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Politique

ENTRETIEN AVEC LE PR KHADIYATOULAH FALL : Le nouveau discours du chef de l’Etat et le dialogue politique

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ENTRETIEN AVEC LE PR KHADIYATOULAH FALL : Le nouveau discours du chef de l’Etat et le dialogue politique

Pourquoi ? Le président Wade tient un discours de rupture avec le procès de quarante années de gestion socialiste. Il se projette dans une ère post-Alternance et se garde de se lancer dans toute querelle de paternité de l’Alternance avec les anciens alliés. Juste un propos à l’intention de ses concitoyens : « Faites-moi confiance, je reste l’homme de la situation ». La base de la confiance ? Rien d’autre que des actes. Dans un contexte marqué par « le cœur des Sénégalais (qui) balance entre satisfaction, déception et inquiétude ». Pourquoi une guerre des tranchées dans les discours à quelques foulées de la table où devra se dérouler, sous l’arbitrage du peuple, le dialogue politique ? Dans quelles conditions ce dialogue entre des acteurs fortement concurrencés par l’émergence de « nouvelles figures de crédibilité » comme le marabout, le lutteur, le chanteur et le footballeur professionnel pourra-t-il se faire et être une réussite ? Autant de questions auxquelles, le professeur titulaire Khadiyatoulah Fall de l’Université du Québec à Chicoutimi apporte, dans cet entretien, des réponses.

Professeur Fall, il a été célébré, ce 19 mars 2010, dix années de direction du pays par le président de la République, Me Wade. Que retenez-vous de cet événement ?

L’autocritique n’a pas été le point fort des discours, autant ceux du pouvoir que ceux de l’opposition. On peut comprendre qu’il y avait des enjeux de cohérence communicationnelle et le besoin d’éviter une erreur stratégique en assumant, à quelques semaines d’un dialogue politique et à deux ans d’une élection présidentielle déterminante, que l’on n’a pas bien réussi ou que l’on n’a pas été une opposition efficace. Il fallait, pour la suite des évènements, confirmer des positions. Il fallait affirmer des convictions. Ces discours, qui devancent le dialogue politique maintes fois annoncé mais qui tarde à trouver les conditions de son actualisation, indiquent déjà que ce dialogue ne sera pas facile. Est-ce que l’on ne va pas assister à un dialogue politique qui ne fera que donner bonne conscience ? Il y a eu des engagements et, aujourd’hui, aucun des acteurs concernés ne veut être celui qui, devant le peuple et les chefs religieux, porter l’odieux du refus de donner une chance à la décrispation politique. Mais, en réalité, le pouvoir et l’opposition sont dans une guerre de tranchées et les discours d’ouverture que l’on entend d’un côté comme de l’autre, qui donnent l’impression d’un croisement discursif, ces discours, lorsque bien analysés, portent en creux un parallélisme des voix où chacune poursuit sa propre téléonomie.

Croyez-vous que Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amin puisse faire aboutir ce dialogue ?

Très sincèrement, je lui souhaite bonne chance. Déjà, il y a trois ans, dans différents quotidiens du Sénégal, j’attirais l’attention sur le recyclage discursif continuel du mot dialogue dans l’espace public avec ses différentes prédications : religieux, social, politique. J’indiquais que tout dialogue politique nécessite un opérateur modal essentiel qui est la confiance. Je décrivais aussi l’espace politique sénégalais comme un espace en crise de confiance. Je disais que le Sénégal semblait vivre une crise de la culture de la confiance. Je mentionnais aussi que la confiance n’excluait pas une certaine dose de méfiance et même que la méfiance pouvait être une attitude citoyenne. Mais, lorsque la méfiance réciproque est devenue la règle, un pays tombe dans l’impasse communicationnelle. Le défi de Serigne Abdou Aziz est de construire, de susciter cet opérateur modal du dialogue qu’est la confiance entre les acteurs.

Comme l’a dit tout récemment l’universitaire et leader politique canadien Ignatief, les citoyens ne voient plus dans leurs élus ceux qui peuvent incarner leurs espoirs et calmer leurs inquiétudes car ils sont plus préoccupés à être élus qu’à être utiles. On sent de plus en plus au Sénégal un déclassement des anciens modèles de référence (politiciens, fonctionnaires, intellectuels, sages, immigrés), de même qu’ ne crise des valeurs et l’émergence de nouvelles figures de crédibilité, de nouvelles alternatives d’autorité, de réussite et de socialisation tels le marabout nouveau « de la vie politique et médiatique », « le lutteur professionnel », le chanteur « populaire », le footballeur « professionnel ». Et dans un tel contexte de redéfinition des modèles, un marabout comme Serigne Abdoul Aziz Sy jouit peut-être d’un capital symbolique qui peut cristalliser l’attention populaire, ce qui peut pousser les acteurs politiques à s’asseoir à une même table.

Donc les chances de réussite de la médiation de Serigne Abdoul Aziz sont bonnes ?

Il faut distinguer la confiance interpersonnelle de la confiance institutionnelle. La confiance interpersonnelle découle de modes d’engagement d’un individu envers un autre. Elle résulte de codes relationnels liés aux proximités affectives communautaires, familiales, amicales, religieuses, culturelles qui naissent des interactions sociales quotidiennes. A partir de ces proximités, se font des évaluations individuelles et communautaires qui permettent de définir la fiabilité interpersonnelle. Le Sénégal, comme je l’ai dit tout à l’heure, semble vivre un désenchantement face à cette fiabilité interpersonnelle, du fait même de la crise des valeurs. Ce sont les constituants de cette fiabilité interpersonnelle entre les acteurs du dialogue que le marabout devra activer et ce ne sera pas facile. Il faut admettre qu’aujourd’hui, ces constituants sont devenus incertains, fluctuants, poreux.

Serigne Abdoul Aziz peut-il aider à asseoir les conditions d’une confiance institutionnelle ?

Je pose également cette question car la confiance institutionnelle amène à gérer les relations de confiance à un niveau impersonnel. La confiance institutionnelle repose sur une fiabilité institutionnelle qui garantit objectivement des droits et des procédures de consentement éclairé dont la valeur réside justement dans le fait qu’ils sont déliés de l’influence des uns ou des autres. La confiance ici existe parce que l’on se fie à un arsenal de droits, d’obligations et de procédures qui s’imposent et sécurisent. C’est lorsque la fiabilité interpersonnelle s’est fortement effritée que les acteurs individuels et sociaux se réfugient dans la « judiciarisation » de la confiance.

Le magistrat Doudou Ndir a été identifié comme un médiateur possible dans le cadre du dialogue politique, pendant qu’une partie de l’opposition propose Babacar Guèye. Qu’en pensez-vous ?

Je ne saurai répondre. Ce qui est certain, c’est qu’il faut un arbitre qui connait le jeu électoral et qui est à l’aise sur le terrain du droit, des règlements, de l’éthique, des procédures et du respect des procédures. Le dialogue politique doit s’engager principalement autour de l’instauration d’une fiabilité des institutions, de la fiabilité des personnes qui en sont responsables, ainsi que de la fiabilité des outils d’enregistrement et de traitement des données (fichier électoral par exemple) afin que, si l’on parle du processus électoral, aucune ambiguïté ne puisse subsister. La confiance qui peut réellement pacifier l’espace politique ne réside plus fondamentalement dans la relation subjective à autrui, mais dans l’existence de références médiatrices impersonnelles, de marqueurs spécifiques objectivement identifiables et évaluables.

Si nous revenions aux discours du 19 mars 2010, qu’avez-vous retenu des propos du président Wade ?

J’ai recueilli tous les énoncés produits dans la presse nationale sur cet événement. Je n’en ai pas encore fait une analyse systématique. Donc, j’avance des remarques préliminaires. Ce qui m’intéresse, c’est le fonctionnement des énoncés et ce qu’ils donnent à comprendre. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement positif ou négatif sur les propos du président.

Le président a été fort présent dans l’espace médiatique et il s’est exprimé sur différents dossiers qui ont fait l’objet d’intéressantes analyses. Je vais me concentrer sur deux ou trois faits qui ont frappé mon écoute et ma lecture et qui n’ont pas beaucoup retenu l’attention. Les propos du président semblent traversés par une volonté de construire un éthos, une image de soi pour faire percevoir une identité différentielle dans l’espace politique sénégalais passé et actuel. Le président cherche à s’affranchir de la mémoire de l’Alternance pour se situer dans une ère post-Alternance. Le président a voulu s’inscrire dans un discours de rupture, de démarcation face aux discours habituels sur l’Alternance. Lorsque le président dit qu’il ne parlera plus des réalisations des Socialistes, sinon pour expliquer aux étrangers, cela n’est pas une simple boutade. Le président laisse plutôt entendre que l’argument de renvoi continuel à ce que le pouvoir désigne comme « l’inaction des Socialistes » durant quarante années, cet argument a fait son temps et qu’il n’est peut-être plus accrocheur, porteur d’avenir pour un grand nombre de citoyens, ni d’une autorité persuasive auprès d’un grand nombre de jeunes qui n’ont pas connu l’ère socialiste et qui voteront pour la première fois en 2012. Le président Wade a souvent répété que les Socialistes ne lui ont rien laissé. Ses ministres, députés et militants reprennent cette remarque. Mais quel projet de dépassement y a-t-il alors à toujours se comparer à quelqu’un qu’on qualifie comme n’ayant rien fait ?

C’est donc une page tournée, le procès du bilan des Socialistes ?

Les propos du président paraissent orientés par le désir de tourner définitivement la page socialiste, d’effacer la référence socialiste des mémoires. Cette dénégation de l’autre, socialiste, se retrouve dans la claire affirmation d’une rupture d’idéologie et de faire entre lui et le président Senghor, personnalité politique historique, qui continue encore de nourrir fortement la mémoire des Socialistes et qui reste présent dans l’imaginaire de beaucoup de Sénégalais. Le président Wade veut introduire un nouvel ordre de discours qui rompt d’avec l’intertexte habituel et qui ne trouve sa cohérence que dans le renvoi à la vision de Wade. C’est comme si le président voulait poser un discours fondateur. Le président Wade se présente en compétition avec nul autre que lui-même. Ce que le président Wade semble dire, c’est que : les Socialistes ne doivent plus être considérés comme son étalon de comparaison. Il souhaite la fin d’une fixation historique pour permettre l’émergence d’une autre conscience historique.

Lorsque le président Wade renvoie à ses anciens alliés de mars 2000, on retrouve le même désir d’affranchissement, de rupture avec la mémoire de l’Alternance. Car l’alternance, c’est aussi le combat mené avec les anciens alliés du président Wade. Le président tente de couper court à la querelle de légitimité et au conflit de paternité sur la victoire de mars 2000 qui l’opposent à ses anciens alliés. Il y a une volonté de banalisation et en même temps de dépassement du discours polémique sur la paternité de l’alternance. C’est ce qu’il faut comprendre de ses propos lorsqu’il soutient que l’histoire lui a donné raison puisque le départ des anciens alliés lui a permis de réaliser ses grands projets.

Quels sont les enjeux de cette nouvelle démarche communicationnelle ?

Plusieurs propos du président visaient à asseoir une nouvelle historicité à partir de laquelle il aimerait qu’on comprenne et interprète le destin du Sénégal. Le président était ainsi dans un exercice d’occupation des imaginaires, de travail du symbolique et de déconstruction de mythes. Le président Wade ne produisait pas un discours de bilan. Lorsqu’il dit qu’il ne parlera plus aux Sénégalais de ses réalisations, car ces derniers ont vu, le président veut bien sûr renvoyer à une satisfaction qu’il croit déceler chez les Sénégalais, mais plus essentiellement il indique un enjeu qu’il juge déterminant : la guerre des images et de la conquête du sens et des représentations. Car ce serait nier la réalité que de ne pas se rendre compte que le cœur des Sénégalais balance entre satisfaction, déception et inquiétude et que l’opposition a marqué des points dans sa communication de sape de l’image du président Wade, surtout au niveau international.

Et pour revenir et conclure sur la notion de confiance dont nous parlions plus tôt, les propos de Wade sont marqués par une quête, une demande de confiance. D’où la recherche d’un impact sur les imaginaires. Wade tentait surtout d’inspirer confiance autour de ce qu’il propose comme avenir pour le Sénégal. Wade est dans une communication de conquête ou de reconquête d’une confiance dans un moment où évidences, incertitudes et inquiétudes se bousculent fortement au portillon. « Faites-moi confiance, je reste l’homme de la situation », semble dire Wade. Comme si d’autres voix lui renvoyaient la question : « Mais que veut vraiment Wade ? Où Wade veut-il nous mener ? ».



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