ENTRETIEN AVEC… Amath Dansokho, Secrétaire général du Pit « La riposte de l’opposition n’est pas à la hauteur »

Même de Paris où il suit son traitement médical, le Secrétaire général national du Parti de l’indépendance et du travail (Pit) ne perd rien de sa verve et de ses convictions pour commenter l’actualité politique du pays. De la candidature de Wade en 2012 à la docilité d’une opposition divisée, en passant par les comptes de l’Anoci, Dansokho fait sauter les verrous et livre ses intimes convictions.

Le Président Wade a confirmé sa participation à l’élection présidentielle de 2012. Etes-vous surpris par cette candidature annoncée et, comment l’avez-vous analysée ?

C’est la preuve de son désarroi. Apparemment, il a échoué dans son projet initial qui était de mettre en orbite son fils pour lui succéder. Il s’est heurté à des difficultés incommensurables venues du rejet des populations et, cela s’est illustré par les résultats des élections locales dans leur propre bureau de vote à Fann. Les populations lui ont démontré qu’une cession de pouvoir monarchique ne pouvait avoir lieu au Sénégal. La candidature de Wade est un échec capital et elle confirme l’obsession à vouloir donner le pouvoir à son fils fait qu’il ne voit, même dans le Pds, aucune personne qui peut lui succéder, même aux moyens de fraude.

Pourtant, il est toujours en négociation avec Idrissa Seck…

Cela n’a pas marché du fait de son obsession à faire de son fils, quoi qu’il advienne, son successeur et personne d’autre. Et comme il n’a personne d’autre, il dit qu’il va se présenter.

N’est-ce pas aussi parce qu’il n’a pas d’adversaire à sa taille en face de lui qu’il décide de briguer aisément un autre mandat ?

C’est cela son illusion. Wade avait dit qu’il ne voit pas dans son parti, et même au Sénégal, quelqu’un qui puisse lui succéder. Il l’avait dit dans une interview accordée à un journal de place en 2004. Cela veut dire que si ce n’est pas lui, son successeur doit appartenir au même gène que lui, parce que je ne crois pas qu’il puisse penser rester éternellement le Président du Sénégal. Allah n’a même pas donné ce privilège à son Prophète et Abdoulaye Wade ne doit pas penser qu’il est éternel. Il croit que seul son gène pourra perpétuer son œuvre et assurer sa sécurité.

Ce comportement de Wade n’est-il pas la conséquence de la docilité de l’opposition ?

Sans doute, il faut se poser des questions, mais nous avons démontré que le peuple est avec nous. Pourquoi, malgré tout ce qui se passe, continue-t-il à se comporter comme ça ? Il nargue les gens après les avoir conduits au désastre. Evidemment, la riposte n’est pas à la hauteur, il faut bien le reconnaître. Si par le vote nous avons démontré que nous sommes les plus forts, il reste que nous n’avons pas conçu le mouvement populaire.

J’ai des idées et une opinion très claires sur la question et je les ai exprimées très souvent. Je pense qu’il y a quelque chose qui ne va pas de ce point de vue. Abdoulaye Wade continue à faire ce qu’il veut, c’est inadmissible qu’il n’y ait pas de mouvement populaire.

Cela viendra des populations et je sais qu’elles se préparent. Je dis souvent que si nous avons cette confiance des populations à l’opposition, à Benno et ceux qui sont en dehors de ce cadre, il faut aussi reconnaître que nulle part les populations n’ont dit qu’elles ont remis leur sort, leur destin à l’opposition totalement et sans conditions. A mon avis, les solutions des populations peuvent tourner vers le chaos. Si nous ne faisons pas le travail ou si nous ne prenons pas l’exactitude de la mesure d’exaspération des populations ou qu’elles ne vérifient pas que nous leur servons à quelque chose, non pas pour avoir des voix pour siéger dans des assemblées pour de l’argent, c’est le discrédit qui s’en suivra. Cela risque de provoquer un phénomène extraordinaire au Sénégal. Nous sommes devant une urgence. Il faut agir rapidement et aller vers des solutions qui obligent Abdoulaye Wade à céder le pouvoir parce qu’il est disqualifié moralement, historiquement et politiquement. L’opposition doit agir vite, très vite même.

Vous sonnez l’alerte au moment où la candidature unique de l’opposition, agitée depuis quelque temps, souffre des querelles de positionnement. Croyez-vous à cette candidature ?

Si on est raisonnables, si on met, au centre de nos préoccupations, le sort du Sénégal, ce sera facile. C’est une équipe qui doit diriger le Sénégal. Si quelqu’un pense qu’il a les moyens de diriger le Sénégal lui seul, il se leurre. Personne n’en a les moyens. La gravité de la situation exige qu’il y ait une synergie très forte. On en a défini les termes aussi bien au sein de Benno que dans les conclusions de l’Assemblée nationale. Tout le monde est d’avis qu’il faut une équipe pour gérer le Sénégal.

Avant cette équipe que vous préconisez, il faut quelqu’un pour porter la candidature de l’opposition. Quelle est, selon vous, la meilleure stratégie, une candidature unique ou plurielle ?

Ma conviction est profonde à ce sujet, il faut une candidature unique. Nous sommes en Afrique et non en Europe. Le report de voix au second tour ne se fera pas facilement. Parce que les rancœurs qui vont résulter de la question de la candidature ne seront pas résorbées par un appel de dirigeant pour reporter les voix. Ce qui risque même de se faire, c’est que les militants, dont le candidat est battu, risquent de voter pour l’adversaire. Parce que nous n’avons pas assez travaillé, nous avons continué à entretenir des haines, des suspicions, les uns contre les autres. Je le dis parce que je participe à ce travail depuis longtemps.

Le problème de fond n’est-il pas la vive rivalité entre l’Afp et le Ps ?

Je ne peux pas me prononcer sur ce sujet parce que j’ai une obligation de réserve. Et même si c’était le cas, c’est que nous ne sommes pas raisonnables. Et si l’on se place dans cette logique, l’on semble dire  que Abdoulaye Wade vaut mieux qu’un candidat de l’opposition. C’est clair. Cette question, si nous ne la résolvons pas,… (Il s’énerve et ne continue pas la phrase). Il n’y a qu’un seul fauteuil, il ne peut pas y avoir deux personnes et le peuple veut que ce régime finisse. Abdoulaye Wade nous promet un régime libéral de 50 ans, il a construit une oligarchie en détruisant tous les ressorts économiques de la Nation. Son ambition est de porter son fils à la tête de ce projet de 50 ans de pouvoir du Pds, donc les gens sont clairs. Il faut que chacun réfléchisse. En tout état de cause, nous allons débattre de la question. Au Pit, nous avons dit que la bataille doit commencer maintenant pour faire de sorte que Abdoulaye Wade parte le plus rapidement possible car, il ne peut plus continuer à détruire notre pays, alors que nous sommes là les bras croisés.

En ce même moment, il est agité l’idée de suppression du second tour de la Présidentielle. Comment avez-vous analysé ce débat ?

Je vous préviens que l’accord que Wade vient de signer avec le Millenium challenge account (Mca) lui interdit de manipuler la Constitution. S’il le fait alors que les Américains sont respectueux de leur conditionnalité pour accéder à ce don, l’accord est immédiatement rompu. Dans les conditions, on ne doit pas toucher à la Constitution, on ne doit pas porter atteinte aux droits de l’Homme et il ne faut pas arrêter les journalistes. C’est pourquoi, vous voyez que depuis quelque temps, l’on convoque des journalistes à la Dic et on les libère après.

Il y a aussi, et je le souhaite, si Wade manipule la Constitution, les partis ne vont pas s’enfermer dans des réunions à discuter de cela. Et que nous serons dans la rue pour nous y opposer totalement et définitivement.

Après la publication du livre de Abdoulatif Coulibaly, «Contes et mécomptes de l’Anoci», la première réaction de Wade a été de blanchir son fils au prétexte qu’il n’a pas de responsabilité dans la manipulation de l’argent. Comment avez-vous accueilli cette sortie de Wade qui, en même temps, a livré en filigrane Abdoulaye Baldé, présenté comme l’ordonnateur des dépenses ?

D’abord, Latif a fait une œuvre que des générations et des générations apprécieront comme hautement positif. Nous savions tous que ce régime est fondé sur la corruption et qu’il est corrompu. D’ailleurs, je vous prie de vérifier que, depuis trois ans, il n’y a pas une seule phrase contenant le mot «corruption» que le Président Wade a prononcé. Il a radié ce mot de son vocabulaire et son langage. Je défie quiconque de me prouver le contraire. Il ne prononce plus ce mot parce qu’il sait ce qu’il faisait. Il sait ce qu’on a fait à l’Anoci. Il en a tellement fait qu’il sait que si quelqu’un d’autre arrive au pouvoir, même si c’est des rangs du Pds, il engagerait l’instruction des chantiers de Wade. Comment peut-il blanchir son fils. 12 Km de route avec un Km facturé entre 6 et 7 milliards FCfa, alors que la route n’a même pas traversé aucune montagne.

Si le Président soutient que son fils n’est pas ordonnateur de dépenses, alors la faute à qui ?

Comment peut-ils dire une chose pareille ? Où est-ce que cet argent est passé ? Ils n’ont qu’à répondre au livre. C’est au pauvre Baldé qu’on va faire porter le chapeau et, c’est un peu bien fait pour lui d’ailleurs. Car, il devait savoir que l’éthique n’est pas une des composantes capitale de ce système. Mais, le chef d’orchestre, c’est Abdoulaye Wade. C’est lui qui doit répondre et il répondra. Il le sait, c’est pourquoi il tient à se représenter en 2012 pour tenter d’empêcher l’éclairage de ce problème.