toutes sortes de rumeurs. Cela va du poisson d’Avril débilement vieux jeu aux calomnies bêtes et méchantes. Sitôt née, la rumeur se signale par sa gourmandise. Elle se nourrit, en effet de tout, même des morts.
La sagesse populaire -d’inspiration profane ou religieuse- regorge pourtant de bons mots pour flétrir la rumeur : « bala ngane naam nefa » -impossible de répondre présent là où l’on ne se trouve pas. Et Feu Abdoul Ahad Mbacké se plaisait à dire « bayillen leble ci seen wax ba di ci fey bor »-de vos paroles, ne faites ni prêt ni emprunt à autrui. Le difficile sera d’évaluer les retombées d’une parole commissionnée pour solder des comptes.
Les événements liés aux dernières élections locales et leurs conséquences sur certains de ses acteurs permettent de mesurer les ramifications de la rumeur dans une société. Ainsi, la coïncidence entre la déroute de la Génération du Concret et le drame familial des Wade a engendré toutes sortes de rumeurs… « Il paraît que Karine… Karim…Est-il vrai que le père… ? » -Non la mort date de…-Menteur ! Il n’est pas impossible que, dans la rue, les protagonistes de ces joutes en viennent aux mains …Pour des rumeurs ?
Les rumeurs autour des affaires de l’Etat naissent presque toujours du conflit entre devoir d’informer et droit à l’information. Comme je le dis souvent, notre drame est de vouloir faire de la république sans en assumer les principes les plus élémentaires dont la transparence. Dans cette France que l’on imite si mal, la prostate de Mitterrand était entrée si allègrement dans les rouages de l’Etat français que les conseils de ministres en suivaient l’évolution. Mieux, les paravents officiels s’ouvrirent d’un pan pour révéler Mazarine, la fille des amours d’alcôve.
Une rumeur fuse de partout et de nulle part. Dans beaucoup de pays, il arrive que le patron des RG et son équipe manipulent les médias pour alimenter des rumeurs visant à décrédibiliser les adversaires du chef de l’Etat. De même qu’un gouvernement faible ou sans vision projective fera lâcher des ballons de sonde d’une décision dont il redoute l’impopularité.
En ce siècle de technologie-fouine qui rend possible vols d’identités, pirateries bancaires, il est illusoire voire puéril de croire à l’inviolabilité d’un secret. Les Wade ont fait preuve d’un pauvre jugement en dissimulant le cancer d’un des leurs, comme s’il s’agissait là d’une maladie honteuse ou d’un secret d’état. Il faut savoir concéder l’évidence avant que ça ne se diffuse en rumeur. Dans le même ordre d’idées, le clan féminin des Wade a raté l’occasion d’une belle croisade de dépistage et traitement de ce terrible fléau qui frappe les femmes, sans discrimination. Un conseiller averti et non quelque affairiste sorti du marigot aurait suggéré de rendre l’information publique. L’infortune suscite parfois la sympathie qui absout les péchés antérieurs.
En interrompant une campagne, à un tournant critique, pour se rendre au chevet de sa grand mère malade, Obama s’est rallié beaucoup d’indécis qui doutaient encore de son sens de l’humain ; c'est-à-dire de ses capacités d’émotion.
La prospérité d’une rumeur est directement proportionnelle à l’importance du sujet ou du personnage en cause. Tant il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches. Le nombre de réactions sur les ouï-dire au sujet de décès de Karine Wade dépasse des milliers de fois l’intérêt que suscite la vente ou non de la Sonatel, de l’Hôtel Méridien. Les pompes funèbres au sommet éclipsent toutes autres affaires du pays.
Etouffer la rumeur?
L’aspirant maire a parfaitement compris que démentir une rumeur, afin d’en venir à bout, constitue le meilleur moyen de l’entretenir. C’est comme un feu de brousse ; essayer de l’éteindre c’est le raviver. L’un ou l’autre meurt tout seul. On ne repasse pas dessus non plus.
Les paysans wolofs connaissent l’expression daw ab daay tàbbi cib jëmb ; allusion à qui fuyant l’incendie, tombe sur un tapis de cendre couvant des braises encore ardentes ; un autre saut reste à faire.
Rumeur quand tu nous tiens… Plutôt que de céder à une telle emprise, il convient de comprendre pourquoi, sans analyse ni critique de nous-mêmes, la rumeur se dissémine aussi vite dans nos sociétés.
Amadou Gueye Ngom
Critique social
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