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Politique

Mme Penda Mbow, Professeur d'Histoire et féministe :« Des éléments de la société civile doivent se retrouver à l'Assemblée nationale »

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Mme Penda Mbow, Professeur d'Histoire et féministe :« Des éléments de la société civile doivent se retrouver à l'Assemblée nationale »

Elle affirme sans ambages son féminisme. Elle, c'est Mme Penda Mbow qui analyse ici l'écart noté entre les femmes universitaires et la politique. Revenant sur les raisons qui font d'elle encore une célibataire, elle invite la société civile à conquérir l'Assemblée nationale, et prévient d'un « big-bang » en cours dans le champ politique.
Entretien dans son appartement du Campus universitaire de Dakar.
L'Office
: Vous êtes l'une des rares femmes de ce pays à se dire "féministe". Et, en direction des prochaines élections, le chef de l'État a prôné la parité dans la confection des listes pour les élections législatives de la coalition "sopi 2007", que pilote son parti. Penda Mbow est-elle satisfaite sur son point au moins ?
Penda Mbow
: Je n'ai pas encore vu les listes pour les juger. Or, j'analyse à partir du concret. Il est vrai que le chef de l'État a utilisé le contexte électoral pour faire un clin d'œil aux femmes sénégalaises, en reprenant une revendication ancienne qui est justement la parité au niveau de toutes les institutions ; et plus particulièrement l'Assemblée nationale. Et tout le monde sait que sur le plan africain, l'actuel président de la République a été plus ou moins perçu comme étant celui qui a un peu porté cette revendication auprès de ses pairs de l'Union africaine. Donc, il fallait tout simplement harmoniser entre ce qui est prôné sur le plan international et ce que l'on vit à l'intérieur de notre pays. Je pense qu'il y a cette volonté de faire un clin d'œil aux femmes. Peut-être qu'il y a aussi que cette décision est venue à une période où elle est mûre. Parce qu'il y a des années que les femmes sénégalaises revendiquent, plus le contexte international. Vous avez vu les changements qui interviennent un peu partout à travers le monde, sur l'ensemble des continents. Je crois que si le Sénégal veut grader un tant soit peu le leadership en matière de démocratie, il fallait peut-être se prononcer sur la parité.
Vous avez tenu à préciser que vous êtes féministe. Quel entendement avez-vous de ce concept pas très usité ?
Être féministe, c'est tout simplement se battre pour l'égalité en droit entre l'homme et la femme. C'est promouvoir la femme. Parce que, les termes ont leurs contenus ; et le féminisme n'est rien d'autre qu'un projet de société, où l'homme et la femme ont leurs places en matière de droit, pour jouer véritablement leurs rôles au niveau du développement. Le féminisme est une philosophie, un humanisme. Et je pense que s'il n'y avait pas une pensée féministe, il n'y aurait jamais eu de réflexions ou de changements en matière de promotion de la femme. Pour rappel, au lendemain de la guerre de 39/45, les femmes ne pouvaient presque pas accéder à l'université. Elles ne pouvaient même pas passer certains concours. En France par exemple, la première femme à participer à un concours général est toujours vivante. Elle s'appelle Jacqueline de Robehi. Elle est toujours académicienne. C'est donc grâce au féminisme que non seulement des femmes ont été à l'école, mais occupent des fonctions importantes. Si vous voulez, c'est la pensée féministe qui a transformé les rapports hommes/femmes en matière de droit.
Professeur d'Histoire à l'Université Cheikh Anta Diop depuis des années, vous semblez être l'une des rares femmes à s'intéresser à la conquête du pouvoir. Est-ce à dire que vos autres consœurs universitaires ont renoncé à cet espace ; pour les amphithéâtres plus calmes, du reste ?
Non, c'est différent ! Moi je suis militante. C'est-à-dire que je ne peux pas me contenter d'aller donner des cours, de m'occuper de ma carrière. Il est vrai qu'il est extrêmement important de savoir. Mais, dans des pays comme le nôtre, où ceux qui ont été à l'école constituent une minorité, où les besoins de transformations sociales sont énormes, on ne peut pas probablement se contenter de connaissances livresques sans chercher à contribuer à la transformation de sa société. C'est extrêmement important pour moi. On peut emmagasiner toutes les connaissances en matière, par exemple, de moyen âge européen ou musulman. Mais, si je me limitais simplement à mon Moyen âge, j'aurais certainement enseigné à des générations de Sénégalais. Je commence à être vieille au niveau de l'Université. Mais, je crois que je n'aurais pas eu autant d'impact, si impact il y a, dans notre propre société. Moi je ne peux pas me contenter de ça. Ce n'est pas possible ! Et très tôt, mon environnement économique, social et culturel a fait qu'il fallait absolument réagir. Je suis contre l'injustice, le défaitisme, le fatalisme. Parfois on a le sens des responsabilités. Enseigner, c'est très bien. Je le fais. J'aime le savoir. Les connaissances sont fondamentales pour moi. Mais, ma société est encore plus fondamentale.
Mais justement, comment expliquez-vous l'absentéisme de bon nombre de vos consœurs dans les luttes sociales ?
Non, elles ne sont pas absentes ! Je crois que chacune dans ce domaine, il y en à de plus en plus, essaye d'apporter sa pierre à l'édifice. Elles ne se contentent pas que de leurs carrières. Il y a aussi que la pression au niveau de l'université est de plus en plus énorme. Il faut une dose de renoncement, pour ne pas être pris en étau par tous ces problèmes de carrière. Le travail universitaire combiné à la famille, la société, font que les femmes intellectuelles ont une énorme demande quotidienne. C'est ce qui expliquerait, entre autres, qu'elles n'ont pas la possibilité de s'investir davantage. Elles sont épuisées entre la famille, les études, la carrière, la société et tant d'autres choses. C'est quand même dommage ! Parce que si on arrive à former une masse beaucoup plus critique, ce serait beaucoup plus facile d'apporter des transformations. Et, vous le savez, militer est extrêmement plus difficile. Parce que lorsque l'on milite, il faut être moralement solide pour continuer. Les obstacles sont nombreux. Ils se situent entre les dénigrements, les attaques et même l'équilibre au sein de votre propre famille, lorsque la femme est mariée, les renoncements, la femme mariée ne peut pas prétendre à beaucoup de choses ; elle se contente de peu. Bref, quand on milite, on dérange. On se fait des ennemis, qui eux ne font pas de cadeaux. Il faut avoir un esprit de dépassement pour militer. Et dans ce sens, beaucoup de gens sont très vite découragés. Si personnellement je n'avais pas un cœur très solide, si je n'étais pas engagée, mais je n'ai pas le choix, je suis obligée, il y aurait longtemps que j'aurais renoncé. Je vous donne un exemple : dans les années 80, lorsque nous étions engagés dans le phénomène "Set setal" (assainissement, Ndlr), les gens oublient, sauf quelques-uns de vos confrères, comme Tidiane Kassé et ceux de Sud Hebdo qui suivaient ce que nous faisions, lorsque j'appelais à des réunions pour prendre à bras-le-corps le problème de l'eau qui se posait avec acuité à l'École des Hlm II, dans les mosquées et les places publiques, on se demandait qui était derrière moi. Les gens ne pouvaient pas se faire à l'idée que j'étais seule ; que j'avais des idées que je voulais simplement concrétiser. Tous les politiques venaient. Les gens de l'opposition disaient que c'était Jean Collin qui était derrière moi. Le pouvoir lui voyait l'opposition derrière moi. Et chaque camp se mettait un peu à l'écart. Au bout du compte, j'étais seule ; exception faite de Momar Diop, un compagnon de Majmouth Diop qui militait à l'époque au Parti africain de l'indépendance, et chez lequel nous nous réunissions, et Pape Demba Sy, avec lequel j'ai milité au Rassemblement national démocratique. Les politiciens structurés, à l'époque il n'y avait pas de société civile, me regardaient faire. C'est comme aujourd'hui : par exemple, on ne peut pas vous entendre réagir ou aller de l'avant sans que les gens voient derrière vous la franc-maçonnerie ou une main extérieure. Je veux dire que les gens croient très peu non seulement à l'engagement mais à la générosité de l'individu. Je vous donne un exemple. Dans le cadre de la célébration de la journée de la femme, Eva Marie Call Seck avait, au nom de l'association des femmes de lutte contre le Sida qu'elle pilotait, nous avait conviée à une rencontre dans les locaux de l'École des infirmières. Il y avait à l'occasion beaucoup de musulmanes. Lorsque j'y ai déclaré qu'il faut faire attention, parce que nos pratiques sociales peuvent être à l'origine de la propagation du Sida, j'avais pointé du doigt la polygamie, précisément le système du lévirat, j'étais attaquée. Ça a fini au tribunal. Or aujourd'hui, tout le monde est d'accord que la polygamie peut propager le Sida et les Mst. Si je devais renoncer à l'engagement, je l'aurais fait peut-être à ce moment précis. Les exemples ne manquent pour dire qu'une militante est toujours exposée. Il faut être parfois folle pour continuer la lutte. Sur le plan matériel, n'en parlons pas. Vous ne pourrez en aucun cas être soutenu, de quelque manière que ce soit par un pouvoir, quel qu'il soit. Tout cela fait que l'on se dit qu'il faut faire bouger la société. Quand j'ai créé mon association, j'étais obligée d'utiliser mon salaire pour payer la location du siège, les charges et les rares employés. C'est dire qu'il faut y croire, pour ne pas renoncer à son engagement. Or, il faut agir. Et nous sommes dans une société trop conformiste. Quelles accusations je n'ai pas essuyées de la part de gens, qui pourtant ne sont pas plus pratiquants que moi. Ma force est d'avoir réglé bien des questions intellectuellement. Par exemple, sur les questions de religion, avant de m'engager, j'étudie les arguments qui me servent dans mon combat. De même, il y a des questions sur lesquelles je ne m'aventurerais pas, parce qu'étant contraires à ma foi fondamentale. Ce sont des questions que je relaterais certainement un jour. Par exemple, j'ai déjà fait un texte sur les évènements de 92, sur les libertés académiques et les femmes.
Excusez-moi. Mais, est-ce pour le triomphe de cet engagement que vous avez renoncé, jusque-là, à avoir une vie de famille ; pour ne pas dire un ménage?
J'ai une vie de famille. Des frères, des neveux, des nièces. Pour ce qui est du mariage, c'est un concours de circonstances. Si on se marie pour ne pas être heureuse, on ne se marie pas. Je ne me marierais pas par conformisme. Si je me marie, c'est parce que justement j'aurais rencontré la personne qu'il faut. J'en discutais tout à l'heure avec une amie, il y a une chose presque paradoxale : dans nos sociétés, la femme a beau avoir des diplômes, des connaissances, mais elle ne sera accomplie que lorsqu'elle sera mariée. Elle sera même prête à toutes sortes de compromis, voire des compromissions, pour avoir un mari. Or, moi, c'est tout à fait le contraire. Le mariage viendra seulement pour parachever une partie de ma vie. Et je crois avoir mille et une raisons d'être une femme heureuse et comblée. Si j'ai un mari, tant mieux. Si je ne l'ai pas, ce ne sera pas la fin du monde.
Revenons à l'actualité ; précisément du côté du ministère d l'Intérieur. Au regard des listes pour les prochaines élections législatives qui y sont déposées, n'avez-vous pas l'impression que la société civile, dont vous vous réclamez, en demeure encore le parent pauvre ?
Vous savez, tout le monde est d'accord que la vocation de la société civile n'est pas de conquérir le pouvoir ; mais de servir de contre-pouvoir. Mais d'un autre côté aussi, je suis absolument d'accord que les renouvellements des forces politiques se feront à partir des cadres de la société civile. Il y a également que ce n'est pas parce que l'on est dans la société civile que l'on ne peut pas quitter la société civile pour aller en politique. On peut aussi renoncer à la politique pour aller dans la société civile. Il ne faut pas que les gens pensent que la société civile, c'est la société civile, et qu'ils se disent je suis dans ce cadre que je ne peux pas quitter ce cadre, pour aller dans un autre. C'est tout à fait faux ! Mais, il est évident aussi que nous sommes à un moment où la politique est dans une période de désorganisation ; je ne parlerai même pas de recomposition. Il y a quelque chose qui ne va pas. La politique est dans une profonde crise. Nous allons sortir d'une période pour aller vers une autre. Et déjà, vous voyez comment les choses évoluent. Des alliances jusque-là inattendues sont en train de voir le jour. C'est extraordinaire. Personne ne s'attendait à ce genre de reconfigurations. Or, nous devons aussi aller vers un renouvellement de nos forces politiques. Et il faut que de jeunes cadres, bien formés, bien éduqués, de mon point de vue, s'engagent aujourd'hui en politique. Parce que l'on ne peut pas seulement s'occuper de son entreprise, de sa banque, sans s'intéresser à la vie politique. Autant on a besoin d'universités, autant on a besoin de taux d'encadrement très élevés. Et quand on en a les capacités, je pense que l'on ne peut pas ne pas s'intéresser à la politique. Il faut que les gens quittent leurs cocons pour se mettre au service de cette société. Sinon demain, nous aurons des difficultés pour non seulement retrouver la paix, mais également maintenir les équilibres au sein de cette société. Il est grand temps que les gens s'engagent. L'engagement est devenue une donnée essentielle de l'évolution de notre pays. L'autre chose est que la politique, comme toute activité, finit par user. Or aujourd'hui, il faut que ceux qui sont dans le pouvoir comme dans l'opposition, je ne dis pas qu'ils cèdent la place, mais que l'on commence à les épauler, pour que demain, quand ils seront à la retraite, d'autres bien formés, bien organisés, très engagés puissent prendre la relève. La question de la relève en politique se pose de nos jours dans notre pays de différentes manières. Et je pense que c'est le cas pour de vieux partis, comme le Parti socialiste. On le voit aujourd'hui le Ps est en train de générer autre chose. Parce que quand on voit tout ce qui est sorti de cette formation après l'alternance, on ne peut s'empêcher de penser à ce que le socialiste Rocard qualifiait en France de « Big-bang » politique. Certains parleraient de « ndeump ». Mais moi, je pense que nous sommes dans une période de « big-bang », qui va générer autre chose. Donc, il faut absolument que la société civile se positionne de différentes manières. Et, c'est dommage ! Parce que personnellement, bien des gens ont voulu que je sois sur leurs listes pour les prochaines législatives. Mais, j'ai refusé. Parce que tout simplement, on ne doit pas non plus trop affaiblir la société civile. Par contre, j'aurais aimé que certains éléments de la société civile, qui ont énormément d'expérience, puissent se retrouver à l'Assemblée nationale, pour le renouvellement du débat, pour la participation aux débats, et pour faire pression sur les politiques pour que les questions citoyennes soient prises en charge. C'est pourquoi, la société civile ne peut pas ne pas s'intéresser aujourd'hui aux questions électorales.
Et à ce propos, à qui pensez-vous ?
Je vais objectivement en citer quelques-uns, qui ont fait un travail très impressionnant dans la société civile. Je pense à quelqu'un comme Mamadou Cissokho du Cncr, à Ndèye Sarr de la fédération des Organisations non gouvernementales. Sur les questions paysannes, voici deux éléments. Je crois aussi que Bouba Diop a aussi beaucoup d'expérience, et son engagement est sans faille ; même s'il a été dans un parti politique, et qu'il est proche de la société civile. Je suis également d'accord que des gens comme Mame Adama Guèye entrent en politique. C'est le cas aussi d'Amadou Guèye, qui est d'une grande valeur. C'est encore le cas de Malick Ndiaye. Il serait une excellente chose qu'il se retrouve à l'Hémicycle. Parce que tous ceux-là pourraient contribuer à nourrir le débat démocratique. Il s y ajoute que dans une démocratie, le seul espace où on a un débat organisé reste l'Assemblée nationale.
Tantôt, vous avez préféré le terme de « big-bang » à la recomposition politique que laissait entrevoir, il y a presque sept ans, le Professeur Mamadou Diouf. Un désaccord d'ordre théorique avec cet historien comme vous ?
Recomposition, vous avez dit ! C'est extraordinaire ! J'ai beau sortir des idées, mais c'est quand ça sort de la bouche d'un homme que ça a beaucoup plus de longévité. J'ai parlé de recomposition, il y a des années. Je disais en son temps qu'à défaut d'une alternance, il fallait au moins une recomposition politique. Mais, ce n'est pas important. Je ne revendique pas la maternité de ce concept. Et c'est encore plus intéressant quand vous voyez les florilèges que font vos confrères dans les radios, par exemple, en reprenant quelques idées des acteurs de la vie politique, sociale, etc. Vous n'entendrez jamais une voix de femme ! Et pourtant, pour ce qui est du débat politique, les femmes contribuent autant que les hommes. Car, lorsque l'on écoute des femmes qui sont dans l'arène politique, comme Jeanne Lopy Sylla, Khoudia Mbaye, Hélène Tine, Aminata Mbengue Ndiaye, il s'avère évident qu'elles n'ont rien à envier aux hommes. Je crois qu'il appartient aux médias de rectifier le tir, en considérant du même œil les hommes et les femmes. L'autre injustice est celle qui consiste à confiner les femmes sur les questions et droits de femmes, etc. Et tout le reste de ce qu'une responsable femme dit n'est pas aussi valorisé que ce qu'elle dit de ses sœurs !



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