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Politique

Entretien avec l’imam de l’Université CAD sur les tensions politiques : «Le pouvoir et l’opposition kif-kif»

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Entretien avec l’imam de l’Université CAD sur les tensions politiques : «Le pouvoir et l’opposition kif-kif»

ENTRETIEN AVEC … Ahmadou KANTE, imam de la mosquée de l’Université de Dakar : «Entre le pouvoir et l’opposition, on va vers la confrontation»

Dans la grosse marmite qui bout depuis quelque temps dans l’espace public sénégalais, l’imam Kanté de la mosquée de l’Ucad met son grain de sel. Hier, au cours de son sermon à la prière du vendredi, il a tiré la sonnette d’alarme, fustigeant «les dérives autoritaires des autorités», «la provocation des membres de l’opposition», mais aussi invitant les journalistes à plus d’humilité. Du haut de son minaret, l’imam Kanté anticipe sur un danger qui pourrait menacer la paix au Sénégal. Entretien…

Vous avez fait un sermon pour dénoncer ce que vous appelez un pays qui marche sur la base de rumeurs, fustigeant l’attitude des politiques, journalistes, etc. Pourquoi un tel sermon ?

C’est un rôle, un devoir moral des leaders d’opinion, comme les imams, les prêtres, les leaders de toutes communautés, de lancer un discours qui sait anticiper sur des événements qui pourraient être regrettables. Il faut surtout éviter d’être médecin après la mort. Aujourd’hui, le pays est gangrené par un certain nombre de comportements, de déclarations, qui sont regrettables ; un pêle-mêle qui peut faire le lit de comportements incontrôlés du point de vue de l’opinion.

Que craignez-vous réellement quand vous tirez la sonnette d’alarme ?

Un recul de l’appartenance à un même bien public : le Sénégal. Aujourd’hui, du côté du pouvoir, il y a des dérives totalitaires, autoritaires. L’on sent un certain énervement. Du côté de l’opposition, on sent la provocation. Chacun veut mobiliser l’opinion autour de lui et cela va dans le sens d’une confrontation et non d’une recherche de la transparence et d’une gestion du bien public, pour les intérêts du peuple. Les positionnements personnels, les règlements de compte crypto-personnels, sont en train de l’emporter sur un débat public, les problèmes majeurs qui se posent au peuple sénégalais dans toutes ses composantes. Quand on voit ce qui s’est passé avec l’arrestation de Jean-Paul Dias, je ne saurai dire sur le plan juridique quelle est la valeur de cette manifestation, mais on voit déjà l’amalgame qui est fait : des musulmans qui ont arrêté un Chrétien, des problèmes de «mécréance». C’est très grave. Ce ne sont pas des positions responsables.

Vous soupçonnez une utilisation abusive de la religion à des fins politiques ?

Oui ! Les hommes politiques sont les premiers à dire qu’il faut un espace laïc, public, qui n’obéit pas à des considérations d’appartenance à des religions. Et ils sont les premiers à contredire ce principe. Dès qu’ils sont en difficulté politique, alors ils invoquent leur appartenance à une religion, balancent des versets pour s’en sortir. Donc, c’est une contradiction flagrante qui peut nous coûter cher, si on ne fait pas attention. Quand on manipule la religion, on est en train de manipuler les choses les plus sensibles chez les musulmans, les Chrétiens et d’autres communautés.

Vous dites, dans vos sermons, que personne n’est à l’abri de ces accusations. Expliquez-vous ?

Personne n’est épargnée, aujourd’hui. Il suffit que quelqu’un en veuille à votre personne pour qu’il fasse, comme on dit en wolof, du «Soss» (accusation gratuite : Ndlr), qui vous met en difficulté. Par exemple, il y avait un journaliste qui avait accusé un de ses confrères de pédophilie. Au tribunal, qu’est-ce qu’il a dit : «II a insulté le Président, moi aussi, je l’ai insulté.» Ces choses n’honorent pas le métier. Personne n’est à l’abri. Mieux vaut ne pas se défouler et rigoler, quand on attaque autrui. Car, il faut savoir que cette même méthode peut être utilisée contre vous. Demain, on peut dire à un imam, parce qu’il n’arrange pas le pouvoir, qu’il avait fait telle chose en telle année. Et ce qui me fait le plus mal, c’est que les gens font des déclarations publiques et quand on leur demande des preuves, soit ils citent une autre source, soit ils disent : «Je n’ai pas voulu dire ça.» C’est assez léger. On doit faire attention et mettre en avant l’intérêt général, le désintéressement.

Vous n’épargnez pas dans votre sermon les journalistes, pourtant ils ne font que leur boulot…

Oui. Je suis d’accord et je crois à la nécessité d’avoir ce beau métier. Mais, l’intoxication fait qu’il est aujourd’hui très difficile d’accéder à des choses transparentes. Donc, je peux bien comprendre qu’ils soient eux-mêmes dès fois dans le flou. Par contre, ce que je ne partage pas, c’est le travail qui n’est pas parfois professionnel. Il y a certains journalistes qui écrivent dans un style délibéré pour s’en prendre à une personne -je ne dis pas à une personnalité-, à une personne particulière, sans avoir eu la patience et la vigilance de mettre sur la même balance tous les éléments en sa faveur ou en sa défaveur, de bien faire une analyse critique de l’événement, de le situer dans un contexte. De plus en plus, on voit des journalistes qui sont plutôt des censeurs moraux, qui prennent une position contre quelqu’un, mais qui ne font pas une analyse dans une perspective de mise en contexte dans lequel est impliquée cette personne.

Certains journalistes n’aiment pas qu’on leur donne des leçons. Ne craignez-vous pas une réponse musclée à la mesure de vos critiques ?

Je m’y attends. Sinon, je ne partage pas cette manière de dire «donner des leçons». Nous devons tous rester humbles. Je suis imam et j’accepte qu’un journaliste me fasse la leçon, chaque fois, qu’il trouvera que j’ai tenu des propos qui peuvent être dangereux. Quelque part, c’est une façon de se cacher. Chaque fois qu’on critique des journalistes, les gens se braquent pour dire : «oui, je connais mon travail ; je sais ce que je fais». Pourtant, les journalistes font la leçon aux politiques. Ces derniers peuvent aussi dire : «Ne nous faites pas la leçon.» Il est bon que les gens se fassent la leçon. Aucune profession ne doit échapper à la critique populaire.

 



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