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Politique

LA VITALITÉ DÉMOCRATIQUE A BESOIN DE DISSONANCE

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LA VITALITÉ DÉMOCRATIQUE A BESOIN DE DISSONANCE
Monsieur Khadiyatoulah Fall est sénégalais et professeur d’université au Canada. Il vient de publier tout récemment,  avec les universitaires Mouhamed Abdallah Ly et Mamadou Ndongo Dimé,  l’ouvrage « Le halal dans tous ses états». Nous l’avons interrogé, il  y a quelques jours,  sur la nouvelle configuration du jeu politique sénégalais, marqué par les retours de Wade et Idy. Nous présentons quelques extraits choisis de cet entretien.  


La discordance enrichit le débat politique et la vie démocratique

Je fais partie de ceux qui pensent que les retours d’Idrissa Seck et d’Abdoulaye Wade sont une bonne chose pour la vitalité de notre démocratie. Ces leaders ont su remobiliser leurs militants et sympathisants. Ils ont énoncé  des points de vue discordants qui peuvent enrichir  le débat politique au Sénégal. Le débat  politique est atonique lorsqu’il n’est l’écho que d’un seul point de vue.

La nouvelle configuration politique peut être un atout pour le Président Sall

Je pense aussi que l’émergence de discours discordants n’est pas une mauvaise chose pour le Président Macky Sall. Contrairement à ce qui se dit ça et là, l’existence d’une  bonne opposition, mais une opposition républicaine, va plutôt pousser le Président Sall à davantage expliciter, confirmer sa vision et surtout à s’atteler à faire plus et mieux, et le plus rapidement possible. Ce que la nouvelle situation va aussi permettre au Président Macky Sall, c’est d’identifier les hommes et les femmes de son équipe qui  peuvent l’aider à bâtir un leadership qui sait durer et résister  en temps de  fortes marées.   Il est urgent  que ceux qui appuient la vision de Macky Sall l’accompagnent, à travers des réalisations tangibles et avec  un rythme plus soutenu,  à construire  son identité différentielle lorsque comparé aux autres présidents qui ont dirigé le Sénégal. Une bonne méthode de « cascading» est essentielle à un leader : être armé d’une vision claire mais aussi  savoir s’entourer de relais qui portent la  confiance et la compétence qui suscitent l’adhésion collective.

Senghor a laissé l’image de celui qui a su construire une nation, Diouf a consolidé le statut de l’État, Abdoulaye Wade marque les imaginaires par le Sénégal des infrastructures. Comment Macky Sall commence t-il à marquer  les imaginaires aujourd’hui et comment est il déjà entrain d’écrire  le récit de l’héritage qu’il veut laisser aux Sénégalais? Répondre à ces questions est le  défi  d’une pratique et d’une communication. Les Sénégalais s’attendent à ce que le Président Macky Sall soit le président de la rupture d’avec ce qu’ils ont rejeté en mars 2012. Mais ils s’attendent aussi à ce qu’il soit le Président de la continuité et du dépassement. Continuité car il y a des réalisations de Wade qu’il faut terminer. Dépassement, car il doit prouver aux Sénégalais  qu’il peut aller plus loin et être le premier Président d’un Sénégal entré dans l’émergence.
 
L’agitation médiatique actuelle ne bouleverse pas fondamentalement la détermination des opinions sur les leaders politiques

Je mène avec quelques collègues chercheurs, à travers les réseaux sociaux et sur la base d’un échantillon ciblé, des sondages sur les sensibilités politiques des Sénégalais. Nous avons, il y a quelques semaines, présenté dans votre quotidien, quelques résultats de ces sondages. Tenant compte des récents  événements, nous avons effectué  un  autre  coup de sonde qui couvre la période de l’arrivée de Idrissa Seck  jusqu’à ce samedi 3 mai 2014. Le temps fort serré ne nous a malheureusement permis d’interroger que 298 personnes. Les gens reconnaissent que le retour de Wade a créé une mobilisation populaire mais ils avancent aussi qu’il faut  savoir relativiser car, comme l’a bien montré l’École de Chicago, la constitution des mouvements de foule est fort complexe et relève parfois même de l’irrationalité. L’arrivée de Wade nous a également sortis  d’une routinisation médiatique avec la surdose du dossier sur l’enrichissement illicite.  Mais  ce qui semble se lire dans  les remarques  de notre mini sondage, c’est qu’il serait  hasardeux d’affirmer que cet événement  a occasionné  un bouleversement décisif dans l’opinion.

Wade et les Sénégalais : une relation ambivalente 

Il ressort des propos de nos répondants que ceux-ci sont aujourd’hui dans une attitude ambivalente   avec Abdoulaye Wade : admiration et méfiance. Ils admirent Abdoulaye Wade pour son parcours politique exceptionnel, pour l’avènement de la première alternance, pour ses réalisations économiques indéniables durant ses deux mandats mais ils disent, en majorité, garder la mémoire vive de la tentative controversée de révision de la Constitution. Un autre fait marquant : ils retiennent tous que  c’est sous le règne d’Abdoulaye Wade que la corruption et l’enrichissement des dirigeants politiques et directeurs de sociétés ont  connu leur  apogée au Sénégal. La corruption est posée par la grande majorité de nos répondants comme un élément structurant de leurs perceptions du règne d’Abdoulaye Wade.
Les requêtes des religieux pour l’indulgence dans le dossier de la traque des supposés biens mal acquis  et la paix sociale
Nous sommes une culture marquée par l’empreinte du religieux et le pardon est une notion importante dans l’islam. La question de la repentance et du pardon se retrouve dans plusieurs versets du Coran et d’ailleurs  un des attributs d’Allah est le Pardonneur (Sourate Al-Muzzamil 73:20). Cependant Allah ne pardonne pas de manière inconditionnelle et Allah ne pardonne pas tout.

Il m’a été donné de dire que les cultures du pardon facile sont des cultures de la récidive. Le pardon facile banalise le méfait et favorise  la répétition. Concernant ce dossier, nous parlons de  la justice laïque et elle n’est pas guidée par l’indulgence, l’empathie ou la miséricorde. Il ne s’agit pas non plus du  pardon privé ou  pardon ordinaire mais plutôt du  pardon public. Ce dont il s’agit ici, c’est de méfaits économiques contre le  peuple sénégalais et non pas contre le seul  Président de la République. Ce qu’il faut souligner fortement, c’est que la décision  ne relève pas du Président de la République mais d’une juridiction qui doit assurer la réparation au nom de tous les Sénégalais. Le pardon suppose également que le méfait  ait été clairement  identifié et c’est ce qui amène la demande de réparation. Le pardon n’a de sens que là où la punition est possible et il ne s’arrache pas sous  l’intimidation et le chantage. Contrairement au pardon ordinaire, le pardon public demande de l’équité. L’exercice du pardon est éthique lorsque la condamnation et la réparation s’appliquent à tous ceux qui sont identifiés comme ayant commis des méfaits de même nature et en toute conscience. Et le pardon ne peut trouver  sa fonction réconciliatrice que lorsque les conditions sont ensuite posées pour que les méfaits ne puissent plus se reproduire.

Le tournant décisif d’une justice qui dissuade pour l’avenir

Sur le dossier de l’enrichissement illicite, il faut accepter que ni l’empathie, ni l’intimidation, ni le besoin de sauver la face  ne doivent en déterminer  l’aboutissement. Rien dans le traitement de ce dossier ne devrait être assimilé à une vengeance  politique. Comme  je l’ai déjà dit dans une tribune,  les  investigations en cours  sont une affaire de la justice sénégalaise et elles  doivent être détachées  de la personne du chef de l’État. Ou elles ne doivent être reliées à sa personne que parce que le Président de la République s’illustre  comme le gardien vigilant du fonctionnement transparent et républicain de la justice sénégalaise. Veiller à empêcher l’interférence de toute chose qui amènerait à douter de l’impartialité de la justice sénégalaise, voilà l’attitude qui garantit également la paix sociale. Si jamais, aux termes d’une justice transparente, les torts sont établis, il faudrait également que nous tenions compte   que notre  justice n’est pas dans un hors lieu social et culturel. Des compromis sont inévitables mais cela ne doit pas aboutir à une justice floue, à une justice des nantis et une justice des pauvres. Cela ne doit pas empêcher l’application de sanctions et de mesures de réparation qui montreront à la population qu’il n’y a pas eu deux poids deux mesures. Il faut que la population perçoive une justice qui marque un tournant décisif et qui dissuade définitivement pour l’avenir.

Propos recueillis par Bocar Sakho LE QUOTIDIEN.SN MARDI 13 MAI 2014


17 Commentaires

  1. Auteur

    Gw

    En Mai, 2014 (17:05 PM)
    Je ne me suis arrêté qu'au titre. Je reviendrai lire l'article plus tard. Après tout, faut bien que je gagne a vie; tout le monde n'est pas payé pour attaquer Macky !



    La démocratie a besoin de dissonance mais il ne faut pas confondre DISSONANCE et CACOPHONIE.

    Le peuple mérite mieux que d'être constamment soumis à la poluution sonore de gens qui ont pensé les derniers mois à se dorer la pilule avec son argent pendant que lui se battait pour se remettre au travail avec ce que la gabegie, les concussions lui ont laissé.
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  2. Auteur

    Abdyf2

    En Mai, 2014 (18:40 PM)
    Merci Professeur. Texte équilibré et bien pensé comme toujours. Je vous tire mon chapeau et vous félicite
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    Auteur

    Isidoreseldorf

    En Mai, 2014 (19:40 PM)
    Bravo Seneweb je lis pas le quotidien sur le net

    Merci d avoir repris ce texte interessant

    Enrichissant de lire des textes de bons intellectuels sénégalais
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    Auteur

    Guilfordbaye

    En Mai, 2014 (19:51 PM)
    J avais déjà dit de ce professeur quand j ai lu son texte sur le discours de Rastibone que Fall est un intellectuel pur sang

    bravo à Seneweb
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    Auteur

    Amathndia1

    En Mai, 2014 (20:12 PM)
    Monsieur Fall il faut créer un mouvement politique

    Je suis avec vous

    Je crois qu il faut réunir les grands intellectuels sénégalais de la diaspora et de l intérieur pour secouer le cocotier

    On attend les réactions des Mamadou Diouf souleymane BACHIR Diagne et Khadiyatoulah Fall sur le cas troublant de Touba
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    Auteur

    Pr Abdou Diouf

    En Mai, 2014 (21:45 PM)
    Dans l'émission Livres d'Or de RFI, enregistrée en septembre 2000, Abdou Diouf, l'ancien Président du Sénégal, était revenu sur la création de la Cour de Répression de l'Enrichissement illicite (CREI) et les principaux dysfonctionnements et résistances qui ont plombé sa marche. Si cette Cour n’avait pas pu mener à bien sa mission, la responsabilité en incomberait, selon l’ancien président de la République Abdou Diouf, à la MAGISTRATURE, la PRESSE, la POLICE et CERTAINS CHEFS RELIGIEUX… Une interview qui conforme un éditorial de notre dirpub M.O.N sur la traque des biens mal acquis.



    Extraits :



    « J’ai créé le tribunal de la lutte contre l’enrichissement illicite dont j’avoue que c’était un échec. Parce que je n’ai pas été suivi. Le peuple sénégalais est ainsi fait puisqu’il n’accepte pas des sanctions trop fortes. Et comme la cohésion sociale est trop forte, je me suis rendu compte que ceux-là que je pouvais accuser même de corruption partageaient cet argent avec une famille et toutes les concessions, toutes les classes de gens, qui évidemment se liguaient. Et c’est la période où j’ai eu la CAMPAGNE DE PRESSE la plus dure contre moi autour de la corruption (…). Alors qu’il y avait dans la loi des délits de corruption qu’on pouvait sanctionner que l’on ne sanctionne jamais ! J’ai moi-même eu l’occasion de déférer en Conseil de discipline un fonctionnaire quand j’étais Premier ministre. Et je savais que ce fonctionnaire était corrompu, mais avec la corruption vous ne pouvez jamais avoir les preuves (…) Parce que personne ne parle, ni le corrupteur ni le corrompu, je n’avais donc pas les preuves. Et comme j’avais l’intime conviction, je l’avais déféré en conseil de discipline, et ses pairs l’ont blanchi. Je leur ai adressé à chacun une lettre qui était très dure ! Ils étaient tous malades, mais ils disaient qu’ils n’avaient pas de preuves. Mais la preuve de présomption qu’est-ce que vous en faites ? Et tout le monde sait que cet homme-là est corrompu ! ( …) Donc j’ai créé ce tribunal d’enrichissement illicite pour faire un pas de plus… Et comme je ne peux pas obtenir des aveux ni du corrupteur, ni du corrompu, je me base sur les signes extérieurs de richesse. Il faut que la personne puisse prouver comment elle a réussi à avoir cette voiture rutilante, comment elle a pu avoir toutes ces villas compte tenu du niveau de son salaire. J’ai subi un blocage total de la part des MAGISTRATS, de la part des POLICIERS chargés de l’enquête… et cette loi est restée lettre morte ! Et si la PRESSE cachait la corruption de ceux qui étaient ses amis ou dénonçait ceux qui n’étaient pas ses amis ?… Je dis oui et non ! ( …) Et de grands CHEFS RELIGIEUX se sont déplacés jusque chez moi pour me demander de céder sur tel ou tel point… et ils sont repartis fâchés contre moi (…) »

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    Auteur

    Awatamtam

    En Mai, 2014 (21:53 PM)
    BIEN DIT TONTON FALL

    Senghor a laissé l’image de celui qui a su construire une nation, Diouf a consolidé le statut de l’État, Abdoulaye Wade marque les imaginaires par le Sénégal des infrastructures. Comment Macky Sall commence t-il à marquer les imaginaires aujourd’hui et comment est il déjà entrain d’écrire le récit de l’héritage qu’il veut laisser aux Sénégalais? Répondre à ces questions est le défi d’une pratique et d’une communication. Les Sénégalais s’attendent à ce que le Président Macky Sall soit le président de la rupture d’avec ce qu’ils ont rejeté en mars 2012. Mais ils s’attendent aussi à ce qu’il soit le Président de la continuité et du dépassement. Continuité car il y a des réalisations de Wade qu’il faut terminer. Dépassement, car il doit prouver aux Sénégalais qu’il peut aller plus loin et être le premier Président d’un Sénégal entré dans l’émergence.
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    Auteur

    Simonsedar

    En Mai, 2014 (22:40 PM)
    La corruption élément structurant du règne de Laye Ndiombor Wade c'est la meilleure description jusqu ici

    Excellente contribution

    Malheureusement GD le premier inscrit n'a rien compris
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    Auteur

    Antaleiye Partisan Busines Hal

    En Mai, 2014 (23:49 PM)
    Professeur Fall nous comptons sur vous pour continuer les salons du business halal

    votre engagement est apprécié

    Tenez vous debout même si les obstacles du gouvernement actuel sont là Je sais ce que je dis

    même s ils trouvent que l'idée est bonne l entourage de macky sall ne veut pas le succès du projet

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    Auteur

    Benabdaldi

    En Mai, 2014 (01:32 AM)
    Salam aleykoum professeur Fall Merci pour votre contribution et pour vos mots d' encouragement et votre modestie avec toute la communauté des étudiants sénégalais du Québec même du Canada

    Je suis toujours fier quand je vous lis ou vous entends dans les médias au Canada
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    Auteur

    Leytan

    En Mai, 2014 (02:40 AM)
    What to say! Just superb

    Thanks dear professor
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    Auteur

    Jeannotinne

    En Mai, 2014 (08:21 AM)
    Trop de massla tue un pays il faut un espèce de la loi et de la transparence

    Pourquoi Awa Ndiaye est libre?
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    Auteur

    Makhoudjeddah

    En Mai, 2014 (08:31 AM)
    Bravo Hadj

    J aime ce que tu dis sur le pardon

    Éclairant

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    Auteur

    Foreverwadiste

    En Mai, 2014 (08:47 AM)
    La prédation concerne aussi les régimes de Senghor et de Diouf
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    Auteur

    Republicanos

    En Mai, 2014 (09:10 AM)
    Touba ou la république en déroute. Question posée aux sénégalais
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    Auteur

    Birimadioufn

    En Mai, 2014 (14:25 PM)
    heureusement I didn't miss this text. Very stimulating

    Merci seneweb et monsieur Fall
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    Auteur

    Badjiantoine2

    En Mai, 2014 (22:55 PM)
    Je n'étais pas d'accord avec les remarques de monsieur Fall sur le discours de Rastibonne qui déconstruisait le discours de l'ancien Pape mais je reconnais que ce monsieur est un penseur et surtout un chercheur

    L'explication du pardon est fort instructive voilà ce qui est attendu d'un universitaire

    Il faudrait aussi faire une analyse de ce qui se passe actuellement à Touba et qui risque de morceler le Sénégal

    Hats off.
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