‘Tout ce que j'ai fait, est régulier. Je sais bien que si j'avais plaidé coupable, je ne serais pas en prison. Je ne vais pas plaider coupable, car je suis innocent’. C'est en ces termes que le patron de l'entreprise Jean Lefebre, Bara Tall, s'est adressé à son avocat, Me Vergès, à la prison de Rebeuss. Des propos qui renforcent la stupéfaction de Me Vergès qui prend connaissance du dossier pour la première fois. En effet, les avocats Mes Vergès et Dior Diagne Mbaye sont d'autant plus surpris qu'au début de cette affaire des chantiers de Thiès, on est parti d'une question de surfacturation pour aboutir à l'obtention frauduleuse de 8 milliards à l'aide de pièces fausses. Une situation ‘surréaliste, invraisemblable’, selon les avocats.
Pour Me Vergès, son client a obtenu un marché de construction sur un appel d'offres. ‘Ce n'est pas un marché de gré à gré où, parfois, il y a des magouilles. C'est un appel d'offres et beaucoup de sociétés ont concouru. Et le moins disant était M. Tall. On parlait de surfacturation. Alors si c'est vrai, il faudrait arrêter toutes les autres sociétés qui ont concouru puisque leurs prix étaient supérieurs à ceux de M. Tall’, ironise l'avocat français. Pour se faire comprendre, Me Vergès indique que Bara Tall a participé à un appel d'offres et a ‘obtenu le marché dans des conditions particulières.
L'Etat qui ne peut pas le payer, lui demande de pré-financer le projet de construction. C'est-à-dire qu'il doit avancer, à partir d'un prêt bancaire, les frais qu'il va engager. Et aujourd'hui, on nous dit qu'il s'est fait remetttre le prix de ces travaux, mais de manière frauduleuse. Ce n'est pas possible’.
Selon toujours l'avocat, il ne peut y avoir ni surfacturation ni remise frauduleuse d'argent, car ce qu'on a versé - en partie parce que ce n'est pas intégralement - à Bara Tall, correspond au prix proposé dans l'appel d'offres et qu'on a accepté. ‘Ces prix qu'il offrait, ont été approuvés par la Commission nationale pour les contrats de l'administration, par les ministres concernés et par le bureau des contrôles. Si jamais, il y a fraudes, il faut arrêter tout ce monde’, martèle encore l'ancien défenseur de Me Wade qu'il dit voir de moins en moins.
Mais, ce qui semble le plus curieux aux avocats, ce sont ces experts qui remettent en cause les factures de l'entreprise Jean Lefebvre alors qu'ils ignorent tout du Btp. ‘Qui sont ces experts ? Certainement des gens très honorables, des experts immobiliers (si jamais vous habitez dans un appartement et que vous avez des ennuis parce que la canalisation marche mal, vous pouvez vous adressez à eux. C'est leur spécialité). Quelle est leur qualité dans une affaire de Btp, de construction de route ? Aucune qualification. Voilà que ces experts immobiliers dans une affaire qui n'est pas immobilière disent non, il y a eu surfacturation’, s'indigne l'avocat. ‘Pourtant, indique Me Vergès, toutes les factures présentées sont celles de sociétés existantes. C'est le cas de toutes celles qui ont participé dans les travaux de l'éclairage public d'un coût de 843 millions de francs Cfa comme pour l'abattage des 43 baobabs que contestent les experts. Et ces contestations ne reposent sur aucune étude solide’.
L'avocat de Bara Tall d'ajouter que, dans cette affaire, ‘ce serait comique s'il n'y avait pas quelqu'un en prison. Si derrière ce quelqu'un en prison, il n'y avait l'ombre de politique’. Cette ombre politique, estime l'avocat de Bara Tall, ‘rend suspect tout le procès. La pure impression que j'ai, c'est que si ces travaux étaient réalisés à Kaolack, on n'en serait pas là’. Mais, ce qui intrigue, aussi, Me Vergès et Dior Diagne Mbaye, c'est le glissement du délit de surfacturations à la remise frauduleuse d'argent.
‘Le glissement est dû au fait que la sufacturation n'est pas un bon terrain juridique pour un client prisonnier. Par contre, quand on dit qu'il a obtenu frauduleusement 8 milliards de l'Etat, il est carrément accusé de détournement de deniers publics. Et c'est plus commode de mettre quelqu'un en prison en l'accusant de détournement de deniers publics. Il est encore plus ardu pour un client de se défendre de l'accusation de détournement de deniers public’, explique Me Dior Diagne. Son collègue français estime que ce glissement sémantique s'adresse à l'opinion : ‘Surfacturation, c'est un débat, il a obtenu frauduleusement de l'argent, c'est quelque chose de vague. Donc, on est parti d'une accusation précise qui ne tient pas la route vers une accusation vague qui ne tient pas, non plus, la route, mais qui, posée à l'opinion, va marquer plus’.
Même s'il estime que le dossier de Bara Tall est vide, Me Jacques Vergès ne voit pas son client sortir si vite de l'auberge. Pour lui, la chose dont il a peur, ‘c'est que l'affaire ne soit pas réglée dans quelques jours ni dans quelques mois. C'est une affaire que l'on risque de maintenir au chaud le temps nécessaire. Et puisqu'il y a un arrière-fond politique, cela va peser sur le timing de l'affaire. Et peut-être que certains souhaitent qu'à ce rendez-vous politique, M. Tall et autres personnes qui seront entraînées dans l'affaire, soient l'objet d'une inculpation qui les rend incapables d'avoir un rôle politique. Donc, je suis beaucoup moins optimiste et je l'ai dit à Bara Tall, ce matin (Ndlr, hier)’.
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