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Politique

Journée d'hommage à Mamadou Dia : Quand Amadou Makhtar Mbow évoque un des pères de l’indépendance

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Journée d'hommage à Mamadou Dia : Quand Amadou Makhtar Mbow évoque un des pères de l’indépendance
Un vibrant hommage a été rendu, ce samedi, au président Mamadou Dia, décédé il y a à peine quatre mois. Devant plus de 500 personnes, Amadou Makhtar Mbow, ancien secrétaire général de l’Unesco et ancien ministre de l’Education du défunt, est revenu sur l’itinéraire de l’illustre disparu. Après avoir tracé son parcours, il a confié qu’ils évoquaient, dans leurs rencontres dont l’une s’est tenue un peu avant le décès du président Dia, ‘les dérives’ des tenants du pouvoir, qui ont accentué la perte des valeurs et creusé un fossé entre une bonne frange du peuple et ses dirigeants.

Prison de Kédougou

‘(…) Mamadou Dia a payé son engagement par un enfermement dans la prison de Kédougou pendant dix ans. Il n'était pas en contact avec le monde extérieur, pas même avec ses camarades de captivité. Faute de soins appropriés, il y perdit sa santé et presque la vue. Mais Mamadou Dia n'était pas un homme à se résigner. Homme de foi et de conviction, il avait trouvé dans la prière le recueillement et la méditation, les forces nécessaires de supporter les dures épreuves qui lui avaient été imposées. Rendu à la liberté en 1974, puis gracié en 1976, il reprit de belle une lutte qu'il n'a cessée qu'avec sa mort à l'âge de 98 ans. La lutte pour la liberté de notre peuple et la démocratie et pour le droit à s'unir et à avoir une meilleure vie.’

Aventure du Bds

‘Ma rencontre politique et intellectuelle avec Mamadou Dia date d'un peu plus d'un demi-siècle. C'était en janvier 1956. Nous étions un groupe de cinq intellectuels qui, après avoir fait des études à Paris, (…) avait voulu adhérer au Bds (Bloc démocratique sénégalais) dont le leader était Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia, le Secrétaire général. (…) Au sein du Bds, nous trouvions un état d'esprit propice aux avancées qu'on pouvait attendre dans le contexte de l'époque : une remise en cause plus ou moins ouvertement des structures de l'Union française, imposées par la constitution de la quatrième république, une volonté de voir définis de nouveaux rapports entre la puissance coloniale et les peuples colonisés pour permettre, notamment de soustraire la paysannerie des conditions que lui imposait le système d'économie de traite. Nous voulions surtout un esprit de camaraderie qui tranchait nettement avec ce qui a conduit à la crise de 1962 à la suite de laquelle Mamadou Dia a été condamné injustement à la prison à perpétuité avant d'être libéré 12 ans plus tard et gracié. Nous étions, dans les instances dirigeantes, un certain nombre de camarades, (…), qui discutaient ouvertement de toutes les questions. Mamadou Dia avait joué un rôle essentiel dans cette orientation comme du reste dans la création, en 1948, du Bds qui fut essentiellement son œuvre, appuyé en cela par deux fortes personnalités de l'époque, Ibrahima Seydou Ndao et Léon Boissy avec la bénédiction de Senghor qui l'avait convaincu de rompre avec la section de la Sfio dont il était membre.’

Origine d’un homme d’exception

‘C'est au sein du gouvernement de l'économie interne de mai 1957 à septembre 1958, qu'il m'a été donné de découvrir les qualités exceptionnelles d'homme d'Etat de Mamadou Dia, sa rigueur, son courage, son sens de l'Etat. Mais pour comprendre les motivations de Mamadou Dia, la portée de son action et son comportement dans les circonstances les plus difficiles, il faut rappeler son éducation, sa formation, les circonstances dans lesquelles il est né et a grandi et les circonstances dans lesquelles il est entré dans la politique…’ ‘Mamadou Dia est né en juillet 1911 à Khombole, une escale non loin de Thiès, d'un père originaire du Fouta Toroo, dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal… Sa mère, quoique établie à Thiès où son père l'épousa, était de l'ethnie Sérère du Baol, la même ethnie que Senghor. (…)

Entrée en politique

‘A Saint-Louis, Mamadou Dia et ses compagnons, à défaut de connaître Karl Marx et Lénine – il le dira lui-même – découvraient Booker Washington et Marcus Garvey et furent acquis à l'idée du panafricanisme et du socialisme ; un socialisme inspiré des pratiques communautaires africaines. Du combat pour l'authenticité, il passa à l'engagement politique qu'il avait d'abord récusé. Il avait conseillé à Senghor de se présenter comme député, considérant que son métier d'éducateur était plus important (…) que des activités politiciennes qui lui semblaient dérisoires. C'est à la suite d'une démarche pressante des populations des sites de Fatick où il était directeur d'école que Mamadou Dia acceptât que sa candidature soit présentée à l'élection au poste de conseiller général qu'il emporta aisément en 1946. C'est à la suite de cette élection qu'il s'intégra progressivement à la vie politique sénégalaise pour devenir, en quelques années grâce à son militantisme, à la pertinence de ses idées et à la clarté de sa vision des problèmes et de l'avenir du pays, une des personnalités de premier plan du pays et même de l'Afrique de l'Ouest, faisant avec Senghor un tandem que rien ne semblait pouvoir ébranler.’

Sur la route de la présidence du Conseil

‘Je ne parlerai pas des fonctions qu'il a occupées au Parlement français de 1949 à 1957 ; de grand conseiller de l'Aof de 1952 à 1957 ; de député de l'Assemblée nationale française de 1956 à 1959 ; ni de la pertinence de ses interventions au sein des assemblées françaises sur des questions les plus diverses, en particulier sur les questions économiques (…). C'est son élection comme Vice-président de mai 1957 à mai 1958, puis président à partir de juillet 1958 du Conseil du gouvernement du Sénégal qui lui permettra de lui donner sa pleine mesure d'homme d'Etat…’

‘Nous étions neuf ministres aux côtés de lui. J'occupai les fonctions de ministre de l'Education nationale, de la culture, de la jeunesse et des sports, autant de domaines sensibles qui me mettaient en contacts réguliers avec Mamadou Dia. Nous formions une équipe où chacun était conscient de participer à une cause commune dont il fallait assurer d'autant plus le succès que la tâche était rendue complexe par les ambiguïtés de la loi-cadre… Celle-ci faisait de prime abord du gouverneur, représentant la France, le président du Conseil de gouvernement dont le Vice-président Dia était le Chef légitime et les membres étaient élus démocratiquement par une assemblée, elle-même élue au suffrage universel. Cette première ambiguïté que dénonça Mamadou Dia fut levée en 1958 quand il fut reconnu comme président du gouvernement à part entière (…).’

‘En mai 1958, quand De Gaule prenait le pouvoir en France, la loi cadre avait montré ses limites et tout laissait penser qu’un nouveau pas était franchi pour arriver à plus d’autonomie, voire d’indépendance. Et l’action de Mamadou Dia avait contribué pour beaucoup. Du reste en juillet 1958 (…), Mamadou Dia qui dirigeait la délégation du Sénégal, dont j’étais membre, était d’accord pour l’accès à l’indépendance immédiate dans le cadre d’une fédération africaine qui négocierait ensuite des liens de confédération avec la France. Il eut ensuite le référendum de septembre 1958 et le départ de l’Ups des membres du groupe qui avait adhéré, au Bds comme membre en 1956, pour fonder le Pra-Sénégal et continuer la lutte pour l’indépendance et un socialisme démocratique donnant la priorité à la citoyenneté de base. C’est là une longue page d’Histoire que d’autres sont mieux placés que moi pour apporter leurs témoignages sur l’action de Mamadou Dia qui a conduit à l’accord sur la signature de l’indépendance et plus tard à la crise qui a provoqué son arrestation…’

Sens d’un hommage

‘J’avais accepté de prendre la présidence de la fondation Paix et développement qu’il avait créée, aux côtés de son épouse, Oulimata Dia, ici présente, dont on ne soulignera jamais assez le dévouement et les soins attentifs qu’elle n’a cessé de prodiguer à Mamadou Dia jusqu’à sa mort. (…). Mamadou Dia était resté lui-même sans perdre sa lucidité, sans renoncer à aucun de ses engagements de toujours. Je puis témoigner que chacune de nos rencontres, jusque peu de temps avant sa mort, nous ne cessions d’évoquer ensemble les injustices qui étaient faites à tant de peuples dans le monde ; la situation si préoccupante de notre Afrique où les espoirs nés au moment des luttes de libération, étaient loin de ce qu’on peut tirer. Nous parlions, aussi, des dérives qui, dans notre pays, comme pour accentuer la perte des valeurs, creusaient un fossé de plus en plus grand entre les détenteurs du pouvoir et leurs affidés d’une part, et les factions les plus importantes de la population, en particulier les masses paysannes et les masses laborieuses d’autres part. L’appauvrissement, la misère de tant de personnes, le désespoir d’une jeunesse sans perspective d’avenir nous paraissaient lourds de conséquences pour l’avenir.’

‘Nous réfléchissions, bien sûr, aux conditions de redressement, notamment à celle de l’émergence d’une citoyenneté participative qui redonnerait la voix au peuple et permettrait le renouveau des valeurs et une éthique qui conférerait aux hommes et aux femmes appelés à exercer les fonctions publiques le sens de la dignité qui sauvegardera la liberté d’action... Mamadou Dia mérite, donc, largement que nous commémorions ici même à Paris sa mémoire (…) ‘.

Rassemblés par Moustapha BARRY (Correspondant permanent à Paris)



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