Jeudi 25 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

ENTRETIEN – Aminata Tall : « Macky n’a pas été loyal…»

Single Post
ENTRETIEN – Aminata Tall : « Macky n’a pas été loyal…»

ENTRETIEN AVEC… … Mme Aminta TALL, ministre d’Etat, ministre de la Décentralisation et des Collectivités locales : «J’ai demandé l’arbitrage du Président»

Une maison d’une blancheur de coton, à Fann. A l’intérieur, un salon décoré avec une subtilité exquise. C’est là que nous reçoit Mme Aminata Tall, ministre d’Etat, ministre des Collectivités locales et de la Décentralisation, qui a évoqué pour des questions préoccupantes liées à un conflit entre lui et le Premier ministre, en attendant, comme elle nous l’a promis, de la recevoir comme invitée des «Marches du Quotidien», pour évoquer tout sans détour, comme elle sait le faire, sans la langue de bois.

Concrètement à côté des acquis, quels sont les goulots d’étranglement que vous avez pu identifier dans la mise en pratique de la politique de décentralisation ?

Nous avons eu à identifier des goulots d’étranglement institutionnels. Le ministère des Collectivités locales et de la Décentralisation est transversal, comme l’indique son nom. Nous avons neuf départements ministériels du gouvernement dont les compétences sont transférées à la base et qui doivent faire l’objet de coordination et de suivi par notre ministère. Nous avons une mission d’information, de suivi, de coordination sur le terrain, pour voir si ces compétences transférées l’ont été effectivement (…)

Cela ne peut pas se faire si la coordination, à ce niveau, nous échappe. Autrement, nous avons conscience que la Primature a la mission de coordonner l’ensemble des activités gouvernementales, veiller à la bonne marche de toutes les orientations stratégiques, conformément à la vision du chef de l’Etat. Quand un département technique a des compétences et des missions spécifiques -et nous avons des missions spécifiques, en termes d’élaboration de conceptions et de suivi du développement local-, il faut bien que les ministères techniques aient des mains libres pour être contrôlés a posteriori. Mais, si la gestion même de cette mission doit être transférée dans un Shadow cabinet ou à la Primature, cela pose problème.

Si toutes les activités que nous devons faire, identifiées par nous-mêmes, font l’objet d’un chronogramme établi et que nous remarquons que chacune de ces activités est programmée pour être exécutée sous la tutelle et la direction du Premier ministre, par un de ses conseillers ou un Cabinet qu’il désigne, cela pose problème.

De même, si nous identifions des ressources qui doivent nous permettre de faire ce travail et qu’elles ne font pas l’objet d’un arbitrage positif pour nous permettre d’accomplir notre mission (…) J’ai une logique, même si elle n’est pas celle des autres. Un ministère des Collectivités locales et de la Décentralisation doit avoir comme pendant des services qui ont en charge l’aménagement du territoire.

On ne peut pas faire une bonne décentralisation, sans des services rattachés qui s’occupent de l’aménagement du territoire. C’est d’abord un découpage administratif ; c’est le territoire national qui doit être aménagé. Nous devons nous fonder sur un découpage administratif, à partir de cela, créer des collectivités et veiller au renforcement des pouvoirs. Si ce sont des services qui nous échappent, avec la rapidité et la complexité qu’il faut, ça pose problème.

D’ailleurs, il y a un moment, au début de l’alternance, un ministère en charge de la Décentralisation et de l’Aménagement du territoire. Si l’administration territoriale, qui s’occupe du contrôle de légalité, échappe institutionnellement au ministère des Collectivités locales et de la décentralisation, cela pose également problème. Si la Coopération décentralisée échappe au ministère de la Décentralisation, quelles que soient les bonnes relations qu’il y a entre les hommes qui détiennent ces ministères, institutionnellement, il y a quelque chose qui crée obstacle, retarde (…)

Comment percevez-vous cette volonté du Premier ministre de déloger ce Pndl pour le mettre au niveau de la Primature ? Qu’est-ce qui est incohérent dans cette affaire ?

C’est loin d’être cohérent ! Quand je relève des incohérences, je ne prends pas la langue de bois pour l’exprimer. Prenez l’exemple des Agences régionales de développement (Ard), devant faire l’objet de réformes et qui figurent bel et bien dans le chronogramme, depuis l’année dernière. Cette question a été prise en charge par la Primature, parce qu’ayant bénéficié de financement, le Ppf, pour préparer des projets avec la Banque mondiale, pour prendre toutes les questions liées aux Ard. Jusqu’au moment où j’ai été obligée de répondre à la presse, parce qu’on m’avait envoyé des piques en parlant de retards qu’on voulait m’imputer, je n’avais reçu aucun document me donnant les résultats de cette étude confiée à un Cabinet.

On savait que ce cabinet avait le projet de décret dans son ordinateur. Quand nous avons fait notre déclaration, le même jour de la parution de l’article, le Premier ministre m’a envoyé le document qui était prêt depuis novembre 2005 et le projet de décret avec l’en-tête du ministère des Collectivités locales. Donc, ils savent que c’est nous qui devons le faire, mais ils le font quand même ou le font faire par d’autres. Quelle en est la motivation ? Je ne le sais pas.

Vous ne pouvez pas en identifier la motivation, d’autant plus que c’est une incohérence flagrante ?

Les incohérences pourraient avoir plusieurs fondements. J’en suis à me poser des questions. Je sais que, quelque part, on dit au Président : «Oui, elle, elle s’occupe de sa toilette ; elle ne travaille pas.» Il y a eu des piques de Midi moins 5 (rires !). Ceux qui me connaissent savent que je ne perds pas beaucoup de temps pour faire ma toilette. Et quand je vais au bureau, même si c’est à 9 h, 9h 30 ou 10 heures, de 8 heures à cette heure-là, je travaille ici à la maison. Je ne fais pas moins de 12 heures de travail au bureau.

Comment un Premier ministre, qui doit surtout avoir comme…

(Elle coupe). J’ai le document du Conseil interministériel sur la décentralisation, qui devait faire l’objet de mesures à travers ses orientations et ses directives données pour les choses urgentes, devancer de loin les assises qui prennent beaucoup de temps dans le cadre de sa préparation, a été déposé depuis un an et demi.

Avez-vous identifié les raisons de ce retard ?

(…) Je suis justement en train de chercher tous les éléments pour comprendre. Est-ce que c’est une volonté manifeste de nous mettre les bâtons dans les roues, pour donner une autre appréciation ? Est-ce que c’est par boulimie ? Est-ce que c’est par ignorance ou par incohérence tout court ? Je ne sais pas. En tout cas, je veux savoir.

Ou est-ce que parce que, potentiellement, il est possible que vous héritiez du fauteuil du Premier ministre ?

Vraiment, il (Macky Sall : ndlr) peut se tenir tranquille pour ça. Si je voulais le fauteuil du Premier ministre, avant lui, je me serai comportée autrement que je ne l’ai fait, au moment de sa nomination et depuis qu’il est nommé. Je l’ai accompagné loyalement, parce que j’ai considéré que c’est un frère.

Avez-vous le sentiment que cette loyauté est payée en retour ?

Pas du tout !

Pourquoi ?

Mais, avec tout ce qui se passe…

Trouvez-vous rationnel qu’un Premier ministre qui veut réussir sa mission agisse, de telle sorte, vis-à-vis d’un ministère aussi stratégique que celui de la décentralisation ?

Non ! «Qui trop embrasse mal étreint.» Il faut qu’on laisse aux ministères techniques le champ de leurs compétences, en ayant l’œil vigilant de contrôleur et d’orientation stratégique. C’est ça la mission d’un Premier ministre et non prendre la place des ministères et exécuter les projets, quelle que soit leur importance. Ce ne sont pas les enveloppes financières qui m’intéressent. Tout le monde le sait. Dans ce gouvernement, si on devait identifier les riches, je serai le dernier des échelons. Je suis restée la Aminata Tall d’hier et d’aujourd’hui.

Apparemment donc, il y a un climat subjectif envers vous. Pourtant, cela semble paradoxal par rapport aux relations de fraternité que vous avez avec le Premier ministre ? D’où vient cette sorte de bataille contre votre personne ?

(Rire) Je ne m’«auto-glorifie» pas. J’ai la chance -et je rends grâce à Dieu- d’avoir une idée claire de ce que c’est une relation amicale, fraternelle ou affectueuse, de ce qu’est une relation professionnelle. Macky, je l’ai toujours considéré comme un frère, un ami. Mais, quand, du point de vue de la relation professionnelle, il y a des problèmes, je les pose tels que je dois les poser, sans confusion aucune des rôles. Malheureusement, ici, au Sénégal, quand vous posez des problèmes d’ordre éthique ou de cohérence, on considère cela comme de l’animosité contre la personne. Je ne regrette pas d’avoir le courage, chaque fois que je dois souligner une incohérence ou de formuler des revendications que je crois fondées, de le faire. Maintenant, aux autres d’en faire l’interprétation qu’ils veulent ! Et cela ne date pas de maintenant. C’est de la malchance, peut-être, pour moi, mais c’est elle qui m’a fortifiée, qui me rend toujours plus forte par rapport à ma foi et m’encourage toujours d’aller dans le sens de cette même éthique : être loyale, sincère, engagée, perfectionniste et honnête par rapport à moi-même et à l’endroit des autres. Depuis 2000, tous les postes que j’ai occupés ont fait l’objet de traitements particuliers, parce que c’est Aminata Tall qui est là. J’ai droit à un morceau, on l’enlève un moment ; on me le remet en le tronquant d’une autre chose. Rappelez-vous l’histoire du Commissariat à la sécurité alimentaire, quand j’avais la Famille et le Développement social. En moins de deux ou trois semaines, on m’a dit : «Non, ça, il faut que cela parte !» On pensait tout simplement que quand vous faites des résultats positifs, il y a des retombées. Mais, quand on veut enlever à une personne le capital d’un résultat qu’elle partage avec toute une République, ce n’est pas un esprit de patriote.

C’est parce que, aussi, par rapport aux autres ministres en général, vous jouissez plus de légitimité que les Premiers ministres qui vous ont dirigée. N’identifiez-vous pas le problème à ce niveau ?

Les gens se sentent gênés par un charisme naturel. Je le dis, en toute modestie : Dieu a fait que je suis aimée. Je sais que je suis aimée du peuple. J’inspire la confiance, bénéficie d’un capital-affection. Je suis loyale et fidèle au parti et à Me Wade, quels que soient les orages. Je n’accepte pas que des défis ou l’adversité m’emportent. Chaque fois que j’ai envie de faire quelque chose, qu’en naît une certaine forme d’adversité, je m’arrête et je me positionne davantage pour relever le défi et avancer.

Aujourd’hui, c’est l’orage ?

(Rire) Ce n’est pas encore un orage, mais il y a un point de nuage qu’il faut éclairer.

…Mais qui peut déboucher sur un orage, si on veut vous amputer de votre Programme national de développement local…

Si les choses ne se règlent pas d’une certaine manière ; mais nous avons quand même un arbitrage suprême : celui du président de la République. C’est quand même le chef suprême.

Avez-vous demandé son arbitrage ?

J’ai demandé son arbitrage en Conseil des ministres. Il m’a demandé de lui faire un mémorandum que je lui ai donné. Maintenant, je m’en tiendrai à son arbitrage.

Que représente le Pdnl dans la politique de décentralisation, pour que vous en teniez tant ?

C’est un programme de développement décentralisé. A la Banque mondiale, on vous dira que c’est Cdd. Il est pris en charge par les communautés pour les communautés. C’est un programme de décentralisation. Ce programme vise différents axes de développement pour la bonne gestion des questions d’infrastructures, de renforcement des capacités, de bonne gouvernance locale, d’encadrement par les Agences de développement régionales (Ard). C’est pour encadrer les institutions, formuler leurs programmes d’investissement local ou leurs programmes directeurs de développement. (…) Il s’est voulu correcteur pour que tout ce qui est programme de développement passe par la porte des collectivités locales.

Donc, le Pndl vous en faites un principe non négociable ?

Nous sommes dans un Etat. Nous avons quand même un chef de l’Etat, le chef suprême de la nation, qui définit sa politique, nous donne des missions, mais doit veiller également à leur exécution correcte, à travers le Premier ministre qu’il nomme. Quand une question dépasse un ministre, entre ministres ou entre un ministre et le Premier ministre, il est le garant de sa vision et de la manière dont ça doit être exécuté. Nous avons fait notre devoir en portant à sa connaissance que nous avions relevé une incohérence. Nous avons demandé son arbitrage. Maintenant, le Premier ministre est un premier niveau d’arbitrage. Le président de la République est au niveau le plus élevé. Quand nous n’arrivons pas à trouver un compromis avec le Premier ministre, nous demandons son arbitrage ; ce que nous avons fait. Je n’ai pas compris d’ailleurs, à ce niveau, que le Premier ministre ait haussé les épaules pour dire qu’il a arbitré, que c’est un dossier clos. A sa place, je n’aurais jamais sorti cela.

Pourquoi ?

Parce que c’est le chef de l’Etat l’arbitre suprême. Quand il va arbitrer pour me dire que je n’ai pas raison, même si j’ai la conviction que j’ai raison, à ce moment-là, je saurais comment faire. Mais que lui (Macky Sall : ndlr), que je pose un problème et qu’il hausse les épaules, c’est quand même oublier qui l’a placé à cette position. Le pouvoir change bien des gens. C’est dommage ! En quoi le pouvoir a changé le Premier ministre ?

Mais cette déclaration déjà !

Ce n’est plus le frère que vous avez connu avant ? Du point de vue de ses comportements, non ! (Rires).

A SUIVRE

 



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email