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Politique

Après son départ du pouvoir en 1980 - La face cachée de Léopold Sédar Senghor qui a souffert de son héritage politique bradé.

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Après son départ du pouvoir en 1980 - La face cachée de Léopold Sédar Senghor qui a souffert de son héritage politique bradé.
Que reste-t-il de l'héritage de Senghor au double plan politique et intellectuel ? Cette question trouve sa juste réponse dans les profondeurs d’un passé mitigé, fait de douleur et de joie. Ses héritiers au plan intellectuel, à savoir Amadou Lamine Sall, Oumar Sangaré et Racine Senghor, se sont livrés à un exercice d’éclairage. Pour dénoncer le bradage de l’héritage politique de Senghor sous le régime de Abdou Diouf.

«Abdou Diouf a été l’auteur de la désenghorisation. Il s’est conduit comme un monstre et Senghor en a beaucoup souffert». Ces propos du professeur Oumar Sankharé ne sont que la face visible de l’iceberg. On ne peut parler d’héritage de Senghor sur les plans politique et intellectuel en cryptant ces moments douloureux qui ont contribué à exiler le poète, au propre comme au figuré. D’après les amis les plus proches de Senghor, Abdou Diouf était l’homme de la situation. Plus tard, sa déception n’en sera que plus grande, mais discrète, pudique. Car Diouf aura beaucoup dévié des chemins de la loyauté par rapport au maître. A peine installé, il commença très tôt et maladroitement à faire oublier Senghor, ou à défaut, pouvoir abattre pour toujours «le baobab encore au milieu de la plaine». Diouf devait être le nouveau et seul baobab debout, le seul visible. Il avait reussi le plus difficile : attendre patiemment son heure, en s’armant de sa discrétion et de ses qualités propres. Et des couleuvres, il en avait avalés sous Senghor, sans perdre patience. Etre le favori de Senghor avec tant de barons alentour, ce n’était pas chose aisée. Sans le crier sur tous les toits, Diouf savait qu’il tenait avec Senghor les moyens de son ambition : devenir Président. «La seule vertu dont il ne fallait jamais se départir pour Abdou, était de veiller personnellement à protéger Senghor des haines et des vengeances sans nom. L’héritage était lourd, car ne succède pas à Senghor qui veut. Les leçons de l’histoire commencent. Même pour le poste de secrétaire général de l’Organisation International de la Francophonie, c’est encore Senghor qui adoubé son ancien Premier ministre pour oublier et assumer sa défaite. Car il en est le créateur, avec son ami feu Habib Bourguiba de la Tunisie et Amani Diouri du Niger», précise Amadou Lamine Sall, très amer. Un jour, raconte le professeur Oumar Sankharé, Famara Ibrahima Sagna alors ministre de Finances, a reçu un émissaire de Senghor pour demander une lettre de moratoire. Car s’il ne payait pas ses impôts dans les 72 heures, il risquait d’être poursuivi. Famara, ébahi, est parti rudoyer le directeur des Impôts pour son acte discourtois à l’endroit du premier Président des Sénégalais. Et en conseil des ministres, il a demandé que Senghor soit dispensé d’impôts, vu son statut d’ancien chef d’Etat. Habib Thiam a refusé une telle proposition et Abdou Diouf a rajouté que c’est un citoyen, il doit s’acquitter de son devoir. Famara Sagna s’est levé, dépité et c’est lui qui a payé finalement l’impôt. «Même son téléphone lui a été coupé pendant un moment. Le Roi Hassan II, sachant que Senghor était à Dakar, a voulu le joindre. Il été inaccessible. Il s’est rabattu sur feu Djily Mbaye qui lui a expliqué les problèmes que vivent Senghor sous Diouf. Le roi a aussitôt appelé Diouf pour lui dire qu’il voulait parler à Senghor dans 15 minutes. Et il a aussitôt raccroché, sans ajouter un mot de plus. Et Diouf était obligé d’agir pour qu’on rétablisse la ligne de Senghor», raconte Oumar Sankharé. Il poursuivra son réquisitoire en affirmant que «de 1980 à 2001, Abdou Diouf n’est jamais allé voir Senghor. Pire, toutes les archives audiovisuelles et sonores de Senghor à la RTS ont été détruites. Il n’y a plus rien. C’est pourquoi après son décès, on avait de la peine à retracer son itinéraire. C’est d’ailleurs cet acharnement qui fait que Senghor ne voulait pas venir au Sénégal. On lui a fait trop de mal. Il avait peur de gêner certaines personnes. D’ailleurs, toutes les autorités qui s’aventureraient à lui rendre visite, risquaient de se retrouver limogés. En 1984, lorsqu’il devait être reçu à l’Académie française, le gouvernement du Sénégal avait boycotté l’avènement. Mitterrand était tellement fâché qu’il a du annulé une visite pour aller accompagner Senghor personnellement et lui témoigner tout son soutien. On devait donner son nom à l’université Cheikh Anta Diop, l’Etat sénégalais a refusé. Là aussi, Mitterrand a crée une université qui porte le nom de Senghor à Alexandrie en Egytpe. Sur le plan culturel, Senghor avait l’habitude d’acheter et de conserver des œuvres d’arts au Musée dynamique. Quant il a appris qu’on voulait le détruire pour y construire la cour de cassation, Ousmane Sow Huchard est allé le voir sur sa demande. Et quand il a eu confirmation des faits, il s’est effondré sur sa chaise. D’ailleurs, c’est cette dernière image que le patron des Verts garde en souvenir de Senghor. Heureusement, après sa mort, il a été redécouvert», se console Oumar Sankharé, qui veut que le régime de Abdoulaye Wade fasse plus d’efforts pour maintenir vivant le souvenir de Senghor. Mais le plus virulent parmi tous, c’est Amadou Lamine Sall, président de la Maison africaine de la Poésie internationale, le poète monogame. «J’ai à côté de Senghor, à Paris comme à Dakar, pendant des années, vécu ce que l’on a appelé le temps de la désenghorisation. Ses proches en ont beaucoup souffert. Certains, nombreux, qu’il avait aimés, protégés, formés et conduits au pouvoir, s’étaient retournés contre lui. Mais il est resté digne. Je sais que par la suite, Diouf a tenté, mesurant la faute et l’injustice, de le rencontrer pour réparer les longues années d’éloignement volontaire. Colette, son épouse, s’y est fermement opposée, sans même s’en référer à son mari, qui, j’en suis sûr, avec la sagesse et la générosité qui le caractérisaient, aurait accepté de recevoir, malgré tout, son successeur. C’était trop tard», révèle Amadou Lamine Sall, qui n’a pas mis de gants pour s’exprimer.

Depuis la Chine où il se trouve en ce moment, il avoue que l’héritage politique de Senghor a été bradé. Mais que, heureusement l’héritage culturel et intellectuel demeurent, car il existe encore des garde-fous par rapport à la pensée senghorienne. L’histoire retiendra ce fait, que peu de gens auront su et appris, qu’avec la disparition de Senghor, avec les interviews des journalistes et enfin le discours d’hommage posthume du Président Wade faisant l’impasse totale sur toute filiation entre Senghor et Abdou Diouf. Lamine Sall n’avait pas apprécié la manière dont Senghor avait passé le relais à Diouf. Et il le lui a dit en 1981. Et Senghor lui répondit : «Si c’était à refaire, je ferais la même chose». Plus tard en 1989, il lâchait juste : «On peut se tromper». « Si proche de lui, je savais qu’il n’était pas de ceux qui regrettent ce qu’ils ont fait et assumé. Le regretterait-il, il le garderait pour lui», confie Lamine Sall. Diouf ne pouvait pas échapper aux tiraillements et aux luttes de positionnement qui allaient faire rage au sein du Ps. Senghor avait plus de chance, parce qu’il bénéficiait du rôle de fondateur, de penseur et d’animateur. «Vous n’avez pas laissé à Diouf un bébé à faire grandir, mais plutôt un mastodonte, encore plus difficile à faire vivre. Si Senghor avait su maîtriser son parti, c’est sans doute aussi que ceux qui en étaient l’âme avec lui, étaient de vrais et solides compagnons, et non des hôtes de passage. Abdou Diouf, arrivé au pouvoir, avait choisi de siéger peu au bureau politique. Selon toujours Lamine Sall, le corps diplomatique, poliment mais fermement, avait reçu des recommandations pour ne plus parler de Senghor, du moins dans le nouvel espace officiel sénégalais. Diouf était-il au courant ? En tout cas, il a laissé faire. Pire, on avait demandé à Senghor de se démettre de ses fonctions au sein de l’Internationale socialiste. Surpris, Sédar s’était exécuté. Il avait dit à l’époque : «Dire que je les gêne encore…, souriant mais grave !». «C’est bien que vous leur laissiez tout, finalement…», le consola Amadou Lamine Sall avec dépit. Même le congrès mondial des poètes, initialement prévu à Dakar, a été tenu à Marrakech. Car Jean Collin avait écrit à Senghor pour lui dire que le Sénégal ne pouvait pas accueillir ce congrès, pour des raisons économiques. Naturellement, Senghor s’est tourné vers son ami Hassan 2 pour lui demander son appui. «C’est en vivant ces moments difficiles et inacceptables que je fus amené à publier en 1989, mon recueil de poésie intitulé : Locataire du néant. C’était ma révolte, mon cri du coeur contre tous ceux qui ont participé à effacer Senghor de l’histoire du Sénégal», fulmine-t-il. Heureusement, Colette donna à Abdou Diouf sa chance le 5 octobre 2006, qui restera historique. Elle lui fera visiter la maison de Verson. La presse donna l’information. On parla même de revanche sur ceux qui lui avaient naguère dénié l’héritage senghorien. Le problème n’était pas Senghor mais Colette. Elle avait raison d’être un problème, au regard de ce que Senghor avait enduré sous le régime de Diouf. Diouf a dû enfin dormir cette nuit-là, comblé. Moustapha Naisse, fils et ami de Sédar, était présent ce jour-là. Quand on sait combien Diouf et Niasse étaient séparés par une douloureuse histoire désormais inscrite dans la mémoire politique du Sénégal. Niasse connaît bien l’odyssée Senghor-Diouf. Racine Senghor, neveu du Président, sur un autre registre, souligne que les disciples de ceux qui ont approché Senghor sont encore là. Ce sont les gardiens de la pensée du fils de Joal. Quand on regarde l’évolution de l’art, il n’y a pas de renouvellement de ce que Sédar avait laissé mais plutôt évolution. Le fond est toujours là. «Ce que je regrette, c’est qu’il n’y ait plus de mouvement, le même engouement, ce n’est plus le même intérêt auprès des autorités et des populations. Les gens sont plus préoccupés par le vécu quotidien, par la cherté de la vie», renchérit Racine Senghor. Bien des choses ont changé avec le temps, car comme le dit le professeur Omar Sankharé, Senghor avait autorisé seulement quatre courants politiques : le socialisme, le communisme, le conservatisme et le marxisme. On pensait que c’était une entorse à la démocratie et Diouf est venu libéraliser. « Aujourd’hui, c’est l’anarchie, car il y a des partis qui ne font même pas dix personnes. Le Sénégal a été avec Senghor, le premier pays à organiser des élections multi partisanes en 1978 en Afrique. Beaucoup de chefs d’Etat à l’époque étaient ahuris. Si Senghor a perdu son héritage politique, force est de reconnaître qu’il lui reste l’héritage intellectuel et culturel entre les mains d’hommes conscients qu’il n’était pas un poète, ni un président mais une conscience. Quant au chef de l’Etat Me Abdoulaye Wade, on espère seulement après la fin de son mandat qui sera fixé en 2012, qu’il n’y aura pas la «déwadisation». Car, avec le tempérament qu’on lui connaît, lui ne se laissera pas faire. C’est sûr qu’avec Wade, l’histoire ne se répétera pas.



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