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Politique

Général Mamadou Mansour SECK (ancien chef d'Etat major général des armées) : ‘Je suis contre le vote des militaires’

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Général Mamadou Mansour SECK (ancien chef d'Etat major général des armées) : ‘Je suis contre le vote des militaires’
Le vote des militaires ? Une question qui n'emballe guère le général Mamadou Mansour Seck, ancien chef d'Etat-major des armées. Selon l'ancien patron de l'armée sénégalaise, le mieux, c'est de laisser l'armée dans les casernes et ne pas la mêler au jeu politique. Parlant de sa mission en tant qu'ambassadeur du Sénégal aux Etats-Unis, le général Seck considère que son bilan a été positif. Entretien.

Wal Fadjri : Le président de la République a décidé de soumettre à l'Assemblée nationale un projet de loi instituant le vote des militaires. Que vous inspire ce projet de réforme de la loi électorale ?

Mamadou Mansour Seck : C'est un problème très délicat qu'il faudrait étudier à fond avant de le mettre en œuvre, d'autant que les militaires ne sont pas éligibles.. A l'Etat-major des armées, nous savions que sur les 8 500 bureaux de vote qui existent au Sénégal, les éléments de la gendarmerie et de la police n'étant pas suffisants, supervisent les bureaux des grandes villes. Tout le reste, dans la campagne, c'est en général l'armée avec un caporal et quelques civils qui supervisent les bureaux de vote. Le fait qu'on nous ne votions pas, nous donnait quand même la possibilité de ne pas être juge et partie, d'être en dehors du jeu politique. Le mieux, à mon sens, c'est de laisser l'armée dans les casernes, la laisser faire le travail qui lui revient et faire respecter fondamentalement la séparation des pouvoirs. L'armée sénégalaise n'a jamais pris le pouvoir, même lorsque notre pays a vacillé deux ou trois fois, parce que c'est une armée républicaine qui connaît la séparation des pouvoirs. Ce sont des gens qui ont une solide formation et qui ont une haute idée de leur mission. Il faut, à mon avis, préserver cet acquis. Il faut avoir à l'esprit de garder la cohérence et la cohésion à l'intérieur de l'armée Il faut, par rapport à cette question, être prudent et très vigilant. Ce qui risque de se passer avec le vote de l'armée, c'est de voir dans un régiment ou dans un corps, des gens être dans un parti et puis le chef de corps, dans un autre. Cela crée déjà un climat de suspicion et un effet de zizanie. Jusqu'ici, tout citoyen qui choisit d'intégrer l'armée fait son choix en connaissance de cause, en sachant que c'est un sacerdoce, mais avec des limites, qu'il y a des règles à respecter et une discipline à suivre. Celui qui veut voter, je pense qu'il peut rester civil ou attendre d'être à la retraite, etc.

Wal Fadjri : Si votre avis avait été recueilli là-dessus, vous auriez dit quoi ?

Mamadou Mansour Seck : J'aurais dit non, carrément non, trois fois même non (rires). Cependant, je suis prêt à participer à une étude sur la question et voir en profondeur ce que d'autres pays ont fait dans ce sens. Si l'on considère l'exemple de la Chine, il y a eu des problèmes. On a vu des régiments ou des bataillons où les chefs de corps faisaient partie du bureau politique. Avec toute la puissance et l'autorité que leur confère leur rang, il y a problème. Vous vous imaginez, par exemple lorsqu'un colonel parle et que son subordonné prenne le contre-pied de ses propos ? C'est ce genre d'erreurs qu'il faut absolument éviter.

Wal Fadjri : Pourtant, dans d'autres pays démocratiquement avancés, les militaires votent sans couacs...

Mamadou Mansour Seck : (Il nous coupe). Ce n'est pas pareil. Il faut analyser et étudier la question en tenant compte de nos propres valeurs, mais ce n'est pas parce que A l'a fait, que B doit le faire automatiquement. Chez nous, qu'on le veuille ou non, on n'est pas aussi quitte que le militaire français qui quitte son corps, en civil, qui part voter. En France, personne ne sait que tel chef d'Etat-major est de tel parti politique ou tel autre, personne ne le sait. Par contre, chez nous, un chef d'Etat-major, même en civil, ne peut aller voter sans que l'on sache à quel parti politique il appartient. Ce sont des réalités différentes et il faut faire avec.

Wal Fadjri : Et que pensez-vous de la féminisation de l'armée ?

Mamadou Mansour Seck : Là également, il faut faire très attention. Je signale que, dans beaucoup de pays, la féminisation a été demandée par le parlement et non par les commandants de troupes. Il faut reconnaître qu'il y a des métiers qui, par essence, sont destinés aux hommes. Le service militaire en fait partie. Tenez, vous proposez, par exemple, des exercices physiques à faire à une cinquantaine d'hommes et de femmes, sur les dix qui vont réussir, il n'y aura qu'une ou deux femmes. Il s'y ajoute qu'en enrôlant les femmes, on peut créer des troubles au sein de l'armée. Si l'on considère l'agressivité qui caractérise le militaire, sexuellement parlant, il est fort à craindre que la féminisation de l'armée ne crée des désastres. L'exemple de la guerre du Golfe est patent. On a tout dit sur cette guerre, sauf le nombre élevé de femmes qui ont attrapé des grossesses du fait des militaires. A mon avis, la féminisation de l'armée n'est pas souhaitable.

Wal Fadjri : Quel est votre avis sur le nouveau changement intervenu à la tête du Cemga ?

Mamadou Mansour Seck : Je félicite le nouveau chef d'Etat-major, qui a besoin de beaucoup de chance. Le général Abdoulaye Fall a été sous mes ordres, je lui souhaite beaucoup de succès dans sa mission.

Wal Fadjri : Vous avez été, pendant neuf ans, ambassadeur du Sénégal aux Etats-Unis d'Amérique. Cela a-t-il été facile pour le militaire que vous êtes de se muer en diplomate ?

Mamadou Mansour Seck : Je commencerai par vous raconter une anecdote. Lorsque je suis arrivé à Washington en 1993, je me suis demandé qu'elle est la différence entre l'armée et la diplomatie ? Dans ma tête, mon raisonnement était le suivant : dans l'armée, deux plus deux ça fait quatre, mais dans la diplomatie, deux plus deux, un jour c'est trois et un autre jour, c'est sept. En définitive, on a l'impression qu'il y a une différence entre la diplomatie et l'armée d'une manière générale. Mais, je vous signale que dans un journal aussi sérieux que Le Monde, en France, on traite la diplomatie et les questions militaires sur les mêmes pages. En fin de compte, il faut comprendre que les deux s'occupent des relations entre Etats. Quand il s'agit des relations cordiales, c'est la diplomatie qui joue, mais lorsqu'il est question de relations heurtées et de conflits, il revient à l'armée de les prendre en charge. C'est pourquoi, j'ai toujours préconisé que diplomates et militaires se donnent la main, échangent des informations sur des potentiels ennemis, sur la connaissance des pays où ils ont exercé par rapport à nous qui restons sur le territoire national. C'est important que l'un passe le relais à l'autre. Cela dit, je pense que la démarche du Sénégal qui consiste à nommer ambassadeurs des officiers généraux qui ont été chef d'Etat-major général des armées, est une bonne chose. Ce ne sont pas des personnes qui partent comme ça, ex-nihilo. Ils connaissent bien les structures de l'Etat, les problèmes de sécurité, ce sont des gens qui ont été proches du président de la République et pour toute question de sécurité, ils sont les conseillers du chef de l'Etat. Voilà autant d'atouts qui peuvent faire de nous de dignes représentants de notre pays partout à l'étranger.

Wal Fadjri : Sur le plan diplomatique, Washington est-elle une particularité ?

Mamadou Mansour Seck : Oui, oui. Washington est une particularité. Je crois savoir qu'en Europe, si vous allez en France par exemple, souvent vos correspondants sont au Quai d'Orsay. A Washington, cela dépend évidemment de la personnalité de l'ambassadeur. Vous pouvez avoir affaire avec le Pentagone, surtout lorsqu'on a un background militaire. Mais, on peut aussi avoir à traiter, surtout quand on est un pays en voie de développement, avec des ministères comme le ministère de l'Agriculture, le ministère du Commerce. C'est ainsi, par exemple, que pendant quatre ou cinq ans, nous nous sommes battus pour que l'Agoa, qui est la seule loi pour la croissance et le progrès en Afrique, avec notamment des échanges et dédouanement des marchandises africaines en direction de l'Amérique, puisse voir le jour. Il fallait faire du lobbying avec les Congressmen pour y arriver. Il fallait donc faire un peu la cour au staff des Congressmen qui est en fait la mémoire du Congrès, qui établit son agenda.

Wal Fadjri : Quels rapports l'administration américaine entretient-elle avec les chancelleries étrangères ?

Mamadou Mansour Seck : Des réunions périodiques sont organisées et le Département d'Etat réunit les diplomates par groupe d'intérêt, par groupe géographique. C'est ainsi qu'on réunit séparément les Européens, les Africains, etc. Au niveau de chaque groupe, il y a un doyen et tous les groupes sont coiffés par un doyen général. J'ai été, par exemple durant les quatre dernières années, le doyen du corps diplomatique pour l'Afrique de l'Ouest. Nous étions bien structurés et travaillions en parfaite collaboration. Lorsqu'on nous parlait d'énergie, nous allions à Houston, quand on nous parlait de Sillicon Valley, nous allions en Californie. Il faut y aller et savoir vendre son pays. Il était important pour nous, par exemple, de faire comprendre que le Sénégal est pratiquement le seul pays africain où les militaires n'ont jamais pris le pouvoir, que le Sénégal est le pays de Léopold Sédar Senghor. Ou encore, faire comprendre que la plupart des esclaves noirs y sont passés, ce qui crée un lien direct entre nous et les Etats-Unis. Cela a d'ailleurs amené le président américain Bill Clinton à faire un voyage symbolique au Sénégal en 1998, pour présenter ses excuses. A Gorée, il avait dit en substance ceci : ‘Voici la porte du non retour d'où sont parties des personnes dont les enfants font aujourd'hui la fierté de la plus grande démocratie du monde’. C'était une revanche de l'histoire.

Wal Fadjri : Quels sont les points que le Sénégal a eu à gagner sur le plan diplomatique lors de votre séjour à Washington ?

Mamadou Mansour Seck : Vous savez, c'est très difficile de parler de soi. Il faudra peut-être poser la question aux autres. Mais ce qu'il faut retenir, c'est que mon petit pays avait le tort d'être un pays non seulement francophone, mais également un pays où il n'y a pas de pétrole. Quand je suis arrivé aux Etats-Unis, j'ai eu donc l'impression que c'était un pays de non intérêt pour les Américains. Il a fallu faire de l'information, de l'éducation. Nous voulions par exemple, que lorsqu'on parle du Sida en Afrique, qu'on ne dise pas que partout dans ce continent, il y a une prévalence de 20 %. Il fallait donc, à ce sujet, faire comprendre que nous, au Sénégal, nous avions, depuis 1986, entamé une politique préventive qui nous a permis de ne pas dépasser la prévalence de 2 %. C'était important qu'ils le sachent, en particulier dans les milieux scientifiques comme le Centre scientifique qui se trouve à Atlanta. Il fallait être là et donner la bonne information. C'est pourquoi, je me promenais toujours avec mes cartes, celle de l'Afrique, d'une part et celle du Sénégal, de l'autre. Nous avons également contribué à l'organisation du sommet Africains-Américains qui s'est déroulé sur deux ans. Une organisation qui a permis d'investir toute l'Amérique pour mieux faire connaître l'Afrique. Elle a permis de faire comprendre que l'Afrique est un continent comme les autres, qui représente quand même quatre fois les Etats-Unis, aussi bien en population qu'en étendue, que nous ne sommes pas condamnés au sous-développement, que nous avons des ingénieurs, des pilotes, des gens qui savent surfer sur le Net, etc. Nous ne pouvons pas faire le bilan matériel exact de ce que nous avons fait, mais on a tout de même la satisfaction du devoir accompli. Je suis satisfait, par exemple, d'entendre un ambassadeur qui n'était pas à Washington quand j'y étais, en l'occurrence l'ambassadeur Ross qui avait remplacé Mme Thomas Avon, parler du travail que j'ai accompli.

Wal Fadjri : Et par rapport à la communauté sénégalaise établie aux Etats-Unis, qu'est-ce qu'on peut retenir de votre bilan ?

Mamadou Mansour Seck : Il y a une vingtaine d'années, les Sénégalais étaient regroupés dans la partie Nord-Ouest des Etats-Unis, en particulier à New-York, et très peu à Washington. Mais, à partir de 1996, lorsqu'il y a eu les Jeux olympiques d'Atlanta, beaucoup de Sénégalais qui étaient dans les hôtels, le commerce et dans certains services, se sont déplacés temporairement à Atlanta pour, ensuite, s'y fixer définitivement avec leurs familles. On parlait souvent de Modou-Modou qui étaient analphabètes, qui ne comprenaient pas l'anglais. Mais qu'est-ce-qu'on voit aujourd'hui ? Des Sénégalais dans les meilleurs écoles comme le Mit, le Sulfolk. En parlant de bilan donc, c'est en 1995 que je suis allé à l'Université de Boston, précisément au Sulfolk, pour parler du Sénégal et, quand j'ai fini de parler, les gens ont applaudi et ont dit que ‘nous voulons faire une coopération avec le Sénégal et peut-être même, faire le premier démembrement d'une Université américaine sur le continent’. C'est ainsi que nous avons travaillé avec eux sur le projet plus d'un an et ils sont, par la suite, venus s'installer à l'Enea (Ecole nationale d'Economie appliquée, Ndlr). Et, en 1999, nous sommes venus inaugurer le Sulfolk University de Dakar où les étudiants font deux ans avant d'aller poursuivre leur scolarité à l'Université mère de Boston.

Wal Fadjri : Vous avez été rappelé, depuis quelques temps, à Dakar. Quelles sont vos occupations en ce moment ?

Mamadou Mansour Seck : Je suis ambassadeur itinérant. Je mets mes compétences au service de mes compatriotes qui me sollicitent. C'est ainsi que j'anime des conférences, je conseille les jeunes. Par exemple, prochainement, le Centre de recherche eurafricain pour les problèmes de conflits m'invite à échanger l'expérience militaire que j'ai. Je fais également beaucoup de sport. Il m'arrive aussi de voyager pour aller notamment suivre mes enfants établis aux Etats-Unis.



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