Moustapha Niasse, secrétaire général de l’Afp : ‘Wade est l’académicien principal mondial en matière de fraude électorale’

 Dans cette seconde et dernière partie de l’entretien qu’il a accordé au correspondant du quotidien Wal Fadjri à Paris, Moustapha Niasse aborde la question de la candidature unique au sein de Bennoo, celle de la succession dynastique, la location par Wade de son terrain au Fesman, etc. Nous sans cogner contre Ousmane Ngom qu’il accuse d’avoir été le maître d’œuvre de la fraude de 2007 qui a permis à Wade de rempiler dès le premier tour.

Wal Fadjri : L’élection présidentielle ivoirienne s’est déroulée dans le calme, la transparence et presque sans contestation. Cela est-il possible en 2012 au Sénégal ?

Moustapha NIASSE : Voilà un premier tour qui s’est achevé presque sans contestation, sauf un peu de la part du Pdci. Mais le président Bédié a accepté ce qui s’est passé au premier tour avec ses 25,5 % et a décidé de soutenir l’un des candidats au deuxième tour. Au moins, il y a une transparence là-bas, que la communauté internationale a confirmée. Peut-on espérer la même chose au Sénégal ? Le président Wade est l’académicien principal mondial en matière de fraude électorale. Lui qui est le chef de toutes les chaires de fraude à travers le monde en matière électorale, on n’attend pas cela de lui. Le président Gbagbo n’a pas été contesté parce que c’est une Commission nationale indépendante qui a dirigé le scrutin en Côte d’Ivoire. Nous, nous avons une Cena, Commission électorale nationale autonome. ‘Autonome’ par rapport à qui ? Wade a refusé qu’il y ait une Ceni au Sénégal et nous continuons la bataille pour qu’il y a une vraie Ceni au Sénégal.

Allez-vous l’exiger ?

Nous ne faisons que l’exiger et nous ne nous contentons pas de l’exiger, nous nous battons pour qu’il y ait une Commission électorale nationale indépendante. C’est lui qui s’est opposé à l’adjectif ‘indépendante’ pour mettre ‘autonome’. Cela cache des arrières-pensées dont on a eu l’illustration d’ailleurs. Je dis encore une fois que le président est mal placé et mal inspiré pour parler de campagne électorale ailleurs que chez lui.

Le ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom, promet un scrutin transparent en 2012. Vous y croyez ?

Ousmane Ngom sait ce qui s’est passé en 2007. Sa conscience ne parle pas encore. Mais, sa conscience parlera un jour. Ousmane Ngom fait partie des quatre à cinq personnes qui ont pris part à toutes les manipulations électorales par lesquelles Wade s’est attribué 56,8 % dès le premier tour à l’issue du scrutin présidentiel de février 2007. Alors que tout le monde savait que le président Wade ne pouvait pas gagner au premier tour. Mais Ousmane Ngom et sa conscience savent ce qui s’est passé. Avec quatre ou cinq autres personnes qui, sans doute, un jour, libéreront leur conscience quand elles n’auront rien à craindre vis-à-vis du président Wade qui ne sera plus aux affaires. Donc, Ousmane Ngom est mal placé pour nous donner des garanties de transparence des élections à venir. Parce que précisément, il a été mis à la tête du ministère de l’Intérieur pour jouer le même rôle qu’il a joué certainement en des circonstances similaires. Ousmane Ngom, on ne lui fait aucune confiance. Et nous avons déclaré au sein de Bennoo Siggil Senegaal que son retour était une déclaration de guerre contre la démocratie sénégalaise de la part du président Wade. Et j’adhère totalement à cette conviction et à cette prise de position de Bennoo Siggil Senegaal.

Vous arrêtez-vous aux déclarations ?

Ah, non ! On ne s’arrête pas aux déclarations. Depuis quatre semaines, Bennoo Siggil Senegaal, par ses représentants, la coalition autour du président Wade -je ne sais même pas comment elle s’appelle ; ça change tellement souvent - la coalition Sopi pour toujours (Alliance Sopi pour toujours, Ndlr), cela veut dire qu’ils n’arriveront jamais à quelque chose parce qu’ils font du Sopi pour toujours. Sopi pour toujours est une usine à feu continu qui produit de l’anti-démocratie - en présence des experts de l’Union européenne, de l’Usaid et de l’Allemagne. Nous sommes autour du fichier électoral et du processus électoral en général pour essayer précisément d’éplucher tous les pièges que Wade et son équipe ont mis sur le circuit d’application du Code électoral et trouver une solution à chacun de ces pièges, de manière à garantir par nous, et non par une déclaration d’Ousmane Ngom, la transparence des élections à venir. Ce combat-là, nous l’avons engagé. S’il s’agit de descendre dans la rue, nous l’avons fait tellement de fois. Nous sommes en mesure de le faire encore. Nos chaussures ne sont pas usées. Si la semaine prochaine, il y a une manifestation, je serai, comme d’habitude, parmi ceux qui seront en tête.

En dehors de ce travail en cours avec la participation directe des experts de l’Union européenne, de l’Usaid et de l’Allemagne, en dehors des manifestations que nous faisons, nous dialoguons avec le peuple pour le rendre conscient des dangers vers lesquels il va, s’il croise les bras et laisser seule l’opposition face à Wade. Parce que le combat que nous menons, nous le menons pour le peuple sénégalais, mais nous ne le menons pas pour nous-mêmes. (…).

‘Ousmane Ngom est mal placé pour nous donner des garanties de transparence des élections à venir’

Il y a une stratégie pour combattre la fraude électorale, mais il y a aussi une stratégie politique autour d’une candidature unique. Où est-ce que vous en êtes aujourd’hui ?

Je peux vous dire que l’Alliance des forces de progrès dont je suis membre et que je dirige, par la volonté des militants, est pour la candidature de l’unité. La Ld que dirige le Pr Abdoulaye Bathily a sorti une déclaration de son secrétariat politique indiquant que ce parti est pour la candidature de l’unité. Hier (lundi 8 octobre, l’entretien s’est déroulé le mardi dernier, Ndlr), le Rnd qui est dirigé par le Dr Dialo Diop, a fait une déclaration indiquant qu’il est pour la candidature de l’unité. Le parti de Robert Sagna - je ne veux pas faire une comptabilité globale de l’ensemble des partis - ainsi que le Rtas dirigé par Momar Sambe ont fait, chacun, une déclaration dans le même sens. Donc on peut considérer que l’idée de la candidature de l’unité fait son chemin malgré - ce qui est tout à fait naturel - la position définie et prise par Macky Sall et son parti qui indiquent que Macky Sall se présentera à l’élection présidentielle de 2012. C’est leur droit.

Mais ce qui est important, ce n’est pas l’affaire de la candidature, mais la question du programme qui doit apporter les changements que les Sénégalais espèrent et qui ne soient pas seulement des promesses, mais un engagement et un sacerdoce, c’est-à-dire l’expression d’une volonté commune, réfléchie, partagée d’aller ensemble pour faire exactement le contraire de ce que Wade est en train de faire. (…). Bennoo Siggil Senegaal regroupe des hommes et des femmes d’expérience, mais aussi un certain savoir-faire partagé. Mais plus, c’est un engagement moral compte tenu de ce que nous sommes et ce que nous entendons rester, c’est-à-dire des patriotes. L’exercice privilégié du président Wade, c’est de piétiner les dispositions de la Constitution qu’il prépare pour son fils.

Vous croyez à la succession monarchique ?

Je n’ai jamais cru à cela. Jamais, je n’ai cru que les Sénégalais puissent accepter un seul instant une succession dynastique à la tête du pays. Et je n’y croirai jamais. Je fais partie de ceux qui combattraient ce spectre-là jusqu’à la dernière de leurs forces pour que cela n’arrive pas. Je suis très clair sur la question. Jamais, je ne peux considérer que ce serait une hypothèse qui soit acceptable. Je fais partie des nombreux qui combattent cette hypothèse, qui combattent cette ambition et qui combattent ce stratagème de Wade.

Je voulais dire si vous pensez vraiment que le président Wade prépare pour son fils sa succession ?

Il n’y a que lui qui peut répondre de façon formelle à cette question. Mais tous les actes qu’il pose, laissent entendre que c’est ce qu’il veut. Cette vice-présidence qu’il a fait mettre dans la Constitution par voie législative depuis bientôt deux années, poste qu’il n’a pas pourvu, certains pensent, et je fais partie de ceux-là, qu’il le réserve à quelqu’un d’autre. On ne sait pas dans quelles circonstances. Même s’il s’est précipité en indiquant que le poste est réservé à une femme, une fois que la disposition de la Constitution a créé le poste, il est dit qu’un homme peut aussi y être nommé. (…). Il y a des supputations, il y a aussi des réflexions ; il y a des analyses qui se trouvent et qui tendent à penser qu’il le réserverait peut-être à Karim Wade si les circonstances le permettent demain.

Jouer avec le peuple est un crime pour un leader politique. Jouer avec la dignité d’un peuple, son honneur, c’est très grave de la part d’un leader politique. Mais rien ne nous surprend plus de la part de Wade. Avec ce qu’il a accumulé depuis dix ans, il ne peut plus nous réserver de surprises. Il est dans sa logique de destruction des structures du pays, de destruction du pays lui-même. C’est dans cette logique-là qu’il pose des actes ou qu’il insinue ou laisse penser que demain, il serait capable de poser tel ou tel acte. C’est le peuple qui doit résister et c’est le rôle des leaders politiques, des dirigeants des associations de la société civile. Et c’est le grand problème qui a été posé par le concept d’Assises nationales, par le déroulement même de celles-ci pendant douze mois sans interruption, par le rapport final des Assises nationales et par la Charte de la gouvernance politique que nous avons tous signée.

Votre dernière rencontre avec le Pit au cours de laquelle vous avez signé une alliance, a suscité des supputations. Certains pensent que c’est une manière de préparer les gens à une candidature plurielle au sein de Bennoo. Qu’en est-il ?

La rencontre avec le Pit fait partie d’une série de rencontres dont ce parti a pris l’initiative. Lorsque Maguette Thiam, secrétaire général du Pit, a pris contact avec moi, en tant que secrétaire général de l’Afp, pour me proposer cette rencontre au siège de l’Afp, il m’a indiqué en même temps qu’il aurait le même type de rencontre avec les différents partis de Bennoo Siggil Senegaal. Donc cette réalité élude et évacue tout de suite la question d’une alliance entre deux partis politiques au sein de Bennoo. Est-ce que ceci vous paraît assez clair ? Cette rencontre sera suivie par d’autres rencontres avec le Parti socialiste, avec la Ld, avec le parti de Madior Diouf, le parti de Robert Sagna, avec le parti de Dialo Diop, avec le parti de Massène Niang, avec le parti de Macky Sall, etc. Dès lors que c’est une série de rencontres qui auront le même cadre avec le même contenu du communiqué, on ne peut pas parler d’exclusivité de l’initiative entre l’Afp et le Pit, se limitant seulement à ces seuls partis. Toutes les supputations, tous les commentaires deviennent donc vains parce que ce n’est pas du tout cela. (…). Notre souhait, c’est que Bennoo aille ensemble contre Abdoulaye Wade. Nous sommes catégorique et sans aucune forme d’ambiguïté ni dans le discours ni dans les actes que nous posons. Nous sommes définitivement pour la candidature de l’unité qui est la candidature qui sort d’un processus qui aura au préalable réglé deux problèmes. D’abord, le problème du schéma institutionnel. Ensuite le programme des réformes en deux temps : les réformes immédiates qui, dès février 2012, lorsque Wade aura quitté le palais pour rentrer au Point Et ou à Versailles, concernant le programme agricole (les semences, les engrais, les fongicides et les produits phytosanitaires) ainsi que l’aide alimentaire pour secourir les populations pour la période de soudure, seront mises en place. Ensuite il y aura le référendum pour adopter la nouvelle Constitution car la Constitution de Wade n’en est pas une. C’est un règlement intérieur qui fait fonctionner le palais surtout sur le plan financier en terme de subsides et autres. C’est ça la Constitution sénégalaise, malheureusement. Ensuite, il y aura l’organisation des élections législatives, la suppression du Sénat parce que nous l’avons prévue dans nos programmes institutionnels et faire redémarrer l’Etat et remettre les Sénégalais au travail. Ça, c’est plus important que la question de la candidature pour nous. (…).

La Gazette a révélé dans une de ses éditions que le président Wade a prêté à l'Etat du Sénégal son terrain pour le festival des arts nègres qui va avoir lieu en décembre prochain. Quelle est votre opinion ?

Il est anormal que le président Abdoulaye ose prétendre avoir prêté à l'Etat du Sénégal un terrain de trois hectares qui se trouve à Ngor en face de la résidence de Djily Mbaye et après le Casino du Cap-Vert pour édifier un village pour les festivaliers du festival des arts nègres et qu'il y mettent, pour le rendre praticable, 2 milliards de l'Etat. Les travaux de génie civil et d'assainissement ont coûté à l'Etat deux milliards. Mais, le terrain reste la propriété de Wade. Ensuite, il fait construire des villas préfabriquées pour 5 milliards. Cela fait 7 milliards qu'il fait investir par le trésor public pour un terrain qu'il dit avoir prêté à l'Etat pour une manifestation qui va avoir lieu du 10 au 31 décembre 2010. après cette manifestation, quel sera le statut juridique des villas qui seront montées là ? Les contrôleurs sont arrivés. Les travaux ont commencé. Vont-elles être démontées ? Si oui, c’est pour être montées où ? Pour le compte de qui ?

Peut-être pour les populations inondées. Mais il est évident qu'il n'aura pas assez de villas pour ces populations inondées qui sont entre 800 mille et 1 million 200 mille. Ensuite lorsque ces villas seront éventuellement démontées, les assises des fondations qui ont été financées sur les finances de l'Etat, appartiendront à qui ? Parce qu'on ne pourra pas les enlever. Ensuite les deux 2 milliards qui ont permis à ce que ce terrain soit constructible et qui n'appartiennent pas à Wade, seront-ils facturés à Wade ? Voilà un cas scandaleux ! A l'entrée du chantier, ils ont mis ‘Chantier interdit au public’. Ils devraient y ajouter : ‘Ce chantier est interdit au public parce que nous sommes en train de voler’. C'est honteux ! Entre autres scandales, c'est quand Wade annonce qu'il a acheté un terrain de 12 milliards à New-York pour que les ministres y résident, mais les ministres ne résident pas à New-York. Ils ont des résidences officielles à Dakar ou des indemnités de logement quand ils logent chez eux. Il y aussi les 18 milliards votés pour le Monument de la renaissance dont on ne connaît pas le coût exact et que Wade confie la gestion à sa propre fondation pilotée par sa propre fille et qu'il considère comme étant le Monument de la renaissance africaine.