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Politique

DERNIER PREMIER MINISTRE DU PRESIDENT ABDOU DIOUF : Mamadou Lamine Loum audite l’alternance

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DERNIER PREMIER MINISTRE DU PRESIDENT ABDOU DIOUF : Mamadou Lamine Loum audite l’alternance
LES MARCHES DU QUOTIDEN - Mamadou Lamine Loum, ancien Premier ministre : « Les actions de la Sonatel sont le placement le plus sûr pour l’Etat »

C’est d’un pas vif et allègre qu’il a escaladé, jeudi dernier, les marches du journal Le Quotidien. Et c’est en homme qui maîtrise ses dossiers, et dont les notes sont parfaitement à jour, que celui qui a géré l’Economie du Sénégal juste avant l’Alternance, a fait la revue de ceux qui ont pris sa relève. Pour déplorer que le pouvoir du Président Wade n’ait pas su faire preuve de la même mesure dans la gestion que ceux qui l’ont précédé. Ses critiques, bien documentées, semblent montrer que le dernier chef de gouvernement du Président Abdou Diouf, qui déclarait ne pas se voir servir sous un régime autre que socialiste, n’est pas encore prêt de rallier le pouvoir libéral. La Rédaction publie la première partie d’un entretien de près de trois heures et qui a eu lieu trois jours avant le démarrage des Assises nationales.

PLAN SAKHO-LOUM ET SITUATION ACTUELLE

«Les contextes sont différents. Le plan d’urgence de 1993, que la presse appelait le plan Sakho-Loum, était destiné à restaurer les capacités financières de l’Etat, lesquelles étaient chahutées assez vertement par ce que nous nous avions analysé comme étant les conséquences du consensus politique qui avait cours entre 1991 et 1993. On peut remonter plus loin, à partir de 1988. De 1988 à 1993, le Sénégal a vécu ce qu’on a appelé l’ajustement ajourné, qui a démarré à partir des événements et des échauffourées de 1988. Il y a eu des programmes assez difficiles et aucun d’eux n’a réussi après que le Sénégal, de 1983 à 1988, a été le meilleur pays programme en Afrique du Fonds monétaire et de la Banque mondiale. Et on préparait, à l’époque, le gouvernement de majorité présidentielle élargie, qui a apporté au pays une certaine paix sociale, une certaine accalmie dans les conflits sociaux mais qui a fait reculer grandement l’économie. On a eu des taux de croissance très faibles mais surtout un recul des recettes fiscales de l’Etat, et une reconstitution des arriérés intérieurs et extérieurs. Ce qui a fait qu’au moment où le plan d’urgence était adopté, il y avait un risque, que nous avions calculé d’ailleurs, qu’en décembre, malgré toutes nos bonnes volontés et la qualité des hommes qui assuraient la gestion tendue des finances publiques, le risque était grand de connaître une crise financière. Alors, le gouvernement a essayé, autant que faire se peut, de répartir la charge entre les différents compartiments du segment social et de leur faire porter le poids idoine, de manière à ce que l’ensemble soit non seulement efficace en rapportant les ressources prévues, mais soit également équitable. Aujourd’hui, le Sénégal, après avoir connu, de 1995 à 2005, une dizaine d’années où globalement la performance économique a été plus satisfaisante que par le passé, a accédé à une facilité grâce à l’Initiative de soutien aux politiques économiques qui est une initiative accordée par les institutions de Bretons Woods à des pays qui sont en stabilisation avancée après des résultats probants.

Dans cette période de dix ans dont j’ai parlé, il y a deux périodes de performance. De 1995 à 2000, le Sénégal a connu la meilleure période de son histoire économique, en termes de performances, dans tous les secteurs. Qu’il s’agisse de l’inflation, inférieure à 1%, le taux de croissance de près 5,5%, en moyenne. Qu’il s’agisse de déficit budgétaire, qui était ramené à l’essentiel, à quasi-rien, avec un excédent même de base très, très important. Du commerce extérieur, où le pays couvrait à peu près les trois quarts de ses importations par des exportations. Que ce soit par la monnaie où, après une quinzaine d’années, pendant laquelle nous avions des réserves négatives et importions grâce aux réserves communes de l’Uemoa (Ndlr : Union économique monétaire ouest africaine), notre riz ou notre pétrole, nous avons commencé, à accumuler des avoirs extérieurs, non seulement positifs mais en croît presque géométrique. Entre 2000 et 2005, la performance a été intéressante quoique légèrement en baisse sur le taux de croissance pour les année 2002 (0,7%) et 2006 (2,3%), sur l’inflation et sur la balance des paiements. Depuis 2006, la crise des Finances publiques qui, vraisemblablement remonte à plus loin, a été plus visible par son impact massif sur la dette intérieure.»

L’ALTERNANCE ET LE DOUBLEMENT OU TRIPLEMENT DU BUDGET NATIONAL

«Si vous vous souvenez, c’est en 2003, quand on faisait le premier bilan de l‘alternance, que l’on nous a dit que le budget a doublé. Simple question de bon sens. S’il avait doublé en 2003, pourquoi en 2008, il ne quadruple pas ? Pour une raison simple : c’est que de 2000 à 2007, le budget, les recettes ou les dépenses ont doublé en exécution. De la même manière peu ou prou qu’entre 1993 et 2000. Pour ainsi dire, les Finances publiques ont connu dans les dernières années une croissance moyenne de quelque 10% par an, aussi bien dans les deux derniers septennats. Ainsi, les recettes passent de 2000 à 2007, de 550 à 1100 milliards environ. Le budget, de quelque 700 à 1400 milliards. Mais ce n’est pas nouveau, et c’est de la propagande de prétendre le contraire. D’ailleurs, les services concernés et les autorités compétentes pour en parler, ne sont pas ceux qui véhiculent ces idées fausses, mais plutôt les propagandistes attitrés du régime, relayés et amplifiés. Comment cela a pu être possible pendant tout ce temps ? Par simple illusion d’optique.

Par contre, alors que les dépenses totales ont, entre 2000 et 2007, augmenté de 2,1 % celles destinées au fonctionnement, que vous appelez aussi train de vie de l’Etat, ont été multipliées par 2,7 et la masse salariale, elle, a été multipliée par 1,88. Il ne faut pas en tirer des conséquences hâtives pour la masse des salaires, car les dépenses de fonctionnement et de train de vie de l’Etat n’auraient jamais dû atteindre ce taux de 2,7% et il urge de les diminuer notablement. C’est la réalité actuelle des dépenses publi-ques. Nous avons aujourd’hui un Etat qui dépense beaucoup plus qu’il n’encaisse effectivement. Ainsi, alors même qu’en 2007, les recettes progressent beaucoup plus que programmées, les dépenses effectuées dérapent énormément, et des arriérés sont annoncés quand on ne peut plus les occulter.»

DETTE INTERIEURE - MENACE SUR LES SALAIRES

«Parce que tout simplement, dans la reconstitution des arriérés, l’Etat arrivait à ses limites. En effet, dans un Etat, puisque les salaires sont toujours priorisés dans les paiements ainsi que la dette extérieure, le poste d’ajustement quand il y a des problèmes, c’est celui des arriérés intérieurs. En substance, l’Etat se finance négativement par la constitution d’arriérés, quand il dépense bien plus qu’il n’encaisse, jusqu’au jour où il atteint ses limites, le secteur privé ne pouvant plus faire confiance, et quand il répond aux commandes publiques, gonfle les factures pour anticiper les non-paiements ou les paiements tardifs, etc. Personnellement, je ne connais pas le poids exact des arriérés intérieurs. On a parlé de 150 milliards, mais je pense que le chiffre est largement provisoire. De la manière dont cet Etat a fonctionné pendant quelques années, il faudra, sans doute, procéder à une évaluation contradictoire pour connaître exactement le montant dû par la collectivité nationale à ses partenaires privés.

Certes, l’Etat accuse des arriérés colossaux, c’est sûr, mais les salaires ne sont pas menacés pour autant que la gestion de la trésorerie soit adéquate. La masse salariale représente à peu près moins d’un tiers des recettes. A moins qu’il y ait une erreur d’aiguillage de la trésorerie, chaque mois, il est dans les possibilités des administrations qui gèrent les caisses de l’Etat, de faire les arbitrages nécessaires pour payer les salaires, pour autant qu’elles aient les mains libres. Maintenant, l’origine de cette tension vive réside dans ce que notre Etat a vécu pendant longtemps, au dessus de ses moyens. Jusqu’en 2000, les dépenses excédaient les recettes d’à peu près 2% du Pib (Produit intérieur brut) au Sénégal, et les couvertures étaient assurées par les financements extérieurs et intérieurs. Depuis quelques années, ces 2% sont devenus 3,5 voire 4%. C’est excessif et ça pose un problème : nous sommes en train de dépenser de l’argent que nous n’avons pas et nous sommes en train de mettre sur les épaules des générations à venir, les emprunts que nous prenons aujourd’hui et qu’elles vont rembourser demain, au-delà de ce qui était prévu. C’est vrai que nous avions eu une dette extérieure qui a été traitée et divisée par deux, à travers les initiatives Iadm et Ppte, mais on ne nous a pas fait ce cadeau pour qu’on l’utilise à gonfler notre passif à des conditions qui ne sont pas bonnes, mais surtout pour un usage qui ne correspond pas à des priorités. Au total, on n’est pas encore à une situation de plan d’urgence. Mais si les choses continuent sur la même lancée, on risque d’y arriver et je crois que c’est l’esprit du message lancé par tous ceux qui se sont inquiétés de la situation.»

L’ALIBI DES COUTS DU BARIL, INVOQUE PAR LE POUVOIR

«Je vous renvoie dans les colonnes d’un de vos confrères (C’est plutôt Le Quotidien n° 1 574 du 8 avril 2007 : Ndlr) où le Directeur de la prévision met un bémol en disant : “Attention, les infrastructures ne remplacent pas une bonne politique économique, mais doivent être un support pour l’appui au secteur privé.” En ce qui concerne l’énergie, notamment les prix extérieurs et les importations, des études officielles ont également été faites qui montrent que l’impact intérieur est plus fort que l’impact extérieur. La preuve, nous vivons tous l’impact extérieur, et en 2007, le Sénégal a été de très loin le pays de l’Uemoa où l’inflation était la plus haute, avec près de 6%, contre une moyenne de 2,4%. Cela veut dire que nous avons bien moins géré l’inflation en 2007. C’est vrai qu’il y a des circonstances extérieures qui influent, mais la gestion interne est très importante. Quand on regarde la fiscalité sur le pétrole par exemple, vous avez dans tous les pays de l’Uemoa, la Tva à l’import, les droits de porte, la Tva à l’interne et la taxe spécifique, (calculée selon le volume ou poids). Au Sénégal, nous y avons ajouté trois autre taxes : le fonds de sécurisation des importations de pétrole, le droit Senelec et les moins-values. Tout cela, en 2007, a rapporté presque 222 milliards. On était à 170 je crois, en 2006, malgré toutes les mesures annoncées par le gouvernement. Cela éclaire la réponse à une question souvent posée, à savoir comment le Sénégal se débrouille pour vendre du pétrole plus cher que d’autres pays enclavés, dont les produits transitent chez nous ? Mais parce que dans la structure des coûts d’un produit pétrolier, vous avez le produit brut qui va être raffiné par la Sar (Société africaine de raffinage) ou le produit fini qui est déjà prêt à l’emploi. Vous ajoutez l’assurance ainsi que les taxes (et frais de raffinage, s’il y a lieu). Qu’il suffise de signaler à cet égard, que le prix moyen de vente à l’export du pétrole par la Sar au Mali, est de 316 francs Cfa, bénéfice compris. Il urge donc que le gouvernement définisse un mécanisme automatique d’écrémage de la fiscalité pétrolière excédentaire, par rapport aux fluctuations des cours du baril, quand ceux-ci sont largement dépassés, et que le Parlement y veille pour préserver les consommateurs. Il est vrai que ce type de mécanisme est complexe, mais outre que cela a déjà été réalisé dans le passé, la défense des citoyens le vaut bien, en situation exceptionnelle, jusqu’au retour à la normale.»

UTILITE DES INFRASTRUCTURES

«Les infrastructures sont importantes pour le développement de notre pays, c’est une évidence. C’en est une autre évidence que cela n’autorise pas à faire n’importe quoi, en empruntant à n’importe quelle condition. Les emprunts doivent d’être des emprunts dont le profil de remboursement correspond à ce que l’Etat peut rembourser. En général, quand on lance des billets de trésorerie ou des emprunts sur le marché, dont les durées sont souvent courtes, de trois à cinq ans, après qu’on vous a annulé des dettes d’une durée de vie de 20, 30, 40 ans, il y a manifestement un problème d’adéquation entre les emplois et les ressources. C’est la première objection, tenant à la source du financement à court terme pour des infrastructures. La deuxième, tenant maintenant à l’emploi, suggère que toutes les infrastructures ne sont pas prioritaires pour notre pays. En général, on dit souvent : “Il y a un gap d’infrastructures en Afrique.” Mais de quelles infrastructures s’agit-il ? C’est là que nous devons commencer à approfondir les choix de politiques budgétaires et à voir ce qu’il y a derrière nos dépenses. Les infrastructures, c’est pour qui ? Pour quel segment de la population ? Qui est susceptible d’en profiter et pour quelle proportion de la population nationale ? Est-ce que les infrastructures vont permettre d’évacuer des graines d’arachide, des produits horticoles ou de la pêche, ou est-ce qu’elles permettent à une bourgeoisie locale de rentrer plus rapidement chez elles dans les quartiers résidentiels ? Selon la réponse à la question, il est évident qu’on ne parle pas de la même chose. Donc, n’enveloppons pas tout dans un même contexte et essayons d’être parcimonieux dans l’utilisation des ressources. Aujourd’hui, une infrastructure type, c’est la piste de production. Elle n’est pas moins digne et moins noble. Et les populations qui en bénéficient sont en plus grand nombre, et sont les plus pauvres. Quand il s’agit de faire des routes internationales comme celle de Kaolack-Tambacounda qui, en même temps, dessert la Guinée-Bissau, la Guinée, le Mali, il n’y a pas de comparaison possible par rapport à une corniche qui était une des meilleures routes du Sénégal, sans bosses ni nids de poule. Il faut donc que les Sénégalais requièrent de leurs décideurs une sélectivité pertinente de la dépense publique et un usage rigoureux de l’argent public.

D’ailleurs, un exercice important et qu’il faut de plus en plus que la société civile, les journalistes, la presse, aident à faire, c’est la traque budgétaire. C’est une fois que l’on a arrêté ou adopté un budget, que l’on dépouille les lignes qui le composent et que l’on analyse sa signification profonde. Parce que souvent, sous un matraquage de chiffres, vous avez un décodage qui peut être fait, sur les plans philosophique, idéologique, sinon axiologique :Quelles sont les régions, les couches sociales qui en bénéficient, quelles sont les catégories de citoyens ou de personnes morales qui le financent ? Quel est le degré d’équité ? Ensuite, il faut suivre ces dépenses au stade de l’exécution, pour voir si elles correspondent à des coûts unitaires normaux, loyaux et marchands et que les travaux ont été faits et réceptionnés dans les règles de l’art. Un budget est un document froid par excellence, mais c’est un document d’où on peut tirer beaucoup d’éléments d’analyse sur ce qu’est en train de faire le gouvernement, pas forcément ce qu’il voulait faire, ou ce qu’il annonce avoir fait. Et lui-même, dans cet exercice, peut se retrouver à découvrir des effets non recherchés. Par exemple, la déterioration de la balance des paiements ou le déséquilibre accentué entre des sous-secteurs à rééquilibrer : éducation de base ou enseignement technique à quelles places ? Quel degré de complémentarité entre la santé de base rurale, ou les établissement supérieurs de santé ? Ce ne sont là que quelques préoccupations qui sont au centre d’un budget et il y a là un chantier de formation extrêmement important pour la société civile, les médias, les hommes politiques.»

DIFFERENCES ENTRE CHANTIERS DE L’ANOCI ET LE PAMU INITIE AVANT L’ALTERNANCE

«C’est vrai que notre gouvernement avant 2000, a conçu, identifié, formulé, évalué, dessiné, et aidé les projets de route à Dakar et d’autres capitales régionales, dans le cadre et en dehors du Pamu (Corniche ouest, Vdn jusqu’à Grand Médine, Patte d’Oie-Aéroport, Route de Rufisque). Donc, nous ne pouvons pas dire que les investissements de l’Anoci n’étaient pas à faire. Par contre, nous les aurions exécutés dans l’ordre de priorité qui correspond aux priorités nationales. Et nous l’aurions fait, pour ne pas exagérer, dans le cadre d’enveloppes financières bien moins élevées, au minimum trois fois. Les travaux de l’Anoci sont d’un coût ahurissant, qu’on ne rencontre même pas dans les pays à infrastructures plus sophistiquées, du Nord. Nous avions conçu ces projets mais nous n’aurions jamais engagé 70 milliards sur trois routes dans la capitale, sachant qu’avec les six kilomètres du premier tronçon de la Corniche, on est à 5 milliards au-dessus du coût de la route Kaolack-Tambacounda, qui est de 237 kilomètres. Je n’en dirai pas plus car le débat engagé dans l’opinion ne peut avancer qu’une fois que les différentes parties auront les moyens d’aller au fond des choses, à travers les résultats d’un audit en bonne et due forme (Termes de référence concertés et partagés, appel d’offres ouvert, rapport discuté et adopté, conclusions publiées, etc.). Ce sont des investissements qui auraient pu garder un profil et un coût modeste et raisonnable dans le contexte de la mobilité urbaine, parce que la mobilité urbaine n’est pas un appui direct à la production. C’est là une demande légitime et normale, parce que chaque chef de famille veut arriver chez lui ou dans son lieu de travail dans les meilleures conditions. Mais dans la liste des priorités nationales, ça ne peut prendre que le rang qu’il doit occuper, surtout quand on sait que même dans la capitale, d’autres priorités routières existent et sont loin d’être satisfaites.»

UTILISATION DES DENIERS PUBLICS

«La République a ses règles qui permettent de protéger contre l’utilisation abusive des deniers. Il n’a jamais manqué dans notre pays des personnes qui, dans n’importe quelle procédure, mettent en avant leurs intérêts personnels. Mais la République a des principes et les finances publiques que le pays s’est données, ont des règles qui permettent de protéger l’intérêt général contre de telles dérives. Et puis, lors même que ces coûts auraient été réels, la question se poserait de savoir si nous devons exécuter de telles dépenses face à l’ampleur de la demande sociale laissée en rade. Nous sommes dans un pays où il y a encore des populations qui n’ont pas accès à l’eau potable. Nous avons tous, pays africains, pays du tiers monde, décidé avec les pays de la communauté internationale que nous avions huit Objectifs du millénaire pour le développement, parmi lesquels nous avions placés l’eau potable en bonne place. Si nous disposons de quelque argent, d’où que ça vienne, que ne faisons-nous droit à cette demande que nous avons tous classée au premier rang ? Avant de penser à élargir une corniche, ou une autoroute, il est évident qu’il faut satisfaire le droit de chacun à l’eau potable, ce qui permet par ailleurs, d’impacter tous les autres objectifs du millénaire : éducation des filles et des garçons, santé maternelle et infantile, revenus des ruraux, environnement, etc.

Voilà par exemple un exercice d’arbitrage qui a fait défaut, compte tenu du contexte et du schéma institutionnel de l’Anoci. Si même nous avions de l’argent pour faire un tunnel à dix milliards, pourquoi avons-nous choisi cette option et pas une autre ? Puisque que nous avons piloté ce dossier, nous savons que d’autres options existaient, plus sécures et moins chères. Mais au-delà de tout ceci, si les préoccupations des populations étaient réellement entendues dès l’amont dans l’expression des besoins et priorités nationales à consacrer dans un budget, est-ce que nous allions choisir des dépenses ? Nous avons une mortalité infanto-juvénile de 137 enfants sur 1000, qui n’auront jamais cinq ans, c’est énorme. 690 femmes sur 100 000 meurent en donnant la vie. 690 est d’ailleurs la moyenne nationale. Ce qui veut dire qu’il y a des régions où le chiffre atteint 800 ou 900. C’est ces priorités vitales que nous devons prendre en charge et donner la part qui revient à chaque secteur. Je ne dis pas qu’il faut mettre tout l’argent dans la santé, pour prendre cet exemple, car il faut appuyer la production, assurer la sécurité, financer la justice, améliorer le cadre de vie, etc. Mais en tout, il faut assurer un juste équilibre.

LE SENEGAL ET LES INSTITUTIONS MULTILATERALES ; COOPERATION FORCEE ?

«Personne n’est condamné à travailler avec quelque institution que ce soit. On est libre et il n’y a ni cravache ni chicotte pour imposer aux Etats de passer par le chemin du long cours du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et des institutions internationales, si une volonté certaine se manifeste. Mais, la question, c’est de savoir si une politique de privatisation des entreprises publiques, du domaine marchand, est acceptable même si l’Etat gère mal et accuse des pertes que la collectivité paie.

A mon sens, la conception d’un Etat, fut-il socialiste moderne, n’est pas de vendre des biens et des services marchands. Fatalement, il assurera mal un fonds de décisions politiques et des dérapages persistants non sanctionnés par le marché. Aujourd’hui d’ailleurs, dans les trois quarts des pays dans le monde, y compris la Chine communiste, vous retrouverez à peu près cette option fondamentale qui prévaut avec un rythme et une amplitude variables, mais l’orientation générale va dans ce sens. Je vous fais à ce sujet une confidence : A l’époque, notre gouvernement avait décidé d’ouvrir le capital de la Sonatel au secteur privé national et étranger, et aux épargnants du Sénégal et de l’Uemoa. Nous n’avions aucun engagement avec la Banque mondiale ni avec le Fonds monétaire. Et quand ces derniers ont voulu accompagner le processus en l’incluant dans le programme, nous avons décliné formellement leur offre et avons géré l’opération du début à la fin, sans avoir le conseil, ni du Fmi ni de la Banque mondiale. Nous avons décidé, à un moment donné, qu’il était temps qu’une structure qui avait vécu pendant des années, parce qu’il y avait une vision politique du Président Abdou Diouf qui a permis que le Sénégal soit en avance sur beaucoup de pays, même développés, en termes de téléphonie, sorte de giron de l’Etat. Très tôt, nous avons créé Télésénégal, en charge du téléphone international, isolé de la Poste. Ensuite nous avons regroupé le téléphone et l’international ensemble dans la Sonatel. Pendant longtemps, la Sonatel s’est aménagé un régime d’accompagnement jusqu’à ce qu’elle soit capable d’émarger au droit commun et devenir le pourvoyeur champion de rente fiscale qu’elle est devenue.

Nous avions également la Sonagraines. J’entends quelques fois les autorités de l’Alternance, y compris au plus haut niveau, dire que c’était un engagement des socialistes qui les ont précédés au pouvoir. C’est totalement faux. Aucun bailleur ne nous a demandé de supprimer la Sonagraines parce que, précisément, nous considérions que c’était un chaînon qu’il ne fallait pas enlever tant que le Psaop (Ndlr : Programme de services agricoles et organisation des producteurs) que nous avions lancé, n’aura pas été concluant et performant avec des producteurs aptes à se prendre en charge dans la préparation de la commercialisation et la contractualisation avec les prestataires de service. Tout cela pour vous dire qu’aucun Etat n’est amené fatalement à nouer des relations qu’il ne veut pas. »

VENTE DES ACTIONS DE LA SONATEL, UNE CATASTROPHE ?

«Oui, bien sûr. Ce serait une vente de bijoux de famille pour la mauvaise cause d’un Etat dépensier qui refuse de s’ajuster, et en même temps, ce serait prendre des ressources qui vont alimenter les budgets des vingt-cinq ou trente prochaines années et les consommer en une année, sans espoir de renouvellement durable. La mesure serait la preuve de l’ampleur du gouffre financier dans lequel le Sénégal aurait été plongé. Si réellement ledit gouffre n’est pas à la hauteur des rumeurs courantes, alors, le gouvernement ne fera pas le saut périlleux. Les pays qui ont de l’argent et qui l’investissent dans des valeurs et récoltent les dividendes, n’ont pas un meilleur placement que la Sonatel. L’Etat du Sénégal lui, dispose de cette belle opportunité : quelle est donc la raison de son entêtement apparent à liquider cette aubaine construite à l’aide de ses enfants qui y travaillent et des consommateurs qui le font vivre ? Moi, j’observe cette échéance-là tout en espérant pour mon pays que la raison prévaudra. La décision qui sera prise, renseignera sur s’il y a encore un pilote dans l’avion, les finances publiques et de l’économie de ce pays, ou alors si c’est le sauve-qui-peut et la débandade.»

VOS SOLUTIONS A LA SITUATION DU PAYS

«Il n’y a pas de solution miracle. Les responsables politiques divers ont proposé diverses solutions qui me paraissent toutes aller dans le même sens, et être recevables. Par-dessus tout, il faut ramener le train de vie de l‘Etat, des Pouvoirs publics, des administrations, à des proportions raisonnables. Sur le sujet d’ailleurs, tous les partis politiques ont plus ou moins donné leur thérapie. Les agences constituent par exemple des monstres à rationaliser, avec des marges d’économies énormes. Les dépenses du téléphone, de logement, les voyages, le coût unitaire exorbitant des infrastructures et de tous les autres équipements, une fois ramenés à la normale, peuvent produire des économies insoupçonnées. Mais cela ne suffit pas. Il ne faudrait pas réduire les dépenses et continuer de verser dans le gaspillage. Il faut en même temps mettre en place des procédures qui permettent une meilleure gestion. Et que les experts nationaux et l’administration sénégalaise se remettent à exister comme il n’y a guère, où leur rôle de frein et de tempérance était respecté par les autorités politiques. C’est là d’ailleurs la grande perte de l’alternance car, je me souviens, les hauts fonctionnaires de l’administration financière avaient une autonomie qui rehaussait l’image de l’Etat du Sénégal. Ils n’avaient jamais pour rôle de consommer a posteriori des idées des Autorités sns les confronter aux lois et règlements, aux procédures et itinéraires de contrôle et validation qui font l’Etat de Droit.

Ils étaient même souvent écoutés quant à leur avis sur l’opportunité. Il est vrai que cela était rendu possible par leurs autorités politiques. Il faut donc revenir à ces fondamentaux parce que les ressources humaines sont toujours là et disponibles. Mais pour le faire, il faut faire en sorte que tout ce qui a été fait ces dernières années pour politiser l’administration, rendre éligibles les fonctionnaires à des postes où ils n’avaient pas droit, faire la confusion avec les sociétés nationales, revienne aux bons fondamentaux en la matière. Demain, le Sénégal aura manifestement besoin d’une administration républicaine sauvegardée, qui soit protégée contre les excès de l’Exécutif. Des formules peuvent et doivent être trouvées.» A SUIVRE

 



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