Mercredi 24 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

BABACAR SALL, DIRECTEUR DE PUBLICATION A L’HARMATTAN :«Mettre en échec la caporalisation de nos institutions par le pouvoir»

Single Post
BABACAR SALL, DIRECTEUR DE PUBLICATION A L’HARMATTAN :«Mettre en échec la caporalisation de nos institutions par le pouvoir»

Le livre «Affaire Me Sèye– un meurtre sur commande», écrit par le journaliste Abdou Latif Coulibaly, est interdit de fait au Sénégal. Pour le directeur de publication à l’Harmattan, qui fait la remarque, les autorités de l’Etat auraient dû faire en sorte que cette interdiction s’inscrive dans un cadre légal. Dans la deuxième partie de notre entretien, Babacar Sall revient sur la censure au Sénégal et explique pourquoi «à défaut d’un arrêté, toute action auprès des diffuseurs pourrait être sujette à plainte».

Babacar SALL : Parce que derrière l’action des fonctionnaires de l’Etat, il y a les plus hautes autorités de l’Etat. D’ailleurs, ironie du sort, tous les ouvrages qui parlent du président de la République en des termes critiques, ont disparu des rayons des librairies de Dakar.

Comme quels ouvrages ?

Le livre de Mody Niang, par exemple. On a demandé à ce dernier de venir enlever ses ouvrages. Le livre en question a été publié au Sénégal et nous l’avons réédité ici en France. Tous les ouvrages qui parlent, de façon critique, du président de la République, même ceux qui sont sortis il y a deux ans, sont interdits au Sénégal. Il y a une librairie à Dakar qui a apposé, au mois de janvier, sur son fronton une photo gigantesque du président de la République comme pour exorciser la colère du Prince. Lorsque la violence symbolique et physique - dont l’Etat a le monopole légal - s’exerce de manière injuste et illégitime sur les citoyens et leurs activités, la société, sous le régime de la peur, passe alors de la censure à l’auto-censure.

Combien d’ouvrages avez-vous convoyé au Sénégal et qui ont été saisis ?

Je ne peux pas vous préciser le nombre, mais il y ades centaines qui ont été vendus en trois jours. Il y a des libraires, entre-temps, qui ont commandé et
décommandé parce que les fonctionnaires de l’Etat les ont menacés. Il y a des gens qui font venir des livres de France qui sont saisis par la douane aéroportuaire. Nous avons des demandes importantes venant du Sénégal,
mais que nous ne pouvons satisfaire parce que le livre ne peut pas entrer au Sénégal. Est-ce qu’on a le droit dans un pays dit démocratique de connaître ce genre de situation ? Des livres qui, non seulement, sont séquestrés, mais dont les diffuseurs sont menacés ou traînés illégalement devant les tribunaux. Mais nous allons réagir contre tout cela. Il s’agit d’utiliser Internet pour mettre à la disposition des Sénégalais cet ouvrage et d’autres à venir. Et cela aucune police
politique, fut-elle la plus puissante, ne peut interdire l’entrée au Sénégal de cet ouvrage par la
voie électronique.

Comment cela va se faire ? Ce sera payant ?

Nous allons le mettre simplement en ligne. Il est d’ailleurs en ligne sur notre site et n’importe quelque individu au Sénégal ou ailleurs peut le télécharger moyennant une contrepartie raisonnable. L’essentiel, c’est qu’il soit accessible par le grand nombre sans censure. Le régime est en face d’une nouvelle donne qu’il ne peut contrôler, parce que cet ouvrage qu’il veuille ou non sera lu. Et plus il l’interdira plus l’engouement du lectorat sera grand. Je signale qu’il est traduit en langue ibo du Nigeria. Une version disponible également en ligne. D’autres
traductions dans nos langues nationales sont à encourager.

N’avez-vous pas d’autres recours pour faire valoir vos droits de diffusion ?

Comment voulez-vous faire quoi que ce soit au Sénégal si le chef de l’Etat lui-même annonce d’avance les incriminations, les durées de peine et les libérations
au grand dam des autorités judiciaires. On a le sentiment dans ce domaine que les choses sont jouées d’avance. Néanmoins, il faut se battre pour mettre en
échec la caporalisation de nos institutions par le pouvoir.

Est-ce que là vous n’exagérez pas ?

Aucunement. Vous êtes journaliste. La presse nous révèle régulièrement ce type de manipulations judiciaires. Tantôt untel est coupable, tantôt il ne l’est plus. Et on ne sait même pas pourquoi. On a vu, par ailleurs, entre deux affaires un président qui prend son bâton de pèlerin, fait le tour du monde pour aller chercher des décorations.

N’est-il pas un signe que le pays vit ? Si le pays ne vivait pas, le président aurait-il le loisir de voyager ?

Le pays va mal. Le président voyage parce qu’il a d’autres priorités. Ce qu’on lui demande, ce n’est pas d’aller aux Etats-Unis, de venir en France pour recevoir des titres de toutes sortes. (...) Ce que les Sénégalais lui demandent, c’est qu’il les aide à résoudre leurs problèmes quotidiens. Nos priorités, ce ne sont pas les attributions de prix, c’est la résolution des problèmes du pays. Vous savez, il
existe une économie internationale de la distinction et des honneurs qui obéit aux lois du marché des statuts. Tout chef d’Etat qui a du temps libre peut sillonner le monde et être décoré tous les jours. Ce n’est pas une gloire, c’est plutôt un problème.

Pourquoi n’avez-vous pas saisi les organisations des Droits de l’homme pour ces interdictions d’ouvrages ?

Mais elles doivent être au courant …

Ne pouvez-vous pas les saisir officiellement ?

Chacun fait son travail !  Il y a des hommes politiques de l’Opposition qui sont menacés de mort. Des citoyens qui sont entravés dans leurs activités parce qu’ils ne veulent pas se soumettre à ce type de Sénégal qu’on leur propose et dans lequel ne prévalent que des allégeances, des postures d’indignité et des
silences coupables. Cela est grave. Dans ce genre de situation, il faut adopter la devise de l’hermine : plutôt la mort que la souillure !  Cette posture de dignité et de refus de la soumission est un acte de résistance dans pareille situation historique. Chacun doit faire son travail, selon sa conscience. Mais c’est à l’histoire de juger.

Certains proches du Chef de l’Etat menacent de porter plainte contre l’Harmattan et contre Latif Coulibaly. Les plaintes ont-elles été déposées ?
Le livre «Affaire Me Sèye– un meurtre sur commande», écrit par le journaliste Abdou Latif Coulibaly, est interdit de fait au Sénégal. Pour le directeur de publication à l’Harmattan, qui fait la remarque, les  autorités de l’Etat auraient dû faire en sorte que cette interdiction s’inscrive dans un cadre légal.

Dans la deuxième partie de notre entretien, Babacar Sall revient sur la censure au Sénégal et explique pourquoi «à défaut d’un arrêté, toute action auprès
des diffuseurs pourrait être sujette à plainte».

Certains proches du Chef de l’Etat menacent de porter plainte contre l’Harmattan et contre Latif Coulibaly. Les plaintes ont-elles été déposées ?

(...) Nous savons que certains proches du Chef del’Etat ont engagé une procédure contre nous. Mais nous les attendons avec sérénité et détermination. Nous n’attendons que cette plainte pour descendre jusque dans les paliers en profondeur de la vérité pour en extraire le minerai. Le peuple sénégalais, et au-delà les Africains, ceux qui s’intéressent à l’Afrique, les citoyens libres, n’attendent que la manifestation de la vérité. Pour qu’elle soit intégrale et effective, il faut que cela se passe devant le tribunal. Nous ne céderons pas aux pressions. Tant que ladite publication n’est pas contredite en face par des éléments de preuve, nous continuerons à considérer qu’elle est tangible. (...) On se demande parfois si ce régime n’est pas frappé de folie, de pathologie de la déraison et d’outrance aveugle.

Avez-vous subi des menaces de mort ?

Lorsque je regarde le Sénégal officiel avec son lot d’affaires illicites à coups de milliards, son économie de rapine, ses transactions obscures, son opulence subite, à côté de la souffrance du peuple, je me demande si nous sommes encore en politique ou en criminalité ou les deux à la fois. Quelles que soient les formes de menaces, le travail doit se poursuivre pour tenir en échec ce que le poète Aimé Césaire nomme les «vagabonds moraux».

Avec toutes ces pressions, n’avez-vous pas pris des risques de publier ce livre ?

Le peuple sénégalais de l’intérieur prend plus de risques que nous. Il y a des gens, au Sénégal, qui n’arrivent pas à satisfaire leurs besoins vitaux... La publication de ce livre est d’autant plus d’acuité qu’il met en cause les plus hautes autorités de l’Etat par une écriture d’investigation qui s’appuie sur des entretiens d’acteurs de la tragédie, un corpus de documents de première main. (...) Ce risque mérite d’être pris parce qu’il est salutaire pour la santé publique.

Est-ce parce que l’ouvrage de Latif a été interdit que vous êtes aussi remonté contre le président de la République ?

Du tout ! En 2002, quand il y a eu le naufrage du Joola, j’ai écrit un livre portant le titre de «Sel de mer : poèmes pour les naufragés et les rescapés du Joola» pour dénoncer la négligence du régime et sa responsabilité sur cette tragédie de l’histoire des  mers. Ce qui m’avait choqué, c’est la déclaration du chef de l’Etat qui incriminait les victimes comme responsables de ce qui leur est arrivé à cause de la surcharge du bateau. L’autre élément, ce sont les rétentions budgétaires pour la rénovation du navire, alors que dans le même temps il a dépensé trente fois plus pour la mise en norme de l'avion de commandement.



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email