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Politique

ENTRETIEN AVEC...Robert SAGNA, ancien ministre de l’Agriculture, maire de Ziguinchor :«L’inconvénient avec Wade, c’est qu’il court plus vite que tout le monde»

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ENTRETIEN AVEC...Robert SAGNA, ancien ministre de l’Agriculture, maire de Ziguinchor :«L’inconvénient avec Wade, c’est qu’il court plus vite que tout le monde»
ENTRETIEN AVEC...Robert SAGNA, ancien ministre de l’Agriculture, maire de Ziguinchor : «L’inconvénient avec Wade, c’est qu’il court plus vite que tout le monde»

Robert Sagna, actuel maire de Ziguinchor, secrétaire général du Rassemblement pour le socialisme et la démocratie/Takku Defaraat Sénégal (Rsd/Tds) a été ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture sous le régime socialisme. Doté d’une expérience avérée en matière agricole, il décrypte ici, entre autres, le plan du Président Wade, dénommé la Grande offensive pour l’agriculture, la nourriture et l’abondance (Goana). S’il juge bon qu’un chef d’Etat ait de l’ambition pour son pays, il trouve aussi que Me Wade a un inconvénient : «Courir plus vite que tout le monde.»

Le Président Wade a lancé la Goana pour assurer une autosuffisance alimentaire. Quelle appréciation faite-vous par rapport de son projet ?

On ne pas reprocher à un chef de l’Etat d’avoir des ambitions pour son pays. L’initiative du chef de l’Etat, c’est en fonction de la conjoncture que nous avons observée. Aujourd’hui, il est obligé de réagir parce qu’il y a bien une crise alimentaire au niveau du Sénégal. Ce qu’il faut noter, c’est que cette crise n’est pas propre au Sénégal. C’est une réalité. Mais cela ne dispense pas les Etats, chacun en ce qui le concerne, de prendre des mesures idoines pour y face. C’est vrai, c’est une crise internationale, non imputable directement aux différents chefs d’Etat, chacun dans son pays. Mais il incombe à chacun, de réagir en fonction de ses réalités. L’initiative du président de la République va dans ce sens. Maintenant, il s’agit de voir si ce qu’il propose est réalisable ou pas.

Justement, pensez-vous, en tant qu’ancien ministre de l’Agriculture, de surcroît ingénieur agronome, que cela est réalisable compte tenu du délai et de la quantité indiquée ?

Mon point de vue, c’est que ce qu’il propose, est réalisable. Il a placé la barre très haut, mais a manqué de réalisme simplement. Ce qu’il propose ne peut pas se réaliser pour la saison 2008-2009. Ensuite, il y a d’autres priorités plus faciles à faire que celles qu’il a dégagées dans son fameux programme. Un exemple : il est plus facile de se préoccuper du mil et du sorgho que du maïs dans une crise comme celle-là. D’abord, il est plus facile, compte tenu de la situation écologique du Sénégal, de cultiver à une large échelle du mil ou du sorgho que du maïs. En plus, le mil et le sorgho occupent une bonne place dans l’alimentation de nos populations. Ensuite, le manioc dont il veut 3 millions de tonnes, n’est pas un produit consommé couramment chez nous. En plus, le maïs est une culture saisonnière. Si vous plantez le manioc aujourd’hui, il ne faut attendre octobre pour le récolter, mais au moins un an. Ensuite, les semences sont difficiles à conserver. On veut atteindre 3 millions de tonnes de manioc, là où nous produisons 150 mille tonnes. Je ne pense pas que cela soit faisable dans les délais indiqués.

A vous entendre, il n’y a pas eu d’étude faite au préalable ?

Je n’en connais pas. Il y a les délais qui s’imposent à nous, compte tenu de l’hivernage et des conditions en amont qu’il faut remplir en matière d’intrants ; ces conditions-là ne peuvent pas être remplies de telle sorte qu’on ne puisse pas atteindre les objectifs que voilà. Autrement dit, vous ne pouvez pas produire 500 mille tonnes à l’hivernage prochain.

Le président de République ambitionne d’assurer au Sénégal une autosuffisance en riz, d’ici 6 ans. Est-ce faisable ?

En six ans, c’est faisable. Il n’y a aucune raison, si nous y mettons les moyens, si nous sommes organisés, pour que le Sénégal ne puisse pas régler son problème alimentaire d’ici six ans. Il suffit d’en avoir la volonté et les moyens.

Je suis rentré du Mali, il n’y a pas longtemps. Le Mali, l’année dernière, a produit 800 mille tonnes. Il a décidé, cette année, de produire 1 million 650 mille tonnes de riz paddy ; ce qui fait 1 million de riz blanc. Le Mali va consommer 900 mille tonnes, il en restera 100 mille tonnes qu’il pourra exporter. De 800 mille tonnes, il est passé à 1 million 650 mille tonnes. Mais pour cela, il a dégagé plus de 310 milliards et aussi 27 milliards et demi de subventions pour les intrants. Et avec l’Office du Niger, le Mali est capable de multiplier par deux sa production de l’année dernière. Mais, c’est des mesures concrètes, préparées, depuis un certain nombre d’années, prises à l‘avance dans un plan cohérent. Le Mali a prouvé ce qu’il était capable de faire parce qu’il a dégagé les moyens qu’il faut. La structure existe, la volonté politique suit. Or, ce qui n’est pas tout à fait clarifié sur le schéma du président, c’est quels sont les moyens, les délais que l’on se donne. On n’a pas éclairci tout cela. Mais, quant aux objectifs, tout au moins pour le riz, produire 600 mille tonnes par an est tout à fait faisable. Mais pour le manioc et le maïs, je reste dubitatif.

Au cours du dernier Bureau politique de votre parti, vous dites qu’il faut au préalable régler la question du foncier et du financement. Pouvez-vous vous expliquer?

Pour avoir les rendements qu’il faut et le tonnage qu’il faut, ce n’est pas par le système de la production du riz que nous pouvons atteindre l’autosuffisance alimentaire. Cela veut dire quoi ? Si on veut passer du stade de l’agriculture pure à ce que j’appelle une agriculture moderne, cela ne peut se faire sans la maîtrise de l’eau. Les pays qui ont réussi à atteindre l’autosuffisance, au moins, irriguent 25% de la superficie qu’ils cultivent. Aujourd’hui, le potentiel d’irrigation se trouve au Fleuve et en Casamance. Les terres du Fleuve comme celles de la Casamance appartiennent à qui ? Si vous avez de l’argent, et que vous voulez aller au Fleuve pour contribuer à produire en grande intensité du riz, vous allez vous confronter au problème de terres. Et vous n’êtes pas prêt à mettre des milliards sur une terre qui ne vous appartient pas.

Mais le Président Wade avait, lors de sa rencontre avec les préfets au Méridien, demandé à ces derniers de libérer les terres…

Ce n’est pas un problème qui se règle en 24 heures. Avant notre départ du gouvernement en 2000, en rapport avec le Cncr, nous avions déjà posé ce problème. Nous avions pratiquement réglé cette question avec des propositions qui devaient être prises sous forme de lois pour corriger ce problème foncier par rapport au domaine national et permettre à ceux qui sont prêts à investir dans le foncier, de pouvoir bénéficier de terres, les garantir pour avoir des prêts, les hypothéquer et, pourquoi pas, pour que leurs enfants puissent en hériter. Si ces conditions ne sont pas réunies, aucun agrobusiness ne peut s’opérer parce qu’il n’y a pas, en aval, une thérapie. Ça, c’est la partie à irriguer. Maintenant, pour les cultures pluviales, pour un hivernage de quatre mois, nous ne pouvons pas y mettre des cultures qui exigent cinq mois comme cycle végétatif. C’est pourquoi, nous, à l’époque nous avions mis les moyens dans le domaine de la recherche dans tous le pays. De Saint-Louis jusqu’à Ziguinchor, on a mis des variétés adaptées à chaque zone écologique. Par exemple, pour l’arachide, nous avons des variétés du Nord jusqu’à Sud qui s’adaptent, qui ont un cycle, plus ou moins, court pour la zone. C’est la raison pour laquelle, vous ne pouvez pas faire pousser au Sénégal tout ce que vous voyez. En matière de diversification des cultures, tout ce qui peut pousser au Sénégal, nous l’avons essayé. Tout ! Dans la zone l’Afrique de l’Ouest, aucun pays n’a réussi la diversification mieux que le Sénégal. Même le blé, nous l’avons déjà expérimenté au Fleuve. Nous avions un rendement de 3 tonnes par hectare. Vous ne pouvez pas aller chercher du blé pour faire une culture pluviale. Si vous comptez seulement sur la pluie pour faire du blé, ce n’est pas possible. Si vous voulez faire pousser du tournesol au Sénégal, vous n’y arriverez pas parce qu’il y a des températures, de la chaleur, de l’humidité qui font qu’on ne peut pas faire tout que l’on veut, là où l’on veut. Regardez la culture maraîchère ! Là, nous pouvons faire des miracles, si nous y mettons le maximum de moyens. Aujourd’hui, nous exportons 15 mille tonnes, ce n’est pas suffisant. Il faut intégrer l’agrobusiness dans notre agriculture et ne pas faire de complexe. Sur ce plan-là, le président de la République est un libéral ; il est tout à fait acquis à cela. Lorsque vous importez des machines -je ne sais pas d’où- quelle que soit la quantité de machines, vous les remettez entre les mains de paysans qui ne sont pas préparés aux problèmes d’intendance, du service après-vente, des pièces de rechange. Les tracteurs indiens ne sont, d’ailleurs, pas adaptés au sol du fleuve, puisqu’ils sont de puissance faible, moins de 80 chevaux. Donc, il faut étudier tout cela sérieusement.

Aujourd’hui, je comprends que le Président soit rattrapé par cette crise mondiale, mais, il faut se hâter lentement. Ses objectifs ne sont pas impossibles à réaliser, mais dans un moyen et long terme. Et le choix de la spéculation doit s’adapter à nos conditions climatiques. Il n’y a que les techniciens qui peuvent le faire. Il faut que ses ministres lui dise: «ça, M. le Président, nous ne pouvons pas le faire. Cet objectif, nous pouvons l’atteindre, mais dans tel délai. 3 millions de tonnes de manioc, nous pouvons le faire, mais dans deux ans. 2 millions de tonnes de maïs, nous pouvons l’atteindre, mais pas dans un hivernage.» Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

Le Président Wade a déclaré que l’Inde est prête à lui fournir 600 mille tonnes de riz par an. Croyez-vous à ces promesses ?

Le Président qui l’a annoncé ne peut pas le faire à la légère. Ce que je salue, c’est la démarche. Lorsque nous sommes directement liés à l’Extérieur pour manger, il faut envisager des contrats d’Etat à Etat pour garantir l’approvisionnement. Les Philippines, le Vietnam par rapport à l’Indonésie, ont des contrats annuels, de quotas et de prix négociés avec les gouvernements fournisseurs. Avant que le Vietnam n’exporte son riz, il faut que son Etat s’assure qu’il a respecté les contrats signés avec l’Inde, l’Indonésie et les Philippines. C’est une excellente chose que le président de la République pense à avoir en riz, vis-à-vis de l’Inde, des contrats de longue durée, s’assurer de l’approvisionnement en quantité et en qualité. De telle sorte qu’avant son exportation, que l’Inde puisse dire : «J’ai un engagement vis-à-vis du Sénégal. Je dois lui fournir telle quantité de riz. Donc, cette quantité est mise à notre disposition en réserve pour le respect du contrat.» Il ne faut pas laisser seulement les importateurs privés régler cette question (…)

Le Président Wade avait lancé, il y a quelque temps, le plan Reva dont l’objectif est aussi de développer l’agriculture. Aujourd’hui, il nous présente la Goana. Est-ce que ce n’est pas là un plan de plus ?

Pour le plan Reva, les dés étaient pipés dès le départ. Quand on veut fabriquer des paysans, on ne le fait pas pour la simple volonté de le faire. On ne s’improvise pas agriculteur. Notre pays est pays soudano-sahélien et on ne peut y faire pousser n’importe quoi. Celui-là qui dirige notre pays, est une boîte à idées qui foisonnent. Là où il pêche, c’est dans l’application. Un chef de l’Etat qui pousse son pays à obtenir des résultats, vers une production pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, c’est excellent. Mais, cela ne suffit pas. Il faut que ses ministres et les techniciens soient mobilisés dans ce sens, autour de lui. L’inconvénient avec le président Wade, c’est qu’il court plus vite que tout le monde. La cadence qu’il veut imprimer au rythme de production, dépasse les possibilités et les réalités de notre pays. Ce ne sont les idées qui sont mises en cause, c’est la manière de les réaliser qui pose problème. Quand on a la formule, il reste à la réaliser. Le Président est un homme audacieux, il faut le reconnaître, mais les gens ne sont pas à son rythme. Il y a des contraintes exogènes qui s’imposent à nous. On ne peut pas franchir les étapes sans tenir compte des réalités. On ne peut également les sauter. Malheureusement, il faut reconnaître que les Sénégalais ne sont pas toujours courageux et travailleurs. Ce que j’ai vu au Mali m’a épaté.

Me Wade a fait une sortie au vitriol contre la Fao que dirige Jacques Diouf. Quelle est votre appréciation ?

La Fao est une grande structure des Nations-Unies, la plus grande organisation spécialisée dans la nourriture et l’agriculture. A l’intérieur de cette Fao, il y a beaucoup d’experts. Il y a des conseils à la fois techniques, administratifs, structurels, organisés pour voir comment accroître la production et l’alimentation au niveau mondial. Les sources d’approvisionnement de la Fao proviennent des cotisations des Etats. Et ce sont les Etats-Unis qui contribuent le plus. S’il y a des projets ponctuels, il faut recruter des experts qui ne sont pas toujours les fonctionnaires de la Fao pour contrôler et examiner en amont comme en aval. Ces experts-là, il faut les payer. Et la Fao prélève de son financement pour les payer. Généralement, cela ne dépasse pas 10% pour la Fao. C’est un procédé courant. Toutes les Ong procèdent de la même façon. Certains prélèvent, d’ailleurs, beaucoup plus que les 10% de la Fao. Jacques Diouf a essayé d’expliquer que pour financer des projets, il faut recruter des experts pour l’exécution de programmes qui n’ont rien à voir avec les permanents de la Fao qui, eux, sont payés dans le cadre d’un budget ordinaire. Le pauvre Jacques Diouf ne méritait pas un tel traitement !

 



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