En 2001, les Etats de la Cedeao prennent l’engagement de ne pas toucher ni à leur constitution respective ni à leur loi électorale six mois avant un scrutin. Le protocole est signé à Dakar sous l’égide du président de la République du Sénégal. Cinq ans plus tard, il ne reste rien de ce document côté sénégalais. L’augmentation du nombre de députés et la suppression du quart bloquant sont passées par là.
Les experts électoraux et autres observateurs de la scène politique africaine en ont détaillé depuis longtemps les aspects : la plupart des crises qui surviennent sur le continent découlent d’une mauvaise organisation des élections par les régimes en place. Ceux-ci, soucieux d’une conservation du pouvoir à tout prix, ne lésinent en général sur aucun moyen de rester en place, quoi qu’il en coûte de misères et de malheurs à la collectivité nationale. C’est pour dépasser cette situation porteuse de toutes les instabilités que la Cedeao s’est donné, librement, une véritable «constitution» selon le terme du constitutionnaliste Ismaïla Madior Fall. Dans la section II du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance dans l’espace Cedeao, le premier alinéa de l’article 2 indique en effet qu’«aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques». C’est dans la capitale du Sénégal, Dakar, qu’a été signé ce protocole le 21 décembre 2001, près de deux ans après la large victoire d’Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle de mars 2000. Expliquant cet engagement, le Pr. Fall note que «de façon tendancielle, les organisations d’intégration aux niveaux sous-régional ou régional s’intéressent de plus en plus aux principes de gouvernance politique et démocratique. La Cedeao cherche à dégager des standards pour (…) surveiller le processus de démocratisation» dans l’espace communautaire.
Contre toute attente, notre pays s’est mis en porte-à- faux avec cette même disposition communautaire. A quatre mois des scrutins de février 2007, le gouvernement du Sénégal s’est engagé dans une série de modifications importantes de la constitution, modifications qui vont ensuite entraîner des changements dans la loi électorale. En plus du nombre de députés qui va être revu à la hausse pour une obscure raison de «modernité politique», le principe du quart bloquant est également appelé à sauter. Sur ces deux mesures, et contrevenant à son engagement communautaire, le Président Wade n’a mené aucune consultation en direction des acteurs politiques, ceux de l’opposition notamment. Or, l’importance du protocole additionnel de la Cedeao n’est plus à démontrer. Selon Ismaïla Madior Fall, «pour la première fois, une organisation d’intégration des Etats se retrouve à l’échelle supra étatique pour fonder une constitution. Car en réalité, le document est une constitution», unique à l’échelle africaine. Si les normes qui sont formulées dans le protocole «sont très précises», note le constitutionnaliste, en ce sens que «la Cedeao essaie de mettre la pression sur les Etats afin qu’ils respectent ces normes», la difficulté réside «dans la justiciabilité des normes», c’est-à-dire leur effectivité dans chaque Etat. A en croire M. Fall, la Cedeao ne peut compter que sur la bonne foi et la volonté politique des Etats à respecter des dispositions qu’ils ont eux-mêmes sécrétées.
Le Sénégal et son Président qui revendiquent un certain leadership démocratique qui irait au-delà des frontières de l’espace régional, peuvent-ils se permettre une violation aussi flagrante d’une «constitution» communautaire ? Ismaïla Madior Fall pointe le doigt sur un «décalage entre les normes posées par les organisations d’intégration et leur pleine réceptivité dans l’ordre juridique interne des Etats». En économie, il est de rigueur pour les Etats de bafouer la plupart des directives dégagées par les organisations régionales ou même au niveau de l’Union africaine. «La nouveauté, c’est la politique. Des normes sont posées en matière d’élections, de révision constitutionnelle ou de respect des standards de bonne gouvernance. Mais les Etats dont le Sénégal, très prompts à signer» accord sur accord, «rechignent à appliquer les normes auxquelles ils ont souscrit lorsqu’ils ne les oublient pas.» Notre pays, «donneur de leçons» par excellence, gagnerait à concrétiser le «phénomène de la démonstration par l’exemple».
C’est une posture qui «passe mieux quand le pays lui-même administre la preuve du respect scrupuleux» des normes communautaires à l’échelle régionale ou continentale.
Si les Etats sont souverains, Ismaïla Madior Fall est d’avis que la Cedeao devrait un jour pousser la logique jusqu’à asseoir «des mécanismes de coercition afin de pousser ses membres à respecter leurs engagements communautaires.»
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