Mame Adama GUEYE : ‘L'Etat doit s'expliquer sur les milliards de Taïwan’

Le candidat indépendant à la prochaine élection présidentielle, Me Mame Adama Guèye, croit en ses chances. Selon l'ex-coordonateur du Forum civil, les citoyens ont besoin d'entendre un autre type de discours dit de rupture et dont il se dit porteur. Dans l'entretien qui suit, l'avocat émet, par ailleurs de sérieuses réserves sur le fichier électoral et demande aussi au gouvernement de s'expliquer sur le 7, 5 milliards du fonds Taiwanais.

Wal fadjri : Vous êtes le deuxième avocat candidat indépendant dans l'histoire politique du Sénégal après Me Mamadou Lô. Ne craignez-vous pas de subir le même sort que lui ?

Me Mame Adama Guèye : Le rapprochement avec Me Mamadou Lô est un rapprochement très intéressant sur le plan historique mais je crois que les conditions socio-politiques sont complétement différentes. Et je crois qu'aujourd'hui il suffit d'écouter les citoyens pour savoir qu'un candidat indépendant a des chances ou pas. Ce n'est pas moi qui le dit, ça c'est les citoyens qui le disent. Les citoyens disent qu'ils sont désemparés et se demandent pour qui voter. A deux mois des élections c'est quand même une question extraordinaire. On sait que le citoyen est très conscient. Et si on arrive au point où les citoyens, nonobstant la présence des nombreux acteurs politiques, se posent la question de savoir pour qui voter, cela veut dire qu'ils ont des attentes différentes. Ma candidature s'inscrit dans cette logique. Je me veux une candidature de réponse à l'attente des citoyens pour une rupture, pour une candidature de type nouveau. Une candidature de type pragmatique qui prend en charge leurs revendications, leurs attentes de façon concrète. Une candidature non politicienne, ça c'est un besoin, c'est une attente. Et ma candidature s'inscrit dans cette logique.

Wal fadjri : Me Mame Adama Guèye est-il un candidat sans illusions ?

Me Mame Adama Guèye : Je vous dis de manière nette et tranchée que je ne suis pas un candidat sans illusion. Si je me présente c'est avec la conviction de gagner parce que les conditions sont réunies pour que j'aie les mêmes chances que tous les autres candidats.

Wal fadjri : En quoi votre discours sera-t-il différent de celui des autres candidats à la prochaine campagne électorale ?

Me Mame Adama Guèye : Mon discours est déjà différent. D'abord c'est une question de trajectoire. Moi je ne suis pas un politicien, je ne m'engage pas à la politique pour me nourrir de la politique. je ne suis pas un politicien professionnel comme certains prétendent l'être. Mon discours est différent parce que je pense que sans prétention, sur les questions qui sont aujourd'hui les questions de l'heure qui sont des questions de transparence, de bonne gouvernance, j'ai un discours qui est constant, qui ne date pas d'aujourd'hui. c'est un discours de plus de dix ans. sur ce plan-là on a un discours qui est tout à fait clair et sincère.

Wal fadjri : Il y a quelques jours, le directeur de cabinet du président de la République a traité les candidats issus de la société civile d'hypocrites. Que lui répondez-vous ?

Me Mame Adama Guèye : Je réponds par le mépris comme je l'ai dit. Je ne vais pas m'abaisser à ce niveau. Ca c'est un faux débat. Je ne vais pas me laisser divertir.

Wal fadjri : Que pensez-vous de l'arrestation de citoyens ayant exprimé leur mécontentement lors de la visite du chef de l'Etat à Louga ?

Me Mame Adama Guèye : Ca confirme que les libertés publiques sont en danger dans le pays. Ce n'est pas nouveau, malheureusement. la République est en danger. Il suffit de remonter en arrière. C'est ici au sénégal qu'un leader politique s'est fait agresser, taper à coups de marteau. une enquête a été ouverte, que les auteurs étaient connus et jusqu'à ce jour rien n'a été fait. On a pu trouver le moyen de prendre un loi scélérate pour gommer tout cela. C'est ici également que des journalistes, des hommes politiques se font arrêter tous les jours, amenés à la Dic. La police est hyper active dans ce domaine et dans le même temps les citoyens n'osent plus sortir de chez eux le soir. C'est également ici que des membres de la société civile se font menacés de mort tous les jours. Il n'y a eu aucune réaction sérieuse de l'Etat. C'est ici que de hauts responsables de l'Etat menacent de corriger des journalistes parce qu'il sont ‘incorrects’. C'est grave. Tout cela s'est inscrit dans une logique inquiétante. Je pense qu'il faut que l'ensemble des citoyens réagissent. Ce n'est pas seulement une affaire de journaliste ou de candidat à la présidentielle, c'est une affaire des citoyens. Il faut que ces derniers restent un rempart contre les dérives constatées et que je condamne avec la plus grande fermeté.

Wal fadjri : Vous dites que vous êtes un candidat de rupture, voilà un type de discours qui pourrait convaincre les intellectuels. Mais, est-ce qu'il pourra convaincre le citoyen lambda ?

Me Mame Adama Guèye : Il y a eu un type de candidature et une forme d'action politique depuis quarante ans qui n'a pas répondu aux attentes. Ca au moins, c'est constant. La situation actuelle du monde agricole n'est pas reluisante. On a essayé toutes les politiques agricoles possibles, on a essayé toutes les approches possibles et toutes les formes de clientélisme politique vis-à-vis du monde agricole, mais ça n'a jamais marché. Les personnes qui habitent dans le monde rural le savent. Donc aujourd'hui je viens leur dire que je veux dans une approche de responsabilité, d'ouverture les amener à participer à la solution de leurs problèmes, ne pas les traiter comme des enfants. Et je veux les inviter à ne pas exercer leur citoyenneté par délégation. On les a entretenus dans cette situation en leur disant : ‘votez pour moi et je règle votre situation’. Ce n'est pas vrai. On ne peut pas régler les problèmes sans les citoyens. C'est cette approche de responsabilité que je leur propose et qui est différente de celle qu'on leur a proposée jusqu'ici. Je veux leur proposer de prendre en charge leur destin en main avec l'appui de l'Etat pour régler leurs problèmes au quotidien.

Wal fadjri : On est l'heure des coalitions. Est-ce que le candidat Me Mame Adama Guèye y songe ?

Me Mame Adama Guèye : Moi, je ne suis pas politicien. les combinaisons politiques, ce n'est pas mon affaire. Maintenant, moi je suis un candidat indépendant. Si des organisations de la société civile, des acteurs sociaux et économique ou des partis politiques viennent soutenir ma candidature, je l'accepterais volontiers. je l'ai déjà dit dans ma déclaration de candidature. Mais je ne suis pas dans la logique des combinaisons politiciennes.

Wal fadjri : Donc vous n'êtes pas prêt à vous aligner dérrière un autre ?

Me Mame Adama Guèye : Ma candidature n'aurait plus de sens si je dois m'aligner derrière un autre. Moi je suis candidat à la présidentielle, c'est clair.

Wal fadjri : Et si vous ne passiez pas au second tour, pour quel candidat voteriez-vous ?

Me Mame Adama Guèye : Mon vote je l'exercerai en considération de l'intérêt supérieur du pays. C'est un vote personnel.

Wal fadjri : Que pensez-vous du fichier électoral qui suscite beaucoup de polémique par rapport à sa fiabilité ?

Me Mame Adama Guèye : J'ai un sentiment d'inquiétudes. Je pense qu'il n'y a pas une structure mieux indiquée que la Cena pour porter une appréciation sur ce fichier. Et on a entendu l'appréciation de la Cena. Et ce qui est inquiétant, c'est la réponse expéditive du ministre de l'Intérieur. Il faut sérieusement travailler à garantir les conditions d'organisation d'élections transparentes. C'est une question sérieuse. Malheureusement on a des signaux qui ne sont pas rassurants. Premier élement, c'est le décret de répartition des sièges des députés. C'est une manipulation claire tendant à sauvegarder les intérêts du parti au pouvoir. Ce ne sont pas de bons signes. Je pense que c'est dans l'intérêt du pays, de l'ensemble des protagonistes de créer les conditions d'organisation d'élections transparentes. Et je crois qu'on a déjà eu cette expérience. En 2000 j'étais membre du Forum civil et j'étais impliqué dans l'intermédiation des parties prenantes. On a fait l'audit du fichier électoral. Pour l'audit en cours, je pense que c'est une bonne chose que le ministre de l'Intérieur s'entende avec les partis politiques pour le mener à bon termes. Il faut donner toutes ses chances à cet audit-là. Il faut, pour ce faire, mettre à la disposition de ceux qui en ont la charge tous les outils nécessaires pour bien faire leur travail. Je pense que c'est dans l'intérêt du pays qu'on ait des élections transparentes qui ne souffrent d'aucune contestation.

Wal fadjri : Vous n'avez pas été investi par le Forum civil auquel vous appartenez. Est-ce que votre candidature ne souffre pas d'un manque de légitimité ?

Me Mame Adama Guèye : Le Forum civil n'a pas vocation à investir un candidat. Son statut ne le lui permet pas. Je n'ai à avoir sa caution parce que son statut d'association ne lui permet nullement de se choisir un candidat ou de l'appuyer. Je suis un citoyen indépendant qui exerce pleinement ses droits, dès lors je n'ai besoin de la caution de qui que ce soit pour me présenter.

Wal fadjri : Que pensez-vous de la floraison des candidats indépendants à la présidentielle ?

Me Mame Adama Guèye : Mais c'est bien. Je ne vois pas où est le problème. Quand on offre la possibilité aux citoyens d'avoir un choix large, c'est excellente chose. Je ne vois pas pourquoi les gens s'inquiètent de ça. On élargit l'offre démocratique. Donc c'est le contraire qui devrait inquiéter. Qu'on ait par exemple des élections qui ne sont pas ouvertes avec des candidatures réduites et qui ne donnent pas beaucoup de possibilités aux citoyens.

Wal fadjri : Un membre de la société civile a déclaré que cette floraison de candidatures s'expliquent par les mains financières qui seraient derrière. Est-ce votre cas ?

Me Mame Adama Guèye : Cette déclaration n'engage que son auteur. Moi je peux dire qu'il n'y a aucune main financière derrière ma candidature.

Wal fadjri : Pensez-vous qu'il devrait avoir un plafonnage par rapport à l'âge du chef de l'Etat ?

Me Mame Adama Guèye : Je suis parfaitement d'accord. Pourquoi les gens partent à la retraite quand ils travaillent dans des conditions normales ? parce qu'on estime qu'à partir d'un certain âge on n'a moins de capacités que quand on est à la fleur de l'âge. je ne vois pas pourquoi on s'en effarouche. je pense qu'il faut plafonner. Ca se fait dans certains pays. Je crois qu'à soixante-dix ans c'est un plafond raisonnable.

Wal fadjri : On a récemment parlé des 7,5 milliards du fonds Taiwanais qui sont tombés dans le compte de l'homme d'affaires Jêrome Godard. Quel commentaire en faites-vous ?

Me Mame Adama Guèye : Ca ne fait que conforter ma conviction qu'il n'ya pas une volonté politique réelle d'aller à la tranparence, d'avoir une culture de gouvernance transparente. J'ai aujourd'hui la conviction que ce gouvernement n'a pas la volonté politique réelle de lutter contre les actes de prévarication. Vous parlez du transfert dans le compte de Jêrome Godard, ce qui est plus grave c'était que ça aille dans un autre compte que la comptabilité. Ce qui est scandaleux, c'est que de l'argent donné au Sénégal, donc de l'argent public, soit détourné à des fins privées. Et moi j'interpelle le gouvernement sur cette question comme sur d'autres. il faut qu'on donne des explications au Sénégalais. On a aussi parlé du problème de l'aéroport de Ndiass. Il y a beaucoup d'interrogations sur cette affaire-là. Tout laisse croire qu'on utilise l'argent du Sénégal au profit de privés. Ce n'est pas normal. Et le gouvernement ne peut pas rester dans ce silence. il doit des réponse aux citoyens. La non-réponse du gouvernement sur cette question est une réponse. Il faut qu'il en tire toutes les conséquences sur le plan électoral.