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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

ENTRETIEN AVEC... Abdoulaye BATHILY : « Si l’Oci est une rampe de lancement pour Karim Wade, la bombe a éclaté avant son lancement »

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ENTRETIEN AVEC... Abdoulaye BATHILY : « Si l’Oci est une rampe de lancement pour Karim Wade, la bombe a éclaté avant son lancement »

Le Pr Abdoulaye Bathily, secrétaire général de la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (Ld/Mpt), un des leaders du Front Siggil Senegaal n’y est pas allé par mille détours pour ruiner l’appel au dialogue lancé par le Président Wade et à travers lequel il voit une manœuvre politique à laquelle l’homme est habitué. Il assène aussi ses vérités sur les travaux de l’Anoci marqués par un échec, le gaspillage de milliards que les Sénégalais vont payer. M. Bathily stigmatise la boulimie foncière des tenants du régime qui seront expropriés, mais aussi l’ambition du fils du Président Wade de profiter des travaux de l’Anoci comme rampe de lancement. Entretien…

Le président de la République vient de faire une sortie publique demandant à dialoguer avec l’opposition. Dans le contexte actuel que pensez-vous de cet appel ?

Je suis d’abord surpris que Ablaye Wade profite d’une rencontre avec la Raddho pour dire qu’il est maintenant convaincu d’un dialogue avec l’opposition. Le peuple sénégalais est témoin qu’il est le premier bénéficiaire de la tradition de dialogue politique instaurée au Sénégal, avant 2000. Le Sénégal est témoin également que c’est lui qui a rompu cette tradition de dialogue politique par ses décisions unilatérales, par l’imposition sur le pays d’un régime de pouvoir personnel à base familiale. Tout cela se traduit aujourd’hui par le blocage politique sur fond de crise économique et sociale à un degré jamais atteint dans le pays.

Si Wade, dont on connaît évidemment la volonté permanente de manœuvres politiques, pense qu’il peut manipuler l’opposition à la veille du Sommet de l’Oci dans le but de démontrer à l’opinion internationale que le Sénégal est un pays politiquement stable, il doit déchanter. Si également, il pense qu’il peut nous détourner des Assises nationales qui sont devenues l’affaire de tout le peuple sénégalais, c’est peine perdue. S’il est vraiment responsable, il doit se rendre à l’évidence que les Assises nationales sont devenues un cadre incontournable pour régler les graves problèmes qui se posent au Sénégal. Le temps des manœuvres politiques est terminé. Cette tactique, qui ne sert à rien, a fait long feu. En tout état de cause, nous avons des raisons d’être sceptiques quand on sait que sa parole, c’est comme la feuille morte au gré du vent. Ce que Wade dit le matin ne tient plus à midi et ce qu’il dit à midi ne tient plus à 18 heures. Les Sénégalais ont été suffisamment édifiés sur l’instabilité de cet homme et ce que vaut sa parole.

Vous exprimez là un point de vue unanime du Front Siggil Senegaal ou votre point de vue personnel.

Pour l’heure, je m’exprime au nom de la Ld/Mpt. Demain (donc, aujourd’hui :Ndlr), nous aurons une réunion du Front Siggil Senegaal, pas autour de cette question, mais c’est notre réunion ordinaire. Peut-être que cette question sera inscrite dans l’ordre du jour. Je ne sais pas ce qu’il en sortirait comme décision.

Mais ensuite, au-delà des partis politiques, aujourd’hui, il y a beaucoup de forces intéressées par les Assises nationales, nous ne pouvons donc, à mon avis, décemment, prendre une décision sans en référer à ceux qui sont nos partenaires dans le cadre du mouvement pour les Assises nationales.

A propos de la démolition du stade Assane Diouf, ni le président de la République, ni le maire de Dakar, Pape Diop, ni l’Anoci ; personne ne veut endosser cette responsabilité. Que pose cette affaire à propos de laquelle les autorités disent ne pas être au courant ?

Personne ne croira, un seul instant, que Ablaye Wade et ses proches ne sont pas impliqués dans cette affaire. Comme d’ailleurs, beaucoup d’informations l’ont révélé, depuis 2005, ils ont tenté le déguerpissement. A l’époque, la famille omarienne s’y est opposée en disant que le projet ne cadrait pas avec la proximité de leur mosquée. Les populations de Rebeuss aussi. Et les autorités ne voyaient pas par quel bout prendre la chose, sinon cet acte de banditisme organisé au plus haut niveau de l’Etat. En détruisant le stade, on a mis les populations devant le fait accompli, parce qu’ils ne vont pas le reconstruire. Cela va rester comme terrain vague et ils vont profiter maintenant pour mettre la main là-dessus. Comment pouvez-vous penser, un seul instant, qu’avec toutes les mesures sécuritaires qui sont prises depuis quelques semaines à Dakar et dans le pays, qu’un bulldozer puisse venir dans un endroit aussi stratégique, détruire un stade sans que les plus hautes autorités de l’Etat, la police, ne soient informées et ne répercutent cette information ? Non, c’est de la vaste blague ; ils ne peuvent pas nous faire croire à ça. C’est comme si les Sénégalais étaient des demeurés.

Maintenant, ils se sont rendu compte de la gravité de la chose et que les populations ne veulent pas laisser faire. Ablaye Wade, comme à l’accoutumée, s’est dédit et s’est déchargé sur d’autres personnes. L’affaire des marchands ambulants, en novembre, c’était le même problème : devant toute la population sénégalaise, à la télévision, il dit qu’il va déguerpir les gens, que personne ne pense qu’il sera protégé. Ils les ont déguerpis. Les jeunes ont réagi. Et le même Abdoulaye Wade, dont les propres paroles sont des feuilles mortes, est revenu à la télévision pour dire qu’il ne l’a jamais dit. Ça, c’est une opération typiquement Ablaye Wade, un homme qui est prêt à tout, qui ne respecte pas sa propre parole, prêt pour ses intérêts immédiats, non pas pour protéger ses subordonnées à qui il a donné l’ordre, mais à les enfoncer. Voilà la nature du personnage. Depuis 8 ans, il l’a démontré avec tellement d’événements de cette nature.

Pensez-vous que, à l’heure actuelle, il y ait une possibilité, pour les populations de Rebeuss, de récupérer ce seul endroit où sa jeunesse pouvait se divertir sainement ?

Depuis que Ablaye Wade est venu au pouvoir, il s’est emparé de tous les terrains vaques, toutes les réserves foncières qui existaient dans la région du Cap-Vert. Aujourd’hui, on ne peut plus construire de stades, de nouveaux équipements sociaux parce qu’il a «cantinisés» le pays et fait mettre des maisons un peu partout à travers ses hommes de main. Les populations doivent résister à cette boulimie foncière. Les populations de Rebeuss n’ont pas d’autre choix. En réalité, non seulement Wade et ses hommes veulent s’accaparer de ce terrain, mais de tout le quartier de Rebeuss. C’est ça leur objectif. Tout le littoral sénégalais, ils veulent s’en emparer. Et par-delà, les populations de Rebeuss, il faut que toute la population sénégalaise soit édifiée. C’est une vaste entreprise d’expropriation contre le peuple sénégalais.

Il y a bien des problèmes de cette nature. A un certain moment, on avait parlé de déguerpir les populations de Yaarakh pour y construire des réceptifs hôteliers, ensuite il y a le cimetière des Chrétiens sur la Vdn, le morcellement des camps militaires, etc. Où tout cela peut-il nous mener ?

C’est une entreprise d’expropriation, non pas pour le bien public, mais pour les intérêts de particuliers au sein du régime. Le régime de Ablaye Wade, c’est un régime d’expropriation du public au profit de projets familiaux. Tout le monde sait ce qui se passe. Tous ces projets-là, aujourd’hui qui sont lancés, ont une allure familiale. Si le régime socialiste, qui est resté là pendant quarante ans, avait procédé de cette manière, ils n’auraient pas trouvé un centimètre carré de terre à Dakar !

En huit ans, ils se sont approprié et ont accaparé tout. Comment on peut caractériser un tel régime, sinon un régime de brigands financiers. C’est ainsi qu’on peut les qualifier.

Demain, si Abdoulaye Wade quitte le pouvoir, si vous y accédez, quelle sera votre attitude vis-à-vis de cet accaparement, comme vous le dites ?

Au niveau du Front Siggil Senegaal, nous avons préparé une déclaration sur cette question, depuis des mois, après une enquête minutieuse. Nous avons même écrit, à un certain nombre d’ambassades, de représentations diplomatiques et même à l’intention de certains promoteurs pour dire que nous dissociions, à l’avance de toutes ces tractations que Abdoulaye Wade et son régime ont opérées. Nous voulons qu’il y ait des investissements dans notre pays, mais pas au détriment du patrimoine national. Tout l’espace maritime, en particulier le domaine public maritime, a été donné aux étrangers de connivence avec les éléments du régime. Nous ne pouvons pas accepter cela ! On sera obligé de prendre des mesures contre cela. Donc, il faut que ceux qui s’engagent dans ces projets-là sachent bien que demain ils vont rendre compte.

Regardez, aujourd’hui, depuis les Almadies jusqu’au Cap Manuel, c’est comme si on avait mis un rideau au niveau de la mer. Les Dakarois n’ont plus accès à la mer. Autrement dit, le domaine public maritime est privatisé ; il n’y a pratiquement plus de plages publiques. Ils ont tout accaparé en construisant soit des hôtels soit des maisons particulières, à leur profit. Et c’est un problème environnemental, sécuritaire parce que Dakar étouffe totalement aujourd’hui. Et pour ces raisons, nous n’allons pas laisser passer, il faudra bien prendre des mesures pour déguerpir ces gens-là

Autrement dit, on ne peut pas faire l’économie de mesures d’expropriations ?

Absolument, dans l’intérêt public parce que c’est illégal ce qu’ils ont fait et c’est contraire à la morale, au bien-être des populations. On a besoin de respirer par la mer. Dakar est une presqu’île qui étouffe. Si vous fermez la mer, comment les populations vont vivre dans Dakar ? Aujourd’hui, c’est un grave péril environnemental. Sans compter ces «murs de Berlin» qu’ils ont installés le long de la Vdn, qui coupent la ville en deux, entre Fann-Résidence et l’avenue Bourguiba. Ces murs hideux qu’ils ont construits ne nous servent absolument à rien, ne participent pas de la mobilité urbaine. C’est simplement le business qui les a amenés à construire ces ponts longs de combien de mètres et qui barrent complètement la vue. Simplement parce que, à ce niveau-là, on sait combien coûte le kilomètre de route bitumée car, il y a des standards, mais pas pour les ponts. Vous pouvez dire que vous avez mis 20 milliards là-dans. Personne ne peut dire combien de tonnes de ciment, vous avez mis. Et c’est par ces artifices qu’ils sont gonflé les coûts des travaux au détriment du bien-être des populations.

Des experts disent-ils qu’un pont doit servir à enjamber des obstacles. Et là, on construit des ponts qui deviennent eux-mêmes des obstacles. Pensez-vous de tout cela soit fait délibérément ?

C’est délibéré et c’est du business, j’ai dit, dès le départ, depuis quatre ans, que l’Anoci, c’est du business familial qui n’a rien à voir avec l’intérêt collectif. Ces ponts-là ne représentent rien, du point de vue technique. Du point de vue environnemental et de la santé, c’est un échec parce que cela contribue à boucher la perspective entre différents quartiers. Du point de vue même de la mobilité urbaine, c’est un échec parce que cela ne règle aucun problème. Regardez le dernier pont sur la Vdn qui aboutit sur l’avenue Cheikh Anta Diop, c’est simplement une sorte d’entonnoir ! Vous prenez le pont pour vous retrouver sur l’avenue Cheikh Anta Diop, nez à nez avec ceux qui viennent de Ouakam. Il n’y a pas besoin d’être un ingénieur des ponts et chaussées pour s’en rendre compte. Donc, pour ces gens-là, l’Oci était une entreprise d’enrichissement. Cela n’a rien à voir avec l’Islam où les intérêts des populations.

Aujourd’hui, justement, quand on fait le point sur les travaux de l’Anoci, on avait promis la livraison de ces travaux en fin février. Manifestement, un certain nombre d’ouvrages ne sont pas achev és à date. D’ailleurs, des mesures sont prises pour qu’ils soient fermés pour raison de sécurité…

(Il coupe). C’est une preuve encore de l’échec lamentable de cette entreprise. Depuis trois ans, jamais sommet d’Etat n’aura coûté, à un pays. Je n’ai jamais vu, nulle part dans le monde, un sommet de chefs d’Etat qui a coûté comme l’Oci aura coûté au Sénégal. Au moins trois ans, des dizaines de milliards ont été injectés pour organiser un sommet qui ne durera pas 48 heures. Et plus est, on est incapable d’achever les travaux à tel point que les routes ne sont pas prêtes – on va devoir les fermer – les hôtels aussi sont à l’état de chantiers. Plus grave, on va louer au moins un bateau de près de 8 milliards. Ça, c’est le pays qui va payer tout. C’est le Sénégal qui va débourser tout ça pendant des années à venir. Le résultat est que le sommet de l’Oci aura multiplié la dette intérieure et extérieure du Sénégal. C’est le scandale du siècle.

Mais quand on parle aux responsables de la manne financière engagée dans les travaux de l’Anoci, la justification est que ces fonds proviennent des pays arabes. Donc, tous ces fonds ne sont pas puisés du budget national. Cela ne vous convainc pas ?

Je les mets en demeure, pour la transparence, de dire au public, devant les bailleurs concernés, des pays arabes concernés, de rendre public, somme par somme ce qui relève de l’Etat et ce qui relève des dons ou des dettes. On sera édifié. Ils ne vont pas et ne pourrons pas le faire, parce qu’ils savent bien de quoi il s’agit. C’est l’Etat qui a casqué et ils ont engagé des dépenses, pensant effectivement – puisqu’on parle de conférence islamique – que les gens, vont donner des centaines de millions de dollars. Or, ces pays ont eux-mêmes d’autres priorités. La crise financière dans ces pays est une réalité. Beaucoup de pays arabes ont des dettes énormes ; ce n’est plus comme avant où les gens donnaient sans compter.

Dès le départ, d’après toutes les informations que nous avons reçues, ils ont fait savoir qu’ils n’étaient pas prêts à financier de tels ouvrages. Que ce soit l’aéroport international, soit disant Blaise Diagne, que ce soit la Nouvelle ville ou tous ces travaux de l’Anoci. Il y a des prêts koweïtiens, de la Banque islamique de développement (Bid) etc. La réalité est que c’est le Sénégal qui a payé. Les dons n’y représentent absolument rien par rapport aux coûts de ces travaux.

Les dons, c’est peut-être ce qu’ils sont en train de distribuer comme ça pour amener des imams à chanter ou à lire le Coran (rires !)

Avec toute la manne financière pour des infrastructures, n’y a-t-il pas eu un problème d’option à côté des autres secteurs comme l’Agriculture, la Pêche, l’Industrie, etc. ? Wade, n’a-t-il pas finalement raté la perspective de mettre le Sénégal sur l’orbite de l’émergence ?

J’en suis arrivé à me demander si Abdoulaye Wade ne se prend pas pour le Khalife général des musulmans du Sénégal ou est-ce qu’il est élu pour organiser la Conférence islamique ? Ou bien est-il venu au pouvoir pour d’autres objectifs ? Depuis trois ans, je ne cesse de tirer sur la sonnette d’alarme pour dire que ces chantiers de l’Anoci ne correspondent absolument pas aux besoins aujourd’hui du Sénégal. Et en 2008, c’est, encore plus manifeste. Aujourd’hui, l’agriculture, le monde rural plongé dans la famine, la pêche, le tourisme sont des secteurs complètement sinistrés. Dans les autres régions du pays, l’enclavement est de règle. Que ce soit dans le Fouta avec l’île à Morphil, dans d’autres régions du pays, il n’y a pas de routes, celles qui développent, qui ont un effet multiplicateur sur l’économie. Quand vous ouvrez un grand axe national, régional ou sous-régional, il y aura un effet multiplicateur sur l’économie, parce qu’il y aura un transport plus facile pour les produits, les hommes, les marchandises. De ce point de vue, Ablaye Wade, aurait dû s’engager à désenclaver les régions, les localités, les grands axes qui nous lient au reste de la sous-région. Aujourd’hui, de tous les pays de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest, le Sénégal est le plus enclavé, malgré notre ouverture à la mer. La route Dakar–Bamako est aujourd’hui impraticable. Les priorités devaient être des infrastructures qui ont un effet multiplicateur sur l’économie par le développement de la production, des échanges, la circulation des biens et des personnes.

L’eau potable devrait aussi être la priorité. J’étais en train de suivre un élément à la télévision : la quasi-totalité des forages sont en panne. Les conséquences sont que les populations n’ayant pas de l’eau potable, les bêtes et les humains ont soif. Les gens ont recours maintenant aux puits traditionnels ou à l’eau polluée du fleuve. Les effets évidemment, c’est que la santé des populations se dégrade. Dans tous les hôpitaux du pays, les maladies hydriques se sont multipliées parce que justement, il n’y a pas d’eau potable. Aujourd’hui, avec le renchérissement des prix des céréales sur le marché international, on se rend compte que l’on avait rien prévu. Nous n’avons pas su développer la riziculture dans la vallée. On aurait pu subventionner ou faciliter son développement. C’est maintenant qu’on en parle, mais c’est du discours. Depuis 8 ans, qu’est-ce qui a été fait ? Rien ! Alors qu’est-ce que les chantiers de l’Anoci représentent pour les Sénégalais ? Rien du tout. Ça enrichit une poignée d’individus au détriment de l’écrasante majorité de la population qui va trinquer. L’école est en crise avancée. Bref, aujourd’hui, Ablaye Wade a pris l’option de l’enrichissement pour ses individus au détriment de la communauté nationale. Ils sont venus pour s’enrichir sur le dos des populations. C’est ce que tout le monde constate. La boulimie foncière et ces chantiers de l’Anoci participent de cela.

Certains observateurs ne manquent pas aussi de souligner qu’à travers tout ce remue-ménage autour de l’Anoci, il y a un produit qu’on veut vendre aux Sénégalais : Karim Wade comme grand manager, capable donc d’accéder au sommet de l’Etat…

(Il coupe). Maintenant, tout le monde constate que c’est l’échec. Si c’est cela qui devait constituer la rampe de lancement, il faut dire que la fusée a déjà explosé avant de se lancer (rires) puisqu’on avait tellement promis pour ces chantiers et rien n’est fait depuis trois ans. La cause est entendue sur cette question.

Depuis un certain temps, on entend parler d’Assises de l’Education, du Football, etc. A chaque fois que dans un secteur se pose un problème aigu, on promet des Assises par rapport à ce secteur. Qu’en pensez-vous, en rapport avec le projet des Assises nationales du Front Siggil Senegaal ?

C’est d’une part un aveu de l’échec dans tous ces domaines. Le football, c’est un échec lamentable. L’éducation aussi. D’autre part aussi, c’est une tentative de détourner l’attention vers le projet d’Assises nationales que le Front Siggil Senegaal, avec d’autres forces, la majorité des forces vives du pays, entend organiser. Tout le monde rend compte aujourd’hui que le Sénégal est au bord d’un précipice. Nous sommes déjà d’ailleurs dans le gouffre parce que jamais le pays n’a atteint une crise à ce niveau, à la fois économique, sociale, politique et morale. Le désastre est total. Et ils se rendent bien compte que nous sommes assis sur une bombe à retardement. D’ailleurs, chaque fois que je regarde le logo (rires) de l’Anoci, cela ressemble à une bombe dont la mèche est allumée (rires). Et je me dis tous les jours : «ça va exploser». Le Sénégal, c’est le logo de l’Anoci qui reproduit une mèche allumée.

Naturellement, les gens de ce pouvoir sont devenus sourds, ne veulent rien entendre et voir venir, à cause des richesses qu’ils ont accumulées. Cependant, il nous appartient d’assumer nos responsabilités. Le Sénégal a la possibilité de s’en sortir sans bain de sang, sans le chaos qu’on a connu dans d’autres pays. Nous avons des femmes et des hommes dans l’opposition qui sont responsables dans le sens plein du terme, qui mesurent leurs devoirs du moment et l’implication que leur imposent ces devoirs : trouver une voie qui ne soit pas celle du chaos. On n’a pas besoin de s’engager dans une voie qui fait des milliers de morts comme au Kenya pour venir autour d’une table. Que Dieu nous en préserve ! C’est pourquoi l’idée d’Assises nationales me paraît la meilleure solution pour éviter pareil scénario. Autour d’une table, que toutes les forces vives s’accordent sur ce qu’il y a de mieux pour ce pays et qu’on se batte pour redresser le Sénégal, le remettre à l’endroit.

Mais le Président Wade perçoit un peu cette invitation à participer à ces Assises nationales comme une manière d’avaliser un échec de sa part. Est-ce que cela ne se justifie pas quand même qu’il refuse d’y participer ?

C’est cela son manque de responsabilité. Et c’est cela le plus grave danger. On parle aujourd’hui de la crise africaine, mais c’est surtout une crise de leadership. C’est l’irresponsabilité qu’affichent certains dirigeants africains qui arrivent par exemple au pouvoir à la suite de vastes mouvements populaires ou coalitions. Or, dès qu’ils arrivent au pouvoir, ils jettent tout par-dessus bord pour en revenir à leur famille, sachant bien que si c’était leur famille, ils ne seront pas là où ils sont. Ils écartent tout le monde pour réduire le pouvoir à l’espace familial. Partout où cela est arrivé, ça n’a jamais pu prospérer dans le temps ; le pays a fini par éclater en morceaux. C’est ce qui s’est passé au Zaïre, en Centrafrique, au Liberia, en Sierra Leone. Aujourd’hui, Ablaye Wade est exactement dans la même trajectoire. Voilà un homme qui, pendant tout le temps qu’il était dans l’opposition, prétendait lutter pour la démocratie, l’élargissement de la base du pouvoir et les prises de décision par le dialogue et la concertation. Il a bénéficié de cela ; il arrive pour mettre tout cela par-dessus bord et réduit le pouvoir à sa famille, jusqu’au point de penser qu’il peut imposer son fils aux Sénégalais.

Voilà la tragédie que traverse le Sénégal aujourd’hui. Il n’est ni dans son intérêt ni dans celui de son fils, de sa famille, de songer même à un tel projet, a fortiori de travailler pour sa réalisation. Wade sait bien que cela finira par le chaos. S’il lui reste tant soit peu de sérénité, de rationalité, je lui lance un appel pour qu’il renonce à ce projet insensé qui fera très mal à lui-même, à son enfant, à sa famille et à tous ceux qui ont soutenu un tel projet. Ça ne peut pas prospérer !

Quel est présentement l’état de la situation au Front Siggil Senegaal ?

Le Front Siggil Senegaal a, à travers l’expérience vécue depuis les élections frauduleuses du 25 février 2007, développé son unité, à tel point que, non seulement nous avons pu travailler d’arrache-pied ensemble pour accréditer l’idée des Assises nationales et rallier à ce projet national des secteurs vitaux du pays, qui sont aujourd’hui majoritaires du point de vue sociologique et de l’opinion. Ce n’est pas un mince bilan. Bien au contraire ! Aujourd’hui, nous sommes en train de travailler avec les autres forces. Les Assises ne sont plus maintenant celles du Front Siggil Senegaal, mais du peuple sénégalais. Ce sont tous les secteurs du peuple qui se sont impliqués dans ce processus. Voilà un succès éclatant du Front Siggil Senegaal. Deuxième succès éclatant : en direction des élections locales, nous avons pu constater une unité en train d’être scellée à la base sur l’étendue du territoire national. Non seulement les leaders sont d’accord pour aller ensemble, mais les bases à leur tour sont en train de le faire. Voilà donc deux choses importantes qui marquent l’histoire du Sénégal, ces temps derniers. C’est inédit et qualitativement supérieur. Dieu sait que pendant les 40 dernières années j’ai participé au mouvement social et politique en tant qu’acteur, mais croyez-moi, ce qui est en train de se faire avec le Front Siggil Senegaal, le niveau qualitatif que nous avons atteint, nous ne l’avons jamais atteint auparavant. Notre unité ne se fait pas simplement pour dire seulement qu’on va mettre untel au pouvoir, élire tel président de la République pour qu’il soit devant nous, mais aujourd’hui c’est plus que cela. Nous voulons que les Assises nationales soient une affaire de tous les citoyens. Que chacun vienne dire ce qu’il veut. Cela ne s’est jamais fait, ici, au Sénégal. Peut-être de manière sectorielle avec les Etats généraux de l’Education en 81, mais qu’on mette tous les problèmes de tous les secteurs sur la table pour les diagnostiquer et chercher des solutions, ça ne s’est jamais vu. Donc, le Front Siggil Senegaal constitue une avancée qualitative extraordinaire dans la vie politique nationale.

Comment vous avez pu faire un consensus autour d’une personnalité dont le choix a étonné beaucoup de Sénégalais, Amadou Moctar Mbow ?

Dès que le nom de Amadou Moctar Mbow est sorti, tout le monde était d’accord, parce qu’il a connu un parcours sans faute. C’est un homme politique animé par des principes. Du point de vue de son expérience nationale et internationale, de sa moralité – je ne dis pas qu’il n’y a pas d’autres Sénégalais comme lui- c’est une figure d’exception. Je lui rends hommage pour avoir accepté de présider ces Assises nationales. Le jour où nous avons été le rencontrer, le Front Siggil et d’autres organisations qui participent des Assises nationales, nous avons été particulièrement émus pendant presque deux heures avec lui. Il est resté profondément patriote. Voilà quelqu’un qui ne cherche pas les honneurs, c’est derrière lui ; il a eu tous les honneurs dans sa vie. Nous avons besoin d’hommes et de femmes comme Amadou Moctar Mbow au Sénégal, au moment où Ablaye Wade et son régime qui ont dévalorisé ce qu’il y a de meilleur dans l’être humain : la dignité et le désintéressement. Pareils exemples méritent d’être mis en exergue. Le régime de Ablaye Wade aura été caractérisé par la dévaluation de la posture morale du citoyen sénégalais : la corruption généralisée, en considérant que chaque homme a un prix ; donc, il faut payer pour que l’être humain s’avilisse. Wade aide les hommes à s’avilir, à se rabaisser. En tant que dirigeant d’un pays, il ne les aide pas à se relever, à mettre en exergue leurs qualités.

On reproche au niveau du Front Siggil Senegaal d’avoir boycotté les législatives au motif que les conditions de transparence n’étaient pas réunies et aujourd’hui d’aller aux élections locales avec les mêmes conditions du fichier. Que répondez-vous par rapport à ces reproches ?

Nous sommes tout à fait cohérents, parce que ce sont deux élections dont les enjeux sont totalement différents. L’élection présidentielle, c’est autour d’un individu ; les législatives autour de 150 députés et peut-être de leurs suppléants qui attendront (rires). Les élections locales soulèvent d’autres enjeux au niveau du village, de la communauté rurale, de la commune. Ces enjeux sont liés à des problèmes culturels, de positionnement, mais aussi à l’inquiétude qui grandit depuis quelque temps à travers les communautés rurales avec le régime de Ablaye Wade qui s’est employé à s’accaparer des terres. Partout dans les communes, les communautés rurales, ils se sont accaparés des terres. Les populations ne veulent que Ablaye Wade et ses hommes de main continuent par le jeu institutionnel à s’accaparer de leurs biens familiaux qu’ils ont depuis des lustres. Elles veulent participer, même minoritaires, dans les Conseils municipaux ou ruraux ; les gens d’une localité vont pour se prévaloir de leur présence et s’y opposer. Ils auront l’information et s’y opposeront. Donc, c’est un lieu de mobilisation populaire autour d’intérêts spécifiques aux localités. Pour nous, l’important, c’est que nous allons réaliser l’unité politique au sommet- c’est déjà fait-, mais aussi à la base où nos militants vont davantage se connaître, se battre ensemble. Et par pied à pied dans les villages, dans les communautés rurales, ils seront ensemble ; ce qui va créer un déclic du point de vue de la mobilisation populaire. C’est extrêmement important. Cette osmose entre les partis politiques à la base sera notre victoire politique pour préparer ce que nous sommes en train de faire. Il ne faut pas le déconnecter des Assises d’une certaine manière, parce que, à l’occasion de ces débats à la base, les gens vont poser tous ces problèmes. De quoi nous servir pour enrichir la réflexion au niveau des Assises nationales. Ce sera une sorte de prise de température au niveau le plus bas. Maintenant, là où il y a victoire électorale, c’est tant mieux, mais là où il n’y en aura pas, ce sera toujours une victoire politique. Donc, vous voyez la différence ! Ensuite, les députés, en général, c’est au niveau de l’élite. En général, dans tous les pays, c’est à un certain niveau qu’on élit les députés.

On n’est pas encore aux élections locales que le Parti socialiste vient de soulever des cas de violation des dispositions du Code électoral, relatives à la publication et l’affichage des listes…

(Il coupe) Ça, c’est un grand problème par lequel Ablaye Wade a volé lors des élections de la présidentielle de février 2007. Ils n’ont rendant pas public les listes bureau de vote par bureau de vote pour que les villageois eux-mêmes puissent vérifier si tel individu sur les listes est bien de leur village. Que les Goréens puissent regarder si quelqu’un sur la liste publiée de Gorée est bien de Gorée. Les élections locales, comme son nom l’indique, concernent les gens qui vivent localement, qui ont à titre secondaire ou principal leur résidence dans la localité, dans la communauté rurale ou un village de cette communauté; ensuite, il paie l’impôt ou les taxes dans ces localités. Ainsi, demain, ils peuvent être mis à contribution. Comment quelqu’un qui n’habite pas Gorée peut aller s’y inscrire, alors qu’il n’y paie aucun impôt, aucune taxe et n’y réside pas ? Et c’est justement ce que le Pds veut faire et les libéraux l’ont fait à grande échelle lors de l’élection présidentielle. Il y a des gens qui se sont inscrits dans dix localités différentes ; il y a eu des votes multiples avec des gens venus de la Mauritanie, du Mali, de la Gambie, de Guinée-Bissau, de Guinée-Conakry. Si on publie les listes, on pourra être vérifié les personnes concernées et cela permettra en même temps de corriger le fichier électoral. S’ils le refusent, cela signifie qu’ils veulent la bagarre. Les populations ne doivent pas accepter que d’autres personnes qui ne résident pas dans leur localité, qui n’y paient ni impôt ni taxe puissent faire élire un maire, un conseiller municipal ou rural, un président de conseil rural. Au nom de quoi ? Non seulement, c’est anti-démocratique, mais c’est injuste.

A suivre

 



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