A QUI PROFITENT CES MILIARDS : Des producteurs réclament un blocage de la subvention

« Les paysans n’ont perçu que 40% de ce qui leur est dû, sur les 140 000 tonnes qui ont été déjà distribuées dans les usines. Et cela est dû à une défaillance des industriels, qui n’ont pas mobilisé les financements suffisants à temps. Par conséquent, l’Etat somme les huiliers de payer 9 000 000 000 de dettes aux paysans dans 15 jours… », le ministre de l’Agriculture dixit. C’était vendredi dernier, au sortir de la rencontre convoquée par le Premier ministre, dans le but de débloquer la campagne de commercialisation. Donc, sur les 15 000 000 000 à mobiliser par les industriels pour le financement de 140 000 tonnes annoncées, 9 restent à combler, afin que les paysans rentrent dans leurs fonds, après avoir livré leurs graines par le biais d’opérateurs privés supposés être agréés par ces mêmes huiliers.

Au-delà du débat sur les chiffres relatifs aux quantités de graines collectées depuis le 15 décembre 2010 (date du démarrage officiel de la campagne), il y a lieu de s’interroger, à la lumière de la déclaration du ministre de l’Agriculture, sur la mise en œuvre du système de collecte et, de se demander alors, quels sont les véritables bénéficiaires de ces milliards de la filière dont la subvention de l’Etat. Comment des huiliers peuvent-ils réceptionner des graines dont la traçabilité est mise en cause, si l’on en juge par le retour fracassant des bons impayés rendu public par Souleymane Ndénè Ndiaye à l’occasion de l’ouverture de la Fiara ? Est-ce que ces quantités déclarées proviennent dans leur globalité des points de collecte officiels, où le producteur est censé être payée sur place par l’opérateur attributaire du site ? Qui sont justement ces opérateurs qui embarquent les récoltes des paysans, en leur délivrant des bons à la place des sous ? Quid de la fonctionnalité des commissions locales de surveillances ? C’est un chapelet de questionnements qui sont agités aujourd’hui dans le bassin arachidier, où l’on a fini de se convaincre de l’échec total de la présente campagne. A la vérité, en l’absence de vrais opérateurs privés (c’est un métier), maillon important du dispositif en charge traditionnellement de la collecte primaire, du fait des conséquences d’un long bras de fer avec le ministre de tutelle, ce sont des spéculateurs qui règnent en maîtres dans cette présente campagne. D’où les forts relents de suspicions de complicité ou de collusion entre le Comité interprofessionnel de l’arachide (CNIA), les huiliers et le ministère, décriés par certains acteurs de la filière. D’ailleurs, ces derniers se démarquent totalement de la sortie de Khadim Guèye, sommant les industriels à régler rapidement leurs dettes, et menaçant les opérateurs véreux (ceux qui achètent au prix noir) de voir leur agrément retiré. Mais le ministre « oublie » de préciser que ces spéculateurs font légion dans un contexte de « Mbappat » généralisé où la vente au point de collecte est devenue l’exception, s’offusquent ces mêmes sources, qui demandent à l’Etat de bloquer la subvention. Ceci, en attendant d’y voir plus clair dans ce mélimélo qui ressemble fort à des pratiques déjà vues. Selon eux, le PM doit diligenter une enquête pour se faire une religion sur les véritables bénéficiaires de la subvention du prix au producteur. Pour rappel, le gouvernement prévoit de débourser 4 milliards 500 millions de francs CFA à titre de subvention, correspondant à une collecte de 300 000 tonnes annoncées par les industriels. Mais ces derniers, qui comptaient sur les crédits bridge ou queues de campagne, éprouvent d’énormes difficultés à mobiliser les financements, parce que les banques sont loin d’être rassurées par cette formule. En attendant, le marché parallèle a encore de beaux jours devant lui, comme le disait avec beaucoup d’humour, le Président du collectif des paysans du Saloum. « Mieux vaut vendre le Kg à 125 Francs CFA que de rentrer à la maison avec des bons impayés », ironise Ibrahima Badiane.