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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

ENTRETIEN AVEC… Bakary Badiane, président des parents d’élèves et étudiants du Sénégal sur la crise scolaire : « Les enseignants sont responsables»

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ENTRETIEN AVEC… Bakary Badiane, président des parents d’élèves et étudiants du Sénégal sur la crise scolaire : « Les enseignants sont responsables»

L’éducation nationale bat de l’aile. Depuis quelques années, elle est perturbée par une série de grèves. Cette crise qui secouait au début les cycles primaire, moyen et secondaire a aussi élargi ses tentacules à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, où l’on craint une année blanche. Le président de la Fédération nationale des associations des parents d’élèves et d’étudiants du Sénégal (Fenapees), Bakary Badiane, appelle le gouvernement, les enseignants et les étudiants à faire preuve de dépassement pour sauver l’année en cours.

Aujourd’hui, une partie des enseignants est en grève pour réclamer de meilleures conditions de travail. L’éducation nationale est mise à mal par une série de perturbations. Quelle appréciation faîtes-vous de cette situation ?

C’est une situation regrettable. Nous sommes des parents d’élèves et nous représentons l’ensemble des parents d’élèves du Sénégal. Nous sommes là pour la défense des intérêts de nos enfants, de l’école. Il arrivera des moments où nous serons obligés de parler des intérêts des enseignants. La paix scolaire n’a pas de prix. C’est dans la paix que l’on peut construire. Nous avons pensé déjà que le quantum horaire, qui est normalement de 700 heures, n’est jamais atteint, compte tenu des nombreuses fêtes, des congés, des absences régulières. S’y ajoutent maintenant des grèves répétitives, des débrayages à partir de 10 heures laissant nos enfants dans des situations incertaines, très grave parfois, des grèves totales et cela depuis octobre.

Quand vous comptez le nombre de jours de débrayages, parce que ce sont des jours de grèves, il ne vous restera absolument rien. Alors qu’un enseignant, ce n’est pas comme le commis d’administration qui, quand il n’a pas fini son travail, le laisse là et, demain, il le reprend et continue. L’enseignant, ce n’est pas comme tel. Il a un programme mensuel, un programme annuel. C’est sur la base de ce qu’il va faire que l’enfant va être évalué. Quand le quantum horaire est sérieusement atteint par la crise comme il l’est en ce moment, il n’y a pas beaucoup de jours de travail. L’année dernière, nous avons compté dans certaines régions moins de 500 heures de cours. Imaginez ça sur 700 heures. Est-ce qu’on peut rattraper le temps perdu ? C’est la question que l’on se pose. Nous pensons que le temps perdu en matière d’enseignement ne peut pas se rattraper. Déjà 700 heures, ce n’est pas suffisant. Les pays développés ont jusqu’à 900 000 heures. Ce qui se passe actuellement ne peut pas plaire aux parents d’élèves. Pourquoi des enfants qui ont un droit à étudier ne le peuvent pas ? Et, nous qui payons les inscriptions, les fournitures, le transport, les habits. En retour, nous voulons les voir en classe. S’ils doivent être dans la rue ou s’ils doivent être dans les maisons, qui perd dans cette histoire là ? Peut-être que les enseignants ne perdent pas, parce que quand ils font la grève, ils sont payés. Je ne vois pas ce qu’ils perdent. S’ils ont eu satisfaction, ils gagnent combien de fois. Alors que nos enfants n’ont absolument rien à gagner. Au contraire, ils perdent.

Cela a même des conséquences sur le niveau des élèves…

(Il coupe). Bien sûr. Les enfants vont arriver à des diplômes qui ne seront pas de bons diplômes. Alors, c’est peut-être le hasard qui fera que tel va réussir. Donc, ça se ressent au niveau des Universités quand ils feront des études supérieures. L’enfant arrive bien avec son parchemin, mais sans connaissance. Nous voulons des têtes bien faites. Mais pour des têtes bien faites, il faut qu’on respecte les programmes. Il faut que les matières qui sont retenues soient enseignées. Il faut que les enseignants soient en classe et s’occupent de leurs élèves.

Donc, les syndicats d’enseignants ne devraient pas aller en grève…

Cela ne veut pas dire que les syndicats ne doivent pas aller en grève. Mais, nous pensons que la grève doit être l’arme ultime. C’est-à-dire quand on a utilisé toutes les cartouches, à ce moment là on peut aller en grève. Quand il n’y a plus rien. Nous avons remarqué, parfois, que ce sont des points de revendications qui n’invitent pas à une grève. Par exemple, quand les syndicalistes disent qu’il faut que le gouvernement ouvre les négociations sinon ils ne reprennent pas les classes, voilà une condition. Mais, le gouvernement a son emploi du temps. Encore que ces problèmes sont d’ordre pédagogique et social. Donc, concernent directement les ministres de l’Education, de la Fonction publique et de l’Habitat. Il faut une concertation du gouvernement pour pouvoir répondre à leur plate-forme revendicative.

Comment appréciez-vous , donc, la plate-forme revendicative des enseignants ?

Nous, parents d’élèves, nous n’avons pas à juger leurs points de revendications. Mais nous avons à juger des comportements et nous disons que, parfois, trop, c’est trop. Chaque chose à son temps et un peu de patience pour permettre à ce qu’on règle ces problèmes là. Moi, je fus un enseignant, quand nous faisions nos grèves il y avait au moins quatre ou cinq points de revendications et quand on obtenait satisfaction sur trois points, on arrêtait pour sauver l’année et aider nos enfants. Les deux autres points qui restaient, on les gardait pour une autre période. Ces deux points reviennent avec d’autres points de revendications. C’est ce que nous faisions.

Mais le tout ou rien, nous pensons que ça c’est mener une bagarre qui n’a pas son nom. Contre qui ? Si c’est contre le gouvernement, où est l’enfant dans tout cela. Nous avons l’impression que le gouvernement comme les syndicalistes ne pensent pas du tout à l’intérêt de nos enfants. Et, c’est pourquoi nous les invitons à se rencontrer le plus rapidement possible. Nous avons fait ce que nous devons faire. Nous avons écrit, nous avons parlé et on n’a l’impression qu’on ne nous écoute pas. Nous invitons les deux parties à se retrouver, discuter et arrêter cette grève, avant qu’il ne soit trop tard. Les enseignants se sont mis en grève. Mais si durant tout le mois de mars, ils n’enseignent pas, qu’est-ce qui restera de l’année ? Avril et mai puis que juin c’est la période des examens. Ils vont faire leurs examens sur quoi ? Abso-lument rien.

Alors, si on va vers une année blanche, ce sera la catastrophe. Une année blanche, c’est la catastrophe pour le pays, les enseignants et les élèves. Moi, quand j’enseignais je voulais voir mes enfants réussir. Et, pour réussir, je travaillais beaucoup, même pendant les jours fériés. Je connais des enseignants qui cherchaient à la veille des examens des marabouts pour leurs élèves. Et, je le dis à haute voix, pour qu’il y ait de bons résultats.

Où situez vous les parts de responsabilité de chacune des différentes parties concernées par cette crise ?

Nous avons rencontré l’Intersyndicale à plusieurs reprises. Nous les avons écoutés, nous avons pris connaissance de leurs doléances et nous nous sommes retournés vers l’Etat, nous avons dit : «Voilà les doléances des enseignants, recevez les, discutez. A l’impossible nul n’est tenu. Dites ce que vous pouvez faire et ce que vous ne pouvez pas faire.»

Aux enseignants, nous n’avons pas manqué de leur dire de nous donner un petit moment pour que nous puissions discuter avec le gouvernement de la faisabilité de la chose. Mais, ils ne nous ont jamais suivi sur ce plan. Nous leur avons demandé une trêve pour nous permettre de le faire, en tant que médiateurs, et ils ne l’ont jamais fait.

Quand les enseignants rencontrent le gouvernement nous ne sommes pas présents alors que nous sommes des médiateurs. Notre action est une action de prévention, de médiation, de suivi. Et, on ne peut suivre que lorsqu’on sait. On ne peut intervenir que lorsqu’on sait. A un moment donné, nous disons aux enseignants que quand même quelque chose a été fait et il faut le reconnaître. Compte tenu de cela, on devrait arrêter un peu et attendre une autre période. Quand je dis que quelque chose a été fait, je parle du problème de l’indemnité du logement qui était à 40 mille. Ils ont demandé et, finalement, l’Etat a fait un petit effort de 20 mille francs Cfa. De 40 mille on est passé à 60 mille. Et, c’est en 2006 seulement que ces enseignants ont demandé l’augmentation de ces indemnités, nous pensons quand même qu’on peut attendre un peu.

Pour le problème de l’habitat le ministre de tutelle leur a dit : «Nous voulons vous remettre vos parcelles et nous attendons les listes.» Jusqu’au moment où je vous parle, cela fait deux mois que nous demandons ces listes en question qu’ils (les enseignants) disent avoir déposés. Mais ces listes ne sont pas à notre disposition et l’Etat dit qu’il les attend.

Le droit au logement est un droit, mais l’augmentation de l’indemnité de logement ne peut pas être un droit. C’est une demande. Il faut argumenter. Il faut arriver à ce que le gouvernement accepte. Mais, si le gouvernement dit qu’il ne va plus payer les indemnités de logement et que tout le monde aille dans la rue, nous disons que cela c’est leur droit. Le salaire est un droit pour quelqu’un qui travaille. Mais celui qui ne travaille pas, est-ce qu’il a droit à un salaire ?

Donc, selon vous, les enseignants sont, en grande partie, responsables de cette crise ?

Oui, dans la mesure où ils ne veulent pas prendre nos enfants en compte. C’est là où nous les rendons responsables. Parce que les problèmes de l’école ne sont pas seulement leurs problèmes. Au moment où je vous parle, il y a combien d’écoles qui n’ont pas de toilettes, il y a combien d’écoles qui n’ont pas de clôture, il y a combien d’écoles où il manque des fournitures. Nous même nous achetons des fournitures pour les écoles, mais ces problèmes ne sont jamais soulevés par les enseignants. Jamais, et ça je vous le dis.

Il y a beaucoup de choses qui ont été faites. Je ne suis pas un censeur, mais je dis ce que nous constatons. Compte tenu de ce qui est fait et ce qui me paraît important, nous demandons aux deux parties de faire l’effort nécessaire pour arrêter ces grèves et reprendre en main la situation de l’école. Sinon, d’ici fin mars, s’il n’y a pas travail, tout sera foutu. L’enseignement, c’est leur outil. Si on ferme l’école, qu’est-ce qu’ils vont devenir ? Il n’y aura pas d’enseignants. Et, si nous retenons définitivement nos enfants à la maison, ils seront enseignants de quoi ?

On a l’impression que vous attendez toujours que les carottes soient cuites pour réagir. On vous entend, mais à peine…

Non. (Il se répète trois fois). C’est-à-dire que nous avons opté de travailler dans le silence et dans le calme. C’est pourquoi, vous ne nous voyez pas, vous ne nous entendez pas dans les médias. Mais nous agissons à la base. Nous servons de médiateur. Le Premier ministre nous a reçus sur pas mal de problèmes, le ministre de l’Education la même chose et le ministre de la Fonction publique aussi.

Le seul problème, c’est qu’il faut que ces négociations s’ouvrent. Nous travaillons sur ça. Avec quel moyen ? Aucun moyen. Nous sommes sans moyens. En tant qu’une association qui a été créée depuis 1967, ce n’est pas normal. Nous avons demandé au président de la République de nous aider à avoir, au moins, un véhicule pour pouvoir faire nos déplacements, puisque nous ne sommes pas payés. C’est un sacerdoce. Le Président nous avait promis deux véhicules. Depuis 2006, nous ne les avons pas toujours reçus. Mais ce n’est pas une raison pour nous de nous révolter, de dire que nous faisons plus rien. Nous attendons qu’il puisse le faire pour que nous puissions être plus opérationnels. Nous avions une subvention qui a été aussi supprimée, mais grâce à Dieu le Premier ministre a promis de la rétablir. Tout cela pour nous permettre de faire fonctionner notre bureau.

Encore une fois, nous ne faisons pas de bruit. Mais nous travaillons et notre travail consiste à renouer le dialogue entre enseignants et gouvernement. Nous pensons qu’il va bientôt y avoir des solutions. Parce que nous avons entendu le président de la République parler d’Assises nationales de l’Education. Et, à ce niveau, on pourra parler de tous les problèmes de l’école.

Cette fois-ci, les enseignants semblent beaucoup plus déterminés. Et, ils demandent à être reçus par le chef de l’Etat. La Fenapees ne devrait-elle pas, dans une perspective de résolution de la crise scolaire, mener une médiation pour pousser Me Wade à recevoir les enseignants ?

En 2007, c’était comme ça. C’était tendu, au moment où nous pensions vraiment que ça va aller. L’Intersyndicale s’est radicalisée en disant qu’elle veut rencontrer d’abord le président de la République. Nous avons écrit au Président. Il nous a reçus et une semaine après il a reçu les syndicalistes. C’est à cette occasion qu’il a, d’ailleurs, donné les 7 milliards d’Appui ponctuel aux enseignants. Donc, c’est sur notre intervention que Me Wade a reçu les enseignants. Là aussi, nous avons pensé, en rencontrant le ministre de l’Education et le ministre de la Fonction publique que ça allait se régler. Mais on se rend compte que ça se radicalise, de plus en plus. Et, l’heure est grave. C’est pourquoi nous demandons encore -la lettre est dans le circuit- au président de la République -maintenant il n’y a plus que lui- de bien vouloir les recevoir et, certainement, trouver la solution. En dehors de Dieu, il faut le dire, c’est lui qui est là. Nous sommes dans de très bonnes dispositions pour faire en sorte qu’il puisse les recevoir, le plus rapidement possible.

Le privé et certaines écoles travaillent. Donc, il serait malheureux que l’année soit blanche. Pour ceux-là qui travaillent, ce sera vraiment malheureux. Pour nous, il n’en est pas question. Nous ferons tout ce que nous pouvons pour qu’il n’y ait pas d’année blanche».

Craignez-vous une année invalide ?

Bien sûr. Moi, je fus enseignant et je sais ce que c’est une année blanche. Le temps perdu est considérable. Parce que si l’ouverture des négociations est un facteur de blocage, nous allons tout droit vers une année blanche. Et, surtout si le gouvernement traîne les pieds.

A suivre

 



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