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Politique

ENTRETIEN AVEC… … Ibrahima KANE (Avocat) : «Les portes ne sont pas fermées»

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ENTRETIEN AVEC… … Ibrahima KANE (Avocat) : «Les portes ne sont pas fermées»

La plainte d’organisations de droits de l’Homme contre la loi d’amnistie dite loi Ezzan déclarée irrecevable, Me Ibrahima Kane revient (dans cette interview partagée avec le quotidien Walfadjri) sur les contours de la décision ainsi prise par la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples et révèle que l’affaire sera bientôt relancée devant la même juridiction interafricaine.

Maître, vous avez défendu la cause d’organisations de droits de l’Homme dans le cadre d’une plainte déposée contre la loi Ezzan qui aministie des crimes de nature politique au Sénégal. Pouvez-vous nous faire l’économie de la décision rendue par la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples ?

La décision qui a été rendue par la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples (Cadhp) est très simple. C’est que d’après la Charte africaine des droits de l’Homme, pour qu’une plainte soit déclarée recevable, il faut qu’elle remplisse certaines conditions. Parmi celles-ci, il y en a une qui a trait à l’épuisement des voies de recours internes. Pour l’affaire qui lui a été soumise, la Commission a estimé que nous n’avions pas donné suffisamment d’informations pour prouver justement que nous avions épuisé toutes les voies de recours.

En quoi consiste cette règle contenue dans la Charte ?

Cette règle y a été introduite pour que les Etats-parties à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, à chaque fois qu’ils sont accusés d’avoir violé une disposition de celle-ci, aient la possibilité d’examiner cette question au niveau interne, de la juridiction la plus basse à la juridiction la plus élevée. Il était nécessaire que toutes ces juridictions aient eu l’opportunité d’examiner cette plainte et d’en avoir rendu une décision. Et ce n’est que lorsqu’on n’est pas satisfait de cette décision que l’on peut saisir la Cadhp. Dans le cadre de l’affaire Ezzan, la Commission nous a dit qu’il est vrai que la loi d’amnistie a été votée par l’Assemblée nationale du Sénégal, qu’elle a été examinée par le Conseil constitutionnel, mais que nous n’avons pas montré à la Commission des éléments qui lui permettent de croire qu’au niveau interne, cette affaire-là ne peut plus être examinée par une quelconque juridiction. Par exemple, qu’il y aurait une victime qui se serait présentée devant une juridiction et que celle-ci lui eût opposé la loi Ezzan pour justifier l’examen d’une plainte.

Vous n’avez pas pensé prendre avec vous une victime pour épaissir le dossier ? Par exemple un membre de la famille de Me Babacar Sèye ?

Oui, il y avait un membre de la famille Sèye qui était prêt à faire partie de l’équipe, c’est un avocat (Ndlr : probablement Me Khaly Sèye). Ce qui se passe, c’est que selon la Charte africaine, les organisations de défense des droits humains comme la Fidh, l’Ondh et la Raddho peuvent porter plainte directement devant elle. La Charte fait bien une distinction entre auteur d’une plainte et victime d’une violation de droits de l’Homme. On peut introduire une plainte au nom d’une victime ou en son nom propre. Je vous donne juste un exemple intéressant. Il y a une organisation zambienne qui s’appelle Legal Resource Foundation (LRF) qui avait porté l’affaire de la déchéance de nationalité à l’ancien président Kenneth Kaunda devant la Cadhp. La LRF n’avait aucun lien avec M. Kaunda, mais sentant que l’homme était victime d’une violation de ses droits, elle a porté le sujet devant la Commission. C’est pour dire simplement qu’il n’y a pas de problème pour que des organisations comme la Raddho ou l’Ondh puissent saisir la Commission africaine. Demain, d’autres personnes ou victimes d’affaires couvertes par la loi Ezzan pourront poser leurs cas devant la Cadhp.

Ce n’est pas difficile de saisir la Commission ?

Ce n’est pas une chose difficile d’autant plus qu’il y a beaucoup de faits qui sont aujourd’hui effacés par cette loi d’amnistie. Par exemple, tous les événements survenus ou liés à la Casamance, notamment les cas de torture, sont désormais couverts, qu’ils soient imputables à l’Etat ou à la rébellion. Mais ils peuvent être portés devant les Tribunaux. Ces Tribunaux vont se déclarer incompétents, mais cela va nous faciliter les choses ; nous retournerons devant la Cadhp. Les portes ne sont pas fermées, c’est important de le souligner.

Vous gardez espoir alors ?

Non, la question n’est même pas de garder espoir ou pas. C’est que dans la procédure que nous avons déclenchée, la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples nous a dit en substance : il y a un élément qui n’est pas réglé, si vous remplissez cette condition, revenez me voir. Il y a dans notre démarche une des conditions qui n’a pas été remplie. Donc rien n’est clos, c’est juste renvoyé à plus tard et je vous assure que nous ferons de notre mieux afin que cette question de plainte soit réglée aussi rapidement que possible. Nous retournerons devant la Cadhp.

Quel a été votre argumentaire devant la Commission ?

L’argumentaire était basé sur le fait que la loi Ezzan procédait d’une décision du Conseil constitutionnel du Sénégal. L’article 96 de la Constitution dit que les décisions du Conseil s’imposent à toutes les Institutions administratives et juridictionnelles de l’Etat. Pour nous, il était donc impossible de porter cette affaire devant une juridiction. C’est le premier point. Ensuite, dans cette affaire, les députés qui avaient déféré la loi d’amnistie devant le Conseil constitutionnel avaient indiqué dans leur argumentaire qu’elle était contraire à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples. Par exemple, l’article 7.1.a de cette Charte dit que toute personne a le droit de faire entendre sa cause devant une juridiction. Or, la loi Ezzan interdit tout recours au pénal, tout au moins dans un certain nombre d’affaires.

Vous cherchiez quoi au fond ?

(…) Nous voulions que la Commission qui est la seule entité à interpréter la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, conformément à l’article 45 de ladite Charte se prononce sur cette question. Troisièmement, l’argument massue que nous avons avancé, c’est la lutte contre l’impunité en Afrique et au Sénégal. La Cadhp s’est déjà prononcée sur cette question de l’impunité et elle a une jurisprudence très claire à ce niveau. C’est pourquoi nous voulions qu’elle se prononce par rapport à la loi Ezzan et qu’elle renforce cette jurisprudence, car ce qui sera décidé pour cette loi-là sera pour tous les pays africains. C’était pour nous l’occasion de lancer un message très fort en direction de nos pays en leur disant : vous ne pouvez pas vous soustraire de quelque manière que ce soit à la Justice quand il y a violation des droits de l’Homme. C’était cela notre argumentaire.

Et que vous a opposé l’Etat ?

L’Etat du Sénégal nous a opposé pas mal d’arguments. D’abord et d’une part que le recours lui-même contre une loi constitutionnelle était une insulte aux Institutions de la République. Mais au cours des débats, ses représentants ont retiré cet argument. Leur deuxième argument, c’est que nous étions sans victime concrète, une personne victime de la loi Ezzan. Mais le vrai problème, c’était la question de l’épuisement des voies de recours internes. A ce niveau, l’Etat du Sénégal dit que la loi Ezzan permet toujours aux victimes d’avoir recours aux tribunaux civils pour faire valoir leurs droits civils. Or, dans cette affaire, quand on parle de violations des droits de l’Homme, on parle d’actes contraires à la Charte, donc criminels, qui ont été posés par des gens qui ont usé de tortures et qui doivent répondre de leurs actes. Il y a un principe général de droit pénal qui dit que le pénal tient le civil en l’état. Cela veut dire qu’il ne peut y avoir examen d’une affaire au civil si la question au pénal n’a pas été réglée. Dans le cas de l’affaire Ezzan, c’est justement ce problème qui s’est posé.

Certains de vos clients mettent en cause l’impartialité de membres de la Commission. Est-ce vrai ? Par exemple, que Madame Sawadogo est juge et partie à la fois.

Honnêtement, pour avoir représenté les victimes mais aussi pour avoir été un peu dans le système depuis près de 15 ans que je travaille avec la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples, je ne pense pas un seul instant qu’on puisse mettre en cause l’indépendance et l’impartialité de ses membres. La Cadhp (…) travaille en collégialité, ensuite ses décisions sont prises par consensus ou à la majorité. Et je puis vous assurer que la décision ainsi arrêtée est conforme à sa jurisprudence. Celle-ci était instable depuis un certain temps, mais on sait au moins qu’elle est maintenant fixée. On va donc à l’avenir prendre en considération cette dimension.

Vous prenez en charge l’affaire Talla Sylla ?

C’est trop dire car cette affaire n’a pas été encore réglée au niveau interne. Mais le jour où Talla Sylla estimera qu’au niveau local, les juridictions ne font pas preuve de diligence et que lui-même estime que nous pouvons l’aider au niveau de la Commission africaine, ce sera avec beaucoup de plaisir. Car notre travail, c’est également de faire en sorte que ce mécanisme soit utilisé au maximum et qu’à travers toutes ces affaires, on puisse avoir des interprétations positives de la Charte. Et ce sont des interprétations qui vont s’imposer au juge national qui sera tenu (…) d’en tenir compte.

L’Etat et le gouvernement ont extrêmement médiatisé cette décision de la Commission africaine. Quelle est votre impression là-dessus ?

C’est de bonne guerre, ce sont des politiciens qui sont à la veille d’échéances importantes pour eux. C’est aussi une manière d’utiliser cette décision dans un sens. Et le fait que la délégation sénégalaise devant la Commission africaine ait été composée de trois ministres (Ndlr : Me Mame Bassine Niang, Me Amadou Sall et Me Alioune Badara Cissé) donne une illustration claire de l’intérêt que l’Etat du Sénégal attache à cette affaire. Je pense que depuis la dernière session de la Cadhp, il y avait quand même quelques craintes du côté des autorités sénégalaises, parce que si la plainte avait été déclarée recevable, vous imaginez l’impact que cela aurait eu sur la suite (…) Mais il faut savoir raison garder. Ce n’est pas de gaieté de cœur que le Sénégalais porte plainte contre son Etat devant une juridiction internationale. On porte plainte justement parce qu’on estime que l’Etat a outrepassé ses pouvoirs. Par cet exercice, on amène l’Etat à se conformer non seulement à la Constitution mais également à ses engagements internationaux. <50>[email protected]

 



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